[flashback] oh boy, i'm in trouble | lyannor

A quatorze ans, Lyall Oliver Walters, premier du nom, pouvait se vanter d’être un modèle en matière d’éducation, le parfait petit élève toujours sérieux et appliqué, jamais en retard, jamais absent, toujours prêt à répondre aux questions des professeurs et à découvrir de nouvelles choses, dont le bulletin faisait rêver tous les parents de la perfide Albion. A quatorze ans, six jours et quatre heures très exactement – puisque, comme sa mère le lui avait montré sur son certificat de naissance, il avait vu le jour à exactement cinq heures zéro trois du matin – Lyall ne pouvait plus se vanter d’être un modèle en matière d’éducation, le parfait petit élève dont tout le monde rêvait. En effet, ce vendredi de mai, à exactement neuf heures zéro quatre maintenant – Lyall aimait la précision – le jeune adolescent s’apprêtait à faire la plus grosse erreur de son existence entière : il allait sécher les cours. Lui, Lyall Walters, toujours dans les trois meilleurs élèves du lycée depuis que lui et son meilleur ami Connor y étaient entrés trois ans plus tôt, allait rater une journée entière de cours. Et tout ça, entièrement à cause dudit meilleur ami, qui, derrière ses airs angéliques avec lesquels il parvenait à charmer la Terre entière, n’était autre que le diable en personne, probablement mandé sur cette planète pour entrainer le pauvre petit Walters sur les chemins de la décadence, et ce, malgré toute la résistance qu’il lui opposait. Parce qu’il opposait fréquemment un non catégorique aux demandes de son meilleur ami, n’allez pas croire le contraire. Mais celui-ci ne comprenait tout simplement pas le mot non.

« Je te préviens, Connor, que si jamais on se fait prendre, je ne te le pardonnerai jamais, et je ne t’adresserai plus jamais la parole » était-il en train de grommeler dans sa barbe, pendant que son plus vieil ami le guidait dans les couloirs de l’école, pour les faire sortir sans se faire repérer. « J’arrive pas à croire que je me suis laissé embarqué là-dedans… Sérieusement, c’est tellement débile, et en plus, on a histoire, aujourd’hui, et moi je ne voulais pas rater le cours d’histoire, okay, j’aime bien Miss Jenkins, et en plus, je suis à côté de Jenna dans ce cours-là, et moi je l’aime bien Jenna… » Il était complètement en train de divaguer, ce qui n’était pas très malin, il en était conscient, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Quand il était stressé, et que ça avait un lien plus ou moins ténu avec Connor, il ne pouvait pas s’en empêcher. Il devenait un véritable moulin à parole, une machine à déverser des reproches et les pires scénarios possibles auxquels pourraient aboutir la situation dans laquelle ce parfait abruti les avait encore mis. « Ugh, je n’arrive pas à croire que j’ai craqué, et accepté. T’es chiant, vraiment, t’es chiant » reprit-il, sans même se soucier de savoir si Connor l’écoutait ou pas, probablement trop occupé à vérifier qu’il n’y avait pas de professeurs ou de surveillants pour ça. Et il aurait probablement continué longtemps, si un bruit sourd ne l’avait pas fait s’immobiliser sur place, arrêtant brusquement son meilleur ami, dont il tenait la main, dans sa progression. « C’était quoi, ça ?! » chuchota-t-il, le cœur battant à la chamade.

