Tamara & Tamsin ❝ how to organize a perfect wedding anniversary ❞

Je poussais un gémissement plaintif, en arrivant dans la salle de réception qui devait accueillir le parfait anniversaire de mariage de mes parents. Tout était ruiné. Tout. Les larmes me montaient aux yeux, en voyant l’eau infiltrée jusque dans les murs, anéantissant les semaines de travail que j’avais fourni avec l’équipe évènementielle que mon père avait engagée. Nous étions J-4. J-4 ! Comment est-ce qu’on allait trouver une autre salle, aussi bien que celle-ci, maintenant ? Bon sang, j’avais passé des mois à chercher la salle parfaite, pour cet événement parfait. 30 ans de mariage. C’était quelque chose d’exceptionnel, de merveilleux, qui méritait un événement splendide, à la hauteur de leur mariage si parfait. Je m’étais tellement investie dans cet événement, ces dernières semaines. En plus d’avoir, littéralement, besoin de quelque chose de positif dans ma vie ces derniers temps, mes parents avaient toujours été mon modèle. Ils étaient ce couple parfait, aimant, qui m’avait chérie toute ma vie durant. Ils avaient toujours été là pour moi, m’avoir toujours soutenue. Peu importait la situation, peu importait ce que je voulais ou ce dont j’avais besoin … Ils se montraient présents, et étaient mon plus grand soutien. J’aimais mes parents plus que tout. Je les aimais même plus que je ne m’aimais moi-même – autant dire que je parlais là d’infinité – et j’avais juste envie de faire quelque chose pour eux, pour une fois. Envie de leur rendre la pareille, de participer à leur bonheur, à ce moment si spécial. Mes parents méritaient ce qu’il y avait de mieux sur Terre. Et la seule chose que je devais faire pour leur offrir le petit paradis qu’ils méritaient, je n’y arrivais même pas.

Je séchais les larmes qui coulaient sur mes joues, traçant un sillon en rejoignant mes lèvres tremblantes, lorsqu’elle arriva. Celle qui devait tout organiser, celle qui était, supposément, en charge de tout. Celle qui, bon sang, était payée – et pas qu’un peu – pour faire en sorte que mes parents aient leur moment, leur si parfait moment. Pourquoi est-ce que mon père avait cru bon de l’engager ? Pourquoi est-ce qu’il lui avait accordé sa confiance pour cet événement si particulier, si spécial ? Je restais dos à elle, mon regard fixé sur ce mur à moitié détruit par l’infiltration, mon ouïe bien trop focalisé sur les gouttes d’eau qui tombaient au sol pour lui accorder plus d’attention. Lorsque je réalisais qu’elle se trouvait à présent à mes côtés, je reniflais, avant de lâcher un long soupir plaintif. « Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? » murmurais-je, d’une voix tremblante. « Comment est-ce qu’on va trouver une salle aussi parfaite en si peu de temps ? » reprenais-je sur le même ton, sans même penser à lui faire part de mes nombreux reproches, bien trop anéantie pour cela.

Peut-être que certaines personnes trouveraient ridicule que je pleure simplement pour une salle, ruinée par un dégât des eaux. Oh, ce serait possible. J’imaginais déjà la voix de Harry Hardy s’il me voyait là, pleurant silencieusement en fixant ce mur complètement délabré. Puis décidais d’ignorer cette voix qui m’insupportait plus qu’autre chose – et ses commentaires désobligeants qui allaient avec – et de réfléchir à ce que l’on pourrait faire pour arranger cette situation. Jamais nous ne trouverions une salle aussi parfaite que celle-ci, en quatre jours. C’était impossible. Oui, j’étais Tamsin Graham. Oui, je pouvais avoir tout ce que je voulais simplement en passant un coup de téléphone et en donnant mon nom. Oui, j’étais une des actrices les plus connues et talentueuses d’Angleterre, et j’avais les avantages qui allaient avec. Mais là ? Même mes caprices de star n’avaient jamais été aussi loin. Non, je me contentais de demander une magnifique loge, et quelques services ici et là. Mais cela n’allait pas plus loin. Et soyons honnêtes … Il y avait une grande différence entre réserver une table dans un excellent restaurant à la dernière minute – réellement, à la dernière minute … ou plutôt, dans les dix minutes précédant l’heure de la réservation – et réserver une salle parfaite pour un anniversaire de mariage. J’avais beau faire défiler dans ma tête tous les contacts que je connaissais, toutes les personnes qui pourraient m’aider à trouver une nouvelle salle, je n’avais rien.

Alors peut-être que la solution, c’était elle. Cette femme que mon père avait embauchée pour organiser l’événement. Cette femme qui devait s’assurer que tout se passerait bien, que tout serait parfait pour leur anniversaire de mariage. Cette femme qui venait d’entrer dans la salle et de me rejoindre, sans rien dire. Avant d’enfin prendre la parole. Je soupirai longuement, déplaçant mon regard du mur vers elle pour l’écouter. Je me passai une main dans les cheveux, roulant des yeux à ses paroles. Faire une croix sur cette salle. C’est difficile mais … Je soupirai une nouvelle fois, acquiesçant de la tête, avant d’aller m’installer à la table qu’elle désignait. Ce n’était pas tant que nous avions tout prévu par rapport à la configuration de la salle … Non, c’était plus que tout allait de travers. Même un moment supposé être parfait, un moment qui aurait dû m’aider à aller mieux, qui aurait dû me donner de la joie par procuration … Même ça, je n’en avais apparemment pas le droit. Je me demandais vraiment ce que j’avais pu faire au Bon Dieu, là-haut, pour qu’il m’en veuille à ce point-là et fasse de ma vie un véritable enfer. Je n’étais pas une méchante fille. Oui, je n’étais pas parfaite et avais des défauts, mais … Je ne méritais pas tout ce qui m’arrivait, dernièrement. Je voulais juste retrouver ma vie d’avant, retrouver cette vie qui était si parfaite, et oublier tout le reste. « Donc … » finissais-je par prendre la parole, dans un soupir. « Qu’est-ce que vous proposez, exactement ? Est-ce que vous avez, quelque part dans cette pochette, une salle qui serait aussi bien que celle-ci ? » lui demandais-je, avant d’essuyer les quelques larmes qui perlaient encore de mes yeux.

J’avais vécu la pire année de ma vie. Oui, on pouvait le dire ainsi. Cela faisait un an que ma vie était en chute libre et qu’aucune chose positive ne m’arrivait. Ma vie avait été parfaite jusqu’à mes vingt quatre ans. A croire qu’à partir du moment où William avait rompu avec moi, il y avait eu un effet domino qui n’avait cessé de me ruiner la vie. Mon attaché presse était parti vers d’autres horizons, je m’étais enfermée chez moi tout l’été, m’éloignant ainsi de mes collègues, William s’était tapé le fiancé de mon meilleur ami et voulait apparemment les faire rompre pour ne l’avoir plus que pour lui, un mec m’avait droguée et avait tenté de me violer, Harry avait été celui qui m’avait sauvée, alors qu’il était probablement l’homme que j’exécrais le plus sur cette Terre. Et enfin, il y avait ça. Alors que j’avais cru, naïvement, bêtement, que je pourrais enfin avoir quelque chose de positif dans ma vie et me remettre sur les rails, il y avait eu un dégât des eaux qui avait tout ruiné. Une seule chose de positif. C’était tout ce que j’avais demandé. Que mes parents puissent célébrer majestueusement leur trente ans de mariage. C’était tout, juste ça, la seule que j’avais demandé. Et même ça, je ne pouvais pas l’avoir, apparemment. Même cette seule petite chose, même vivre du bonheur par procuration … C’était apparemment trop demandé.

Je regardai donc ce que la jeune femme me proposait comme plan de rechange. Après tout, c’était son travail de chargée de projet événementiel de s’occuper de ce genre de choses, non ? Peut-être qu’elle en avait l’habitude … Je n’en avais aucune idée, même si cela me rassurerait de savoir que ce n’était pas moi qui vivait avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, qui m’empêcherait d’être heureuse jusqu’à la fin de mes jours. Je soupirai, en voyant que rien n’était aussi parfait que cette salle et que ce que j’avais pu imaginer pour le jour J. Mais très bien, ce n’était pas comme si j’avais le choix. Et malheureusement – parce que j’en aurais bien besoin en cet instant – me lamenter n’arrangerait rien à la situation. Je regardai donc sa première proposition avec une certaine attention, appréciant l’espace vert extérieur. Nous pourrions faire quelque chose de joli, de presque champêtre … Mais non. Et s’il pleuvait ? Vu la chance que j’avais, la météo pourrait indiquer un temps magnifique et finalement nous pourrions avoir une tempête qui gâcherait tout. La deuxième semblait pas mal. Toujours inférieure à celle que nous avions, mais j’aimais bien l’idée de l’arche. Quant à la troisième … Pfff, non, c’était celle-ci en cent fois moins bien. « Si vous n’avez pas d’autres propositions … » soupirai-je, avant de me passer une main distraite dans les cheveux. « Je préférerai partir sur la deuxième. » Nouveau soupir triste, avant de reprendre. « Vous avez déjà quelque chose de prévu, pour ce que nous ferions le jour J si nous prenons cette salle ? » finissais-je par lui demander après un instant de silence.