Lyall rejouait la scène encore et encore dans sa tête et tout ce qu'il pouvait penser c'est on va se faire prendre on va se faire prendre on va se faire prendre. Il était conscient que, le cas étant, cela serait plus que probablement de son fait, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. L'angoisse lui tordait l'estomac comme des mains un torchon mouillé. Et son meilleur ami pouvait affirmer autant qu'il voulait qu'il était un expert en la matière – d'ailleurs qu'est-ce qu'il était agaçant, à se comporter comme s'il était dans un film d'espionnage, seriously, why was he even friend with him – le jeune lycéen n'était pas rassuré pour un sous. A dire vrai, il était tellement anxieux qu'il était pratiquement sûr qu'il allait vomir. Il était plongé dans ses pensées, en train de se demander avec inquiétude s'il était possible de mourir d'un ulcère de l'estomac à quatorze ans, quand soudain, sans prévenir, son meilleur ami se mit à courir, l'entraînant à sa suite. Lyall manqua de se casser la figure, mais parvint à retrouver son équilibre, et se laissa diriger par Connor, jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment loin du lycée pour arrêter de courir. Il fusilla son plus vieil ami du regard à sa remarque, mais c'était sans réelle conviction. Il ne put s'empêcher de sourire, presque attendrit par la joie de l'adolescent. Bien sûr, il s'empressa de le dissimuler quand Connor se tourna vers lui, et il leva les yeux au ciel. « Don't flatter yourself » répliqua-t-il, une phrase devenue presque traditionnelle entre lui et son camarade de toujours, alors que celui-ci l'attrapait à nouveau par la main et se remettait à courir. Ils parvinrent ainsi à leur skate park, à peine essoufflé dans le cas de Lyall – comme quoi c'était utile, le sport intensif – et s'installèrent sur le sol. Le jeune homme s'empressa d'imiter son meilleur ami, s'allongeant et contemplant le ciel. En dehors d’eux, l'endroit était désert, ce qui était normal à cette heure, après tout. Il tourna la tête vers Connor, ignorant superbement les battements un peu trop rapides de son cœur – conséquence de l'adrénaline, cela ne faisait aucun doute. « T'es pire qu'un sénateur américain en train de dénier l'existence du dérèglement climatique, tu sais ça ? » plaisanta-t-il. Lyall était très au courant de l'actualité politique américaine, surtout depuis que la possibilité d'un président noir en 2008 avait été avancée. Il se faisait un point d'honneur de connaître l'histoire des peuples africains le plus possible, et maîtrisait particulièrement bien tout ce qui touchait la question américaine, parce qu’elle était la plus accessible pour un anglais. « Mais bon, je te pardonne » ajouta-t-il en riant, « parce que comme tu as un meilleur ami doté d'une intelligence nettement supérieure, et toujours là pour te corriger, ce n'est pas bien grave. » Il tenta de garder une façade impassible, mais il ne put empêcher un sourire sarcastique de fleurir sur son visage. Il n'y pouvait rien, il lui était tout simplement impossible de garder son sérieux quand lui et Connor commençaient à s'échanger des petites piques comme ça. Lyall vivait d'études et de sarcasme, et ça n'allait pas changer de sitôt.

Lyall aimait que les choses soient clairement définies, carrées. Il aimait organiser, prévoir, prévenir. Il aimait les lignes droites, ce qui par ailleurs entrait complètement en contradiction avec son amour pour la danse contemporaine, faite de courbes, de vagues, d'une fluidité presque anarchique. Mais peut-être était-ce justement parce que c'était à cette liberté de corps et d'esprit que la danse s'adressait qu'il adorait autant ça. Quand il enfilait ses collants de danse et commençait ses échauffements, il devenait quelqu'un de totalement différent. Le Lyall danseur s'unissant à celui de sa vie de tous les jours pour former un être plus libre, certes toujours aussi exigeant avec lui-même, mais libre. Il s'envolait, il s'éloignait des considérations journalières, se dégageait le temps de quelques heures du poids parfois très lourd qu'il supportait. La danse était son échappatoire, son havre de paix. Ça lui venait aussi naturellement que respirer, et lui était tout autant nécessaire. Pourtant, une fois qu'il quittait cet état d'extase, il redevenait instantanément le Lyall sérieux et droit que tout le monde connaissait, celui qui respectait les règles. Et voilà que ce Lyall s'était laissé tenter par le diable. Il s'en mordait les doigts. Qu'est-ce que sa mère dirait si elle l'apprenait ? Il sentait déjà la culpabilité lui tordre l'estomac. Il ne voulait pas y penser. Alors, parce qu'il savait que sa présence l'aidait dans ces situations-là, il se tourna vers Connor, et sa main vint trouver celle de son meilleur ami, instinctivement. Il enroula ses doigts autour des siens, et ferma les yeux un instant, se concentrant sur sa voix, rien que sur sa voix. Il sourit stupidement, niaisement. Sa présence, ses mots, son existence entière donnaient naissance à une chaleur diffuse qui partait du cœur de Lyall pour se répandre dans l'ensemble de son corps. Il ne le lui avouerait jamais, bien sûr. Mais la présence de Connor était ce qui lui permettait de se maintenir à flot. Sans lui, il se serait noyé. « Honnêtement je ne sais pas... au moins, je peux discuter de la Bill Of Rights avec elle sans me retrouver face à un chiot confus et perdu » plaisanta-t-il, petite boutade qui faisait référence au refus catégorique de son ami de connaître un tant soit peu les grands événements de l'histoire britannique. Il ouvrit à nouveau les yeux pour le regarder, ne pouvant s'empêcher de sourire tendrement en le détaillant. « Heureusement que ce n'est pas la culture qui intéresse les mecs, parce que sinon, tu serais forever alone » ricana-t-il.