Cette dernière année était tout simplement catastrophique. J’avais l’impression, de jour en jour, que rien ne m’arriverait plus jamais de bien. Alors je m’étais donnée à cœur perdu dans la seule chose positive qu’il y avait actuellement dans ma vie : mes parents et le fait qu’ils allaient bientôt fêter leur trentième anniversaire de mariage. C’était assez extraordinaire de les voir toujours autant heureux et amoureux, depuis si longtemps. Plus de cinquante ans qu’ils se connaissaient, et ils avaient été amoureux pendant la très grande majorité de ce temps-là. Le fait de ne pas réussir à avoir d’enfants les avait forcés à se séparer, tant la possibilité de ne pas former une famille leur avait ruiné le moral. Mon père avait toujours rêvé d’une maison remplie d’enfants, et ne pas pouvoir l’avoir de par la malformation ovarienne de ma mère l’avait terrassé. Puis il avait réalisé que ma mère était la femme de sa vie, et qu’il ne pouvait vivre sans elle. Avec ou sans enfant, l’important était finalement d’être ensemble, amoureux. Il l’avait alors demandée en mariage, et j’étais arrivée cinq ans après, par le plus grand des miracles. Ils avaient tentés d’avoir d’autres enfants, en vain, et peut-être que c’était pour ça que j’étais tant aimée et chérie : ils avaient placé tout l’amour qu’ils auraient eu pour cinq enfants en juste moi, et moi seule. Soyons honnêtes, malgré leur désir et le fait que cela les aurait probablement rempli de joie, je n’étais vraiment pas certaine d’aimer avoir un frère ou une sœur. J’avais justement besoin d’être le centre de leur attention, après tout. Ou alors, peut-être que je m’y serais habituée.

Bref, leur relation était magnifique, et mes parents étaient les personnes les plus merveilleuses sur cette Terre. Forcément, m’investir dans l’organisation de leur anniversaire de mariage me semblait naturel, et plus que ça, une nécessité pour mon propre bien-être. Mais à croire que j’avais été un monstre digne de Hitler dans une vie intérieure, même une simple soirée d’anniversaire de mariage, je ne pouvais l’obtenir. Ou en tout cas, pas comme je l’avais souhaité. J’allais devoir faire un compromis, et s’il y avait bien quelque chose que je n’aimais pas faire, c’était bien ça. J’écoutai cependant ce que la jeune femme me proposait, séchant petit à petit mes larmes, avant de hocher de la tête. « Un passage. Comme le commencement de cette nouvelle phase de leur vie. La métaphore est bien. » Je regardai avec une attention certaine les photos qu’elle me montrait, avant de me passer une main dans les cheveux. « Vous pensez vraiment qu’on aura le temps de tout réorganiser en trois jours ? » finissais-je par lui demander, après un moment de silence. Parce que nous avions une date butoir à respecter, après tout. Et si ce qu’elle me proposait me convenait – même sans égaler ce que nous avions prévu à la base, mais bon, ce n’était pas comme si j’avais réellement le choix, après tout – j’avais peur que le temps ne vienne à nous manquer.

Je ne pouvais que reconnaître que la jeune chargée de l’événement n’était pas mauvaise en gestion de crise. Alors que nous étions encore dans la salle de mes rêves – qui avait tourné en cauchemar, comme à peu près tout ce qu’il y avait eu de bien dans ma vie cette dernière année, de toute façon, à croire que ma vie ne serait plus qu’ainsi à présent, jusqu’à ce que je ne meure – dont, face au mur totalement détruit par le dégât des eaux, elle avait réussi à me proposer trois solutions qui n’étaient pas si mal que ça. Oh, aucune n’égalait réellement le projet que nous avions eu pour l’anniversaire de mariage de mes parents. Mais au moins, nous ne serions pas à la rue. Nous avions un plan B qui nous permettrait de retomber sur nos pattes et de célébrer assez dignement ce moment qui était tant merveilleux pour mes parents. Parce qu’il l’était, merveilleux, en effet. Ils avaient tant vécu, ensemble. Ils étaient ce modèle de couple soudé et heureux. Le modèle que j’avais toujours eu, d’ailleurs. Oh, je ne l’aurai jamais, c’était certain. J’aurais pu l’avoir, avec William, mais si cette histoire m’avait bien prouvé quelque chose, c’était que je n’étais pas faite pour les relations amoureuses. Et étant donné que je n’arrivais même plus à coucher avec un homme, ces derniers temps – enfin, je n’arrivais plus à sortir de chez moi le soir, ce qui était à peu près équivalent, et je n’osais imaginer à quoi je ressemblerais en face d’un homme, vu les crises d’angoisses qu’il m’arrivait de faire – je n’étais donc faite pour plus rien du tout. Je finirais probablement ma vie en étant vieille fille, avec de nombreux chats.

Mais bref, là n’était pas le sujet, ni le moment de me lamenter sur mon sort. Il s’agissait du petit moment de paradis que je souhaitais offrir à mes parents, alors je me mis à écouter la jeune femme – et surtout ses propositions – avec plus d’attention. Le problème résidait aussi dans le fait que nous n’avions que trois jours pour tout repenser, tout réorganiser. Et trois jours, c’était affreusement court, comme deadline. Mais elle avait des idées, c’était déjà ça. « Ils ont tellement vécu, en même temps … » soupirai-je, incapable de savoir par où commencer. « Ils se sont rencontrés au lycée. Ma mère avait fait tomber ses livres de classe. » racontai-je dans un sourire. Oh, c’était cliché, comme rencontre. Digne d’une comédie à l’eau de rose. Mais je les enviai aussi pour cela, il fallait bien l’avouer. « Ma mère a gardé les livres en question … Donc peut-être qu’on pourrait déjà s’en servir ? » Je marquai une courte pause, me passant une main dans les cheveux pour réfléchir. « Puis il y a eu la fois où mon père a tenté de lui organiser un diner romantique. » repris-je dans un petit rire, avant de continuer. « Le steak a fini cramé. » Oui, des anecdotes, j’en avais à la pelle, finalement. « Vous aviez pensé à quoi, du coup ? » finis-je quand même par lui demander.

Ce que la chargée de projet en événementiel proposait était simple. Très simple, même. Une boîte, remplie de souvenirs et d’attentions. Rien de pédant, ou de prétentieux. Mais tel l’était aussi le mariage de mes parents, finalement. Oh, ils avaient vécu des crises, forcément. La première – et la plus grosse – étant lorsqu’ils avaient appris que ma mère ne pourrait probablement – et là était le terme le plus essentiel, puisque j’avais fini par venir au monde – jamais avoir d’enfants. Mon père avait toujours rêvé d’avoir une grande famille, une maison remplie de bambins. Ma mère aussi, mais la concernant, cela n’arriverait jamais, puisqu’elle ne était physiquement incapable. Leur relation était alors devenue invivable, remplie de cris et de larmes. Mais une fois qu’ils avaient pris du recul et atteint la maturité nécessaire, ils s’étaient remis ensemble et ne s’étaient plus jamais quittés. Mes parents représentaient ce couple fort, qui s’aimeraient jusqu’à leur mort – et encore après, si tant est qu’il y ait une vie après la mort. J’acquiesçai donc à ses mots. Ecrire quelques uns de leurs plus beaux souvenirs, piquer des photos dans les nombreux albums qui ornaient dans notre immense bibliothèque … Oui, c’était largement quelque chose que je pourrais faire pour eux. « Ils ne voyagent pas beaucoup, par contre … Pas le temps pour ça, sauf lors de promotions pour mon père ou de représentations pour ma mère … » indiquai-je tout de même à la jeune femme. Ils avaient bien faits quelques voyages, mais ils étaient surtout professionnels, il fallait bien l’avouer.