Lyall n’avait aucun problème avec l’homosexualité de son meilleur ami. C’était quelque chose qu’il avait accepté entièrement, totalement, sans conditions, dès le début. Il se souvenait de l’inquiétude de Connor, de son anxiété visible, de sa peur, quand il l’avait assis, avec une expression immensément sérieuse sur le visage – et Lyall avait eu presque peur, alors, parce que c’était un genre d’expression qu’il ne voyait sur lui que quand ils abordaient le sujet de la mort de sa mère – et le lui avait avoué. Il se souvenait de son soulagement aussi, quand il lui avait souris et avait pris sa main dans la sienne, la serrant brièvement, avant de passer son bras autour de ses épaules et de le serrer contre lui, pour le rassurer, lui montrer qu’il était là. « Je m’en doutais » lui avait-il dit alors, parce que c’était vrai. « Et je m’en fiche. Ça ne change rien. Tu restes mon meilleur ami, la personne que je préfère dans le monde entier » avait-il ajouté, parce qu’il savait combien Connor en avait besoin, à ce moment-là. Non, ça ne changeait rien, et ils avaient continué comme avant, après ça. La seule différence, c’est que le jeune garçon, libéré, certain de l’acceptation de Lyall, était devenu soudainement beaucoup plus ouvert sur le sujet. Lyall, déjà son confident, son conseillé, pour tout le reste, l’était naturellement devenu pour ça aussi. Connor ne lui avait plus rien caché, après ça, lui parlant de ses premières expériences amoureuses, de son premier baisé, notamment. Son meilleur ami l’avait toujours écouté attentivement, parce que c’était son rôle, et parce que ça lui faisait plaisir, d’être l’oreille qui l’écoutait, l’épaule qui l’appuyait. Mais depuis quelques temps, les choses avaient commencé à changer. L’adolescence était arrivée, et avec elle, les premiers désirs, les premières expériences, la découverte de leur propre corps. Or, si Connor s’était vite montré complètement à l’aise avec ça, prêt à en parler comme de n’importe quel autre sujet, sans aucune pudeur, Lyall lui, du fait de son éducation notamment, mais de sa personnalité, aussi, n’avait jamais été tout à fait confortable avec ce sujet. Il était quelqu’un de discret, de pudique, qui aimait séparer le public et le privé, qui avait des difficultés à parler de sexualité à voix haute. De fait, à chaque fois que Connor abordait le sujet, il était complètement pris au dépourvu, et cette fois-là n’échappa pas à la règle. « Mister Jerk and I… We did it. Dans les vestiaires… » Tout d’abord, il haussa un sourcil, observant son meilleur ami sans comprendre. Puis, la signification de ses paroles s’imprima véritablement dans son cerveau, et la surprise, mêlée à une sorte de malaise, remplaça l’incompréhension première. Ses yeux s’ouvrirent en grand, sa mâchoire se décrocha. Il se sentit rougir comme une tomate, et se releva brusquement. « Tu tu tu… tu l’as fait ?! Hein ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?! » bégaya-t-il, incapable de contrôler ses paroles du fait de la confusion. Son meilleur ami en parlait si naturellement… C’était déconcertant, déroutant, ça le faisait complètement perdre pieds. Puis il fronça les sourcils, prenant en compte le reste des paroles. « Wait, what ?! » s’indigna-t-il soudainement. « Dans les vestiaires ?! Vous êtes sérieux ???? » Good Lord. Il se changeait, dans ces vestiaires, bon sang.

Ce n’était pas que Lyall était quelqu’un de prude à proprement parler. La nudité n’était pas quelque chose qui le répugnait, ou lui faisait honte, qu’on l’ait vu nu ou qu’il ait vu quelqu’un nu ne l’avait jamais tué, et le laissait, en règle générale, assez indifférent. Quand on faisait du sport à haut niveau comme lui, et qu’on se retrouvait facilement à devoir se changer devant une vingtaine de personne, parfois de l’autre sexe, on apprenait à ne plus laisser ça nous déranger. Mais cela ne voulait pas dire qu’il était complètement à l’aise avec ça. C’était quelque chose qui ne le dérangeait pas outre mesure quand c’était de l’ordre du nécessaire. Mais cela ne voulait pas dire pour autant qu’il était confortable avec l’idée d’en parler comme de n’importe quel sujet. Et cela était, bien sûr, encore plus vrai pour tout ce qui relevait de la sexualité. Pour Lyall, ce n’était pas un sujet qu’on pouvait aborder en plein milieu d’un repas de famille, comme si de rien n’était. Ca concernait la personne, et uniquement elle – sans compter, bien sûr, son ou ses partenaires. De fait, ça restait d’après lui quelque chose de foncièrement privé, personnel, qu’on ne pouvait pas partager avec n’importe qui. Certes, il était loin d’être “n’importe qui”, du point de vue de Connor. Mais ça ne changeait rien au fait que ce n’était décemment pas quelque chose dont le jeune homme pourrait parler avec son meilleur ami comme de la pluie et du beau temps. Pourtant, il voyait bien que ce n’était pas le cas de Connor : lui n’avait aucune pudeur, aucune retenue, aucune honte. C’était quelque chose de tellement naturel, normal, banal, presque, pour lui, semblait-il, qu’il n’avait aucun problème à en parler… et même à aller dans les détails, si Lyall – ce qui n’arriverait jamais, bien sûr, où est-ce que vous vous croyez – l’encourageait assez. Et ça l’amusait, oh, comme ça l’amusait. L’adolescent voyait bien à quel point ses réactions faisaient rire son meilleur ami. Il était conscient que si celui-ci était aussi ouvert à ce propos, c’était en grande partie parce qu’il savait à quel point cela pouvait déstabiliser Lyall. Le jeune garçon était un véritable petit diablotin, venu sur cette planète pour le torturer. Et il aimait ça. Ô combien il aimait ça. « Oh, Lord, don’t » murmura-t-il en se cachant la tête dans les mains, mort de honte, quand l’autre lui proposa d’entrer dans les détails. Il ne put s’empêcher de le regarder en mode "facepalm" et de lever les yeux au ciel quand il prit soin de lui expliquer pourquoi ils l’avaient fait. Comme si Lyall ne le savait pas, bon sang. Ces questions étaient complètement rhétoriques, prononcées du fait de la surprise, et Connor le savait très bien. Il éprouvait juste un immense plaisir à embarrasser Lyall. Celui-ci le fusilla d’ailleurs du regard, pas dupe pour un sou, avant de grimacer, extrêmement mal à l’aise. Connor se moquait de lui, éclatant de rire, il le voyait bien. Mais il ne pouvait pas s’empêcher de réagir comme ça. C’était dans sa nature. « T’arrêtes de te foutre de ma gueule, oui ? » s’exclama-t-il finalement, en donnant un léger coup de coude à son meilleur ami. « Je sais même plus si tu me racontes ça parce que t’en a envies, ou parce que tu prends juste un malin plaisir à me voir réagir de la sorte ! » ajouta-t-il, bougon, en levant les yeux au ciel. Sérieusement. Ce gosse était intenable.

Comme il s'y attendait, Connor lui répondit honnêtement qu'il faisait probablement ça à la fois parce qu'il voulait en parler, et parce qu'il adorait l'embêter. Nothing really surprising here. Lyall aurait probablement dû le lui reprocher, mais ce n'était pas comme s'il lui en voulait. Par contre, il fronça les sourcils quand son meilleur ami sorti son paquet de cigarettes, désapprobateur. Il n'aimait pas le voir fumer, il désapprouvait grandement cette habitude que son ami de toujours avait prise. Lyall était complètement contre la cigarette. Ce n'était parce qu'il était le genre de garçon totalement coincé qu'il pouvait paraître être parfois, mais juste parce qu'il avait vu les ravages que ça pouvait faire. Son oncle, l'un des frères de sa sœur, arrivé en Angleterre en même temps qu'elle, était mort d'un cancer du poumon à l'âge de 35 ans, et fumait comme un pompier. Il avait bien vu quel point ça avait touché sa mère. Il savait bien que ce n'était pas parce qu'il ne fumait pas qu'il n'aurait pas de cancer. Mais il trouvait ça idiot de tenter le diable de cette façon. Sans compter que ça coûtait cher. C'était vraiment un budget en soi, et il préférait utiliser le peu d'argent qu'il avait à d'autres fins. Connor savait ce qu'il en pensait. Mais il n'avait pas insisté. C'était sa vie, après tout, et peu importe la place qu'il y avait, il ne pouvait pas choisir pour lui comment la vivre, dicter ses moindres actions. « Mais donc même pas tu me demandes comment ça s’est passé ? Si ça s’est bien passé ? Si j’ai aimé ? » Lyall leva les yeux au ciel, trop habitué à l'attitude de son meilleur ami. Celui-ci était une véritable drama queen, l'avait toujours été, et le jeune garçon était tout simplement devenu insensible à ses tentatives de séduction (enfin... séduction... pas dans ce sens-là, obviously, mais voilà. Ses tentatives pour apparaître comme l'ange qu'il n'est pas. Voilà, mieux). La preuve, quand Connor en rajouta une caisse (puis une deuxième, puis une troisième, allant même jusqu'à lui donner un petit coup de pied), il se contenta de contempler ses ongles, comme si de rien n'était. Puis il releva la tête vers lui, et le regarda de manière complètement impassible. « Pardon, tu disais quelque chose ? Tout ce que je pouvais entendre c'était "blablabla je me plains je me plains blabla" » répondit-il. La tête de son meilleur ami le fit éclater de rire, et il lui sourit, le regard pétillant de malice. « Awwww, mais je plaisaaaaante, fais pas cette tête ! Raconte tout à grand frère Lyall, il est la voix de la raison » ajouta-t-il en passant son bras autour de ses épaules. Il lui fit un clin d'œil, fanfaron en apparence. Mais derrière cette façade joyeuse, il se sentait extrêmement mal à l'aise. Et ce n'était pas parce qu'ils abordaient ce sujet précis, non. C'était autre chose, une sorte de malaise, de boule dans son estomac. Ça lui rappelait étrangement ce qu'il avait ressenti, la première fois qu'il avait vu son meilleur ami avec ses parents, au sein d'une famille alors heureuse. De la jalousie. Mais il chassa très vite cette pensée. Non. Ce n'était pas ça. Évidemment pas. Pourquoi ça serait ça ? C'était stupide. Jaloux de quoi ? De qui ? Ça n'avait aucun sens.

Non, ça n’avait aucun sens, et c’est pour cela qu’il chassa très vite cette idée de ses pensées. De la jalousie ? Pff, n’importe quoi. Il aurait mieux fait d’écouter son meilleur ami se confier à lui, au lieu d’imaginer des trucs pareils. Vraiment, pourquoi serait-il jaloux ? Il n’était pas gay, pas intéressé par Connor – hey, ils étaient presque de la famille, maintenant, surtout quand on comparait la proximité de Lyall et de Lydia avec les Barton, et celle, complètement inexistante, entre eux et leurs supposées familles – et certainement pas intéressé par le jerk, comme ils l’appelaient, yerk, jamais de la vie. Non, vraiment, il ne savait pas ce qui lui était passé par la tête. Probablement qu’il avait rêvé, imaginé ce sentiment. Il avait disparu tellement vite, Lyall ne pouvait même plus dire s’il l’avait ressenti. Pourtant, le malaise persistait. Et il n’allait, l’adolescent ne pouvait pas mentir, qu’en augmentant. A mesure que Connor se confiait, lui ouvrait son cœur, il ne se sentait que de plus en plus mal. Apprendre, d’abord, que son meilleur ami ne s’était pas directement confié à lui, fut comme un choc pour le jeune garçon, un coup dans l’estomac. Non, Connor ne lui avait jamais dit, avant, qu’il pensait qu’il y avait quelque chose entre lui et l’autre, et cela, pour sa plus grande surprise, faisait du mal à Lyall. Ca le… vexait. Ce qui était idiot. Il avait bien conscience que si son meilleur ami ne lui en avait pas parlé, c’était parce que, malgré sa façade assurée, il avait tout de même ressenti une certaine anxiété face à la situation incertaine dans laquelle il se trouvait. Il avait eu peur de se tromper, ce qui était compréhensible, et Lyall avait tort de lui en vouloir pour ça. Mais il n’avait aucun contrôle sur ses sentiments, et la vérité était indéniable : c’était bien de l’amertume, qu’il ressentait. L’entendre, ensuite, raconter comment un autre garçon… l’avait… séduit, le dérangeait, tout simplement. Putain, je hais ce jerk. Je veux qu’il disparaisse de nos vie, je veux qu’il dégage, je ne veux plus jamais qu’il touche Connor. J’ai envie de le frapper, je le hais je le hais je le hais. Le jeune garçon s’immobilisa brusquement, prenant immédiatement conscience de la gravité et de l’ampleur des pensées qui l’avaient traversé à l’instant. Une peur immense l’emplit, alors qu’il prenait pleine mesure de la situation, une peur panique, paralysante. Son cœur se mit à battre deux fois plus vite, les paumes de ses mains devinrent moites. Sa vision se brouilla. Il regardait devant lui sans rien voir. Tout ce qu’il pouvait voir, c’était la possibilité de la violence qui s’était manifestée dans son esprit, c’était une rage sourde, endormie, peinte en rouge. Il eut soudainement envie de vomir, de hurler, de pleurer. Il ne pouvait plus penser à rien. Il n’entendait plus rien. Juste le sang qui battait dans ses veines, trop fort, trop fort, trop fort. Il ne sentait plus rien. Juste l’odeur de soufre et de mort que laisse derrière lui un champ de bataille. Il était perdu dans un champ de bataille. Il avait oublié qui il était, où il était. Il avait oublié Connor, le fait qu’il lui parlait. Il avait tout oublié, si ce n’est la peur, la peur intense, brutale, entrainée par ces pensées intolérables.

Lyall avait peur. Jamais, jamais, il n’avait pensé comme ça de sa vie. Jamais il n’avait voulu… jamais il n’avait pensé de telles choses. Sure, sometimes, il avait eu envie de voir certaines personnes… "disparaître", se casser, ce que vous voulez, mais jamais il n’avait pensé "je veux me débarrasser d’eux". Surtout, jamais il ne s’était vu les frapper, leur faire du mal. Parce que c’était quelque chose que son père faisait, pas lui. En plus, ça n’avait pas de sens. Il aurait dû être heureux pour Connor, parce que lui l’était, il le voyait bien. Il aurait dû le féliciter, ou non, peut-être pas, mais au moins, lui montrer qu’il le soutenait, que si lui était content de son expérience, alors Lyall l’était aussi. Que tout était parfait pour lui, si ça l’était pour son meilleur ami, et qu’il n’avait rien à dire là-dessus. Mais il ne pouvait pas faire ça, pas s’il voulait rester honnête avec lui-même, et avec l’autre adolescent. Il ne pouvait pas… laisser passer cette relation, comme si de rien n’était. Pourquoi ? Il n’en était pas sûr. Peut-être était-ce parce qu’il s’agissait du "jerk", justement, et qu’il pensait, non, savait, que Connor méritait mieux que ça, qu’une espèce de coup en douce dans les vestiaires ? Qu’est-ce que c’était que ça, anyway ? Depuis quand le jerk était gay ? Comment allait-il traiter Connor ? Lyall craignait qu’il se comporte mal, comme l’un de ces hommes tellement bloqués par leur éducation, leur manière de penser, qu’ils refusent en bloc leur identité, leur orientation. Et s’il faisait du mal à Connor, après ça, hein ? Lyall ne pourrait pas le supporter. L’idée même réveillait en lui une haine profonde, entière. Mais cela n’excusait pas ses pensées. Elles étaient horribles, méprisables. Il était méprisable. Et ça le terrifiait, ce que ça le terrifiait. « Hey, Lyall. Qu’est-ce q’il y a ? On dirait que tu as fais un cauchemar éveillé … » L’adolescent sursauta au contact de son meilleur ami, et ce n’est qu’à ce moment qu’il se rendit compte que son cœur battait à la chamade, et qu’il avait complètement "zoné", oubliant la présence de Connor à ses côtés. Il frissonna, comme s’il venait de sortir d’un bain glacé, et fit un pauvre sourire à son plus vieil ami, essayant de dissimuler son trouble. Il devait se reprendre. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé, mais il ne pouvait pas laisser de telles pensées prendre le contrôle de son esprit. « Je suis désolé… J’ai… je ne sais pas ce qu’il s’est passé, j’ai eu… » Il se mordit la lèvre, incertain sur la manière de formuler sa pensée. Il réalisait qu’il ne pouvait pas dire la vérité à Connor, et il en souffrait. « Je sais pas. Des mauvaises pensées. » Il grimaça. « On peut parler d’autre chose ? Je suis désolé. Est-ce que tu vas le revoir, du coup ? Vous êtes ensemble ? » questionna-t-il, afin de changer de sujet.

Des cauchemars... Lyall en faisait tant, depuis tant d'années, qu'il s'y était presque habitué aujourd'hui. Il avait appris à ne plus hurler en se réveillant, à maîtriser, à contrôler. Mais parfois, le rêve était trop vivace, trop brutal. Lyall se réveillait en sursaut, mais ne reprenait pas immédiatement conscience de la réalité autour de lui. Les images cauchemardesques continuaient à défiler devant ses yeux un moment, si réelles qu'il avait du mal à croire qu'elles n'existaient pas. C'était particulièrement horrible quand il dormait chez Connor, parce qu'alors, il avait un témoin. Quelqu'un qui assistait à ces moments de faiblesse, à ces instants où les démons qui le hantaient étaient le plus proche de la surface. Il arrivait qu'il ne puisse pas le cacher, pas le dissimuler, et qu'il réveille son meilleur ami. La honte, l'embarras ressenti dans ces moments-là le poussait souvent à prétendre qu'il allait bien, qu'il ne s'était rien passé, alors que tout deux savaient pertinemment bien que ce n'était pas le cas. Un peu comme aujourd'hui. Pourtant, aujourd'hui était différent. Lyall n'avait pas fait un cauchemar, après tout. Il avait eu des pensées monstrueuses, voilà tout. Des pensées qui révélaient bien qu'il ressemblait plus à son père qu'il aimait le prétendre. Mais il ne pouvait pas avouer ça à Connor. C'était quelque chose dont il ne pouvait pas parler, même à son confesseur. Alors il avait juste... décidé de ne pas en parler. Et de demander à son meilleur ami comment ça s'était passé, et surtout, ce qu'ils étaient maintenant. Parce qu'il s'inquiétait pour lui. Il voulait qu'il soit heureux, et qu'il soit sûr d'être avec la bonne personne. Il voulait juste s'assurer que tout allait bien. Pour lui, c'était évident que puisqu'il y avait quelque chose entre eux, les deux jeunes hommes devaient en discuter. Connor devait s'assurer que le jerk n'allait pas mal se comporter avec lui, il devait établir les règles de leur relation, s'assurer que l'autre souhaitait être avec lui. Mais comme il le connaissait, Lyall savait qu'il devrait probablement lui rappeler de le faire. C'est pourquoi il aborda le sujet. Il fut complètement pris à dépourvu par la réaction de Connor. Comment ça, "qu'est-ce que tu veux dire par ensemble?" ? Ça lui semblait plus qu'évident. Lyall fronça les sourcils, confus. « Oui c'est... c'est génial ça, mais... est-ce que vous êtes officiellement un couple ? Je veux dire, est-ce qu'il assume d'être avec toi ? Parce que si ce n'est pas le cas, il ne te mérite pas ! Tu devrais être avec quelqu'un qui tient suffisamment à toi pour ne pas vouloir se cacher » répondit-il finalement, explicitant sa pensée. Il n'était pas certain de comprendre ce que Connor avait voulu dire quand il lui avait demandé ce que signifiait pour lui "ensemble". Il espérait avoir été suffisamment clair cette fois, et que Connor n'aurait plus de doutes sur ce dont il parlait.

Lyall était... plus que confus, oui. Il n'était pas sûr de comprendre ce qu'il se passait avec Connor. Pouf lui, ça semblait si évident, si simple, si normal, qu'il n'arrivait même pas à comprendre dans quel état d'esprit était son meilleur ami, la manière qu'il avait d'envisager les relations amoureuses. C'était quelque chose qui allait de soi, qui ne pouvait même pas être remis en question. On était forcément avec quelqu'un parce qu'on ressentait quelque chose de fort pour eux. De fait, il était complètement perdu, à présent, et la réaction de son meilleur ami l'avait véritablement pris au dépourvu. Le jeune homme avait pâlit alors que Lyall s'expliquait en détail, avant de murmurer un "what" tellement faible qu'on avait l'impression qu'il n'arrivait pas à respirer. Puis il s'était éclaircit la gorge, visiblement extrêmement mal à l'aise, et avait ricané nerveusement. Lyall avait haussé un sourcil, à la fois intrigué et inquiet, incertain quant à ce qui aurait pu entraîner une telle réaction de la part de l'adolescent. Puis il l'avait écouté essayer de s'expliquer, et aurait ri à son regard interloqué, s'il n'avait pas commencé à être réellement inquiet pour Connor. Il avait l'impression que le jeune homme allait avoir une crise cardiaque, et à mesure que les secondes s'écoulaient, il trouvait ça de moins en moins amusant. L'autre lycéen le tenait toujours dans ses bras, il ne pouvait donc pas le regarder de face, observer chacune de ses réactions en détail. Il n'arrivait pas à le lire correctement, à voir se traduire sur son visage, la nature de ses pensées. Il était dans un état de grande confusion, qui ne fit qu'augmenter à la question que lui pausa ensuite le brun. Cette fois-ci Lyall s'écarta un peu de lui, profondément surpris, et le regarda, les sourcils froncés. Il cherchait les signes d'une plaisanterie, le pétillement malicieux si caractéristique de ces iris tant familières. Mais il ne le trouvait pas. Non, tout ce qu'il trouvait, c'était du choc, de l'inquiétude, voire même... de la peur. Comme si Connor était effrayé par quelque chose. Et Lyall, malgré toute sa bonne volonté, n'arrivait pas à comprendre par quoi. Cela le déstabilisait grandement. Lui qui avait toujours été capable de lire son ami comme un livre grand ouvert se retrouvait soudainement confronté à une énigme inattendue, qui le laissait complètement dérouté. « Comment ça, "où est-ce que je suis allé chercher ça"? Vous l'avez fait, non? Mais vous n'êtes pas ensembles? Enfin, je ne sais pas, vous n'êtes pas un couple? Vous l'avez juste fait... comme ça? Tu ne veux pas être avec lui? » Non, Lyall ne comprenait pas. Ils avaient couché ensemble. Et c'était tout? Il n'y aurait rien de plus entre eux? Connor ne voulait rien de plus entre eux? Il ne comprenait pas. Pourquoi ne semblait-il pas vouloir de relation amoureuse? Le sexe n'était-il pas qu'une petite part de tout un ensemble, de la construction de quelque chose à deux? C'était tout du moins ce que Lyall pensait. Mais peut-être qu'il était "vieux-jeu", peut-être que c'était plus drôle de n'être ensemble que pour ça. Mais cela n'expliquait pas l'air de faon terrorisé qui n'avait pas quitté son meilleur ami depuis quelques minutes. Le jeune garçon ne se l'expliquait pas, vraiment pas.