Je m’apprêtai à reprendre, lorsque mon téléphone sonna, nous interrompant par la même occasion. Cara. Je souris, avant de décrocher le téléphone et de froncer des sourcils à ses mots. Je m’excusai d’un signe de la main auprès de mademoiselle Prescott, avant de me lever et d’aller plus loin. « Comment ça, la police est à la maison ? » demandai-je en chuchotant, pas certaine de comprendre. Puis mon sang se glaça, à mesure qu’elle m’expliquait de quoi il s’agissait. Il y avait apparemment une caméra de surveillance, proche de la ruelle où il m’avait emmenée. Tout avait été filmé, et la police voulait m’interroger. Pas pour moi, pas me concernant – je n’avais, de toute façon, pas porté plainte. Mais l’homme était apparemment connu des services de police, suite à des plaintes d’autres femmes. Mais faute de preuves, ils avaient dû le relâcher – parole contre parole, tout ça tout ça, et la parole des femmes, généralement, on s’en fout. « Cara, ralentis. » Comment lui en vouloir, en même temps, alors qu’elle apprenait enfin ce qu’il se passait avec moi ces derniers temps – je n’avais pas osé lui en parler, comme avec à peu près tout le monde, finalement. « Je t’avoue que j’ai plutôt envie de mettre cette histoire derrière moi et de ne plus y penser … » murmurai-je, avant de me mordiller la lèvre, comme elle me disait qu’il fallait que je témoigne. Je soupirai, avant de raccrocher, lui promettant de faire le plus rapidement possible. Puis je revins m’asseoir à côté de la jeune femme, forçant un sourire. « Où est-ce qu’on en était ? » demandai-je, en tentant de reprendre un peu contenance, mon cœur ne pouvant s’empêcher de battre à tout rompre dans ma poitrine.

Je ne m’étais clairement pas attendue au coup de téléphone de Cara, et encore mois à ce qu’elle avait pu me dire. Pour tout dire, je n’avais pas envie de penser à cet … homme. J’avais envie de prétendre que rien de ceci n’avait jamais eu lieu. Qu’il n’avait pas mis de la drogue dans mon verre, alors que je m’apprêtais à partir. Qu’il ne m’avait pas suivie dans la rue, une fois que j’eusse accepté son dernier verre. Qu’il n’avait pas eu dans l’intention de profiter de moi. Que Harry Hardy n’avait pas eu besoin d’intervenir et de me ramener chez moi. Bref, à la vérité, je voulais simplement focaliser mes esprits sur l’anniversaire de mariage de mes parents. Je voulais penser à leurs années de bonheur à eux, plutôt qu’aux mois de malheur que j’enchainais sans cesse, tel un vilain effet domino. Mais apparemment, la police était chez moi et je devais rentrer rapidement. Ils ne se disaient pas que je pourrais être en tournage et avoir autre chose à faire que de tout laisser tomber pour rentrer et aller leur parler de quelque chose dont je n’avais absolument aucune envie de parler ? Ils avaient trouvé une vidéo de surveillance et alors, en quoi ça me regardait ? J’avais simplement envie de retrouver un semblant de vie normale, pas de me lancer dans un procès qui serait forcément médiatisé. J’avais une carrière, une image à préserver. Et peut-être que cela n’arrangeait pas leur enquête, mais je n’avais strictement aucune envie de lire un jour dans les gros titres que j’étais une trainée qui avait poussé un homme à la droguer.

Pour autant, et parce qu’il s’agissait de Cara et qu’elle s’inquiétait à présent – je ne lui en avais, en même temps, pas vraiment parlé et à part le fait qu’elle savait que je n’étais pas au mieux de ma forme, elle ne savait rien du tout, jusqu’à aujourd’hui en somme – je décidai tout de même de me dépêcher un peu. Alors je retournai m’installer à côté de la jeune femme et lui demandai où nous en étions – avec tout ça, j’avais un peu oublié ce qu’elle avait pu me proposer comme dernier événement. Nous fîmes un rapide point sur ce qu’il nous restait à faire durant ces trois jours, puis je forçai un petit sourire à son égard. « Non, je pense que c’est bon. Je vous rappellerais si besoin est. » répondai-je doucement en me levant. Je lui tendis la main, avant de reprendre. « Désolée, ma colocataire m’attend donc je vais devoir y aller. J’écrirai quelques souvenirs et essayerai de trouver des photos ou des objets qui représenteraient leurs années ensemble. » Je lui serrai la main, avant de glisser mes doigts dans mes cheveux pour me les recoiffer un peu. Je fis glisser mes lunettes de soleil sur mon nez, comme je la saluai. « Merci en tout cas et bonne fin de journée. » Puis je quittai cette salle qui aurait dû accueillir l’anniversaire de mariage de mes parents, avant de héler un taxi pour qu’il me raccompagne chez moi. La journée, me concernant, était bien loin d’être finie.

RP FINI