A quatorze ans, Lyall n'avait encore jamais eu de relation stable. Il avait embrassé quelques filles, bien sûr, ici et là, en camps de vacance, lors de soirées d'anniversaires, mais c'était des petits bisous très rapides, leurs lèvres se rencontrant, sans plus. Il avait, il est vrai, eu une "amoureuse" quand il avait sept ans. Il lui avait avoué qu'il était amoureux d'elle, dans la cours de récréation, avec les ricanements de Connor en fond sonore, elle l'avait embrassé sur la joue, il l'avait timidement prise par la main. L'espace de deux semaines, ils avaient été le couple le plus adorable de la Terre. Puis l'été, et avec elle, les vacances, était arrivée, la jeune fille avait déménagé en Espagne, et ils en étaient restés là. Depuis, Lyall n'avait pas réellement montré d'intérêt pour quiconque. Il avait eu quelques "crush" si et là, bavait sur Scarlett Johansson et Emma Watson comme à peu près tous les garçons de son âge – que voulez-vous, il aimait les blondes – mais jusque ici, ce n'était jamais aller plus loin. Bien sûr, il arrivait au jeune homme d'avoir des... besoins, comme avait dit sa mère quand elle lui avait donné "the talk" (moment le plus embarrassant de sa vie so far, il avait envie de se plonger dans une bassine d'acide rien qu'en y repensant), mais cela n'avait jamais abouti à quelque chose de plus réel. Le jeune garçon prenait son temps, voilà tout. Il n'était pas "pressé" de le faire. Il voulait d'abord trouver quelqu'un avec qui il avait... une "connexion". Appelez-le romantique à pleurer si vous le voulez, mais c'était comme ça. Il était bien occupé par ses études, par ses problèmes familiaux, et bien trop plongé dans la danse, pour en faire sa préoccupation première. Il n'avait pas le temps de trouver "cette" personne, puisque pour lui, le sexe venait après les sentiments. Pour autant, cela ne voulait pas dire qu'il désapprouvait Connor, et ses actions. Les deux garçons avaient toujours su qu'ils étaient comme le jour et la nuit, et Lyall l'avait toujours accepté tel qu'il était. Cela ne changerait pas parce qu'il couchait sans sentiments. Il faisait comme il le sentait. C'était sa vie, et s'il préférait la vivre de la sorte, alors Lyall était heureux pour lui (du moment qu'il ne le faisait pas avec des abrutis tel que le jerk, yerk, quelle idée). Mais cela n'expliquait toujours pas la réaction abrupte, voire même carrément paniquée, de son meilleur ami. Il s'était trompé, était parti du principe que Connor voulait être en couple. Bon. Cela ne justifiait pas cette réaction, si? « Je ne veux pas être avec lui … Je veux être en lui … Ou lui en moi … C’est tout. » Lyall grinça des dents devant la crudité de ses paroles. Pff, on voyait bien que ce n'était pas lui qui était catholique pratiquant, ici, et qui devait se confesser régulièrement. Sérieusement. « Ok... Je vois » répondit-il avec un sourire qui se voulait rassurant, prenant sa main dans la sienne et la serrant brièvement. « Je comprends tout à fait, ne t'inquiète pas. C'est pas la peine de paniquer comme ça ! Je ne vais pas te juger pour ça. Tu es mon meilleur ami, je me fiche que tu vois quelqu'un juste pour le sexe. Promis. » Lyall se mordit la lèvre. Il avait besoin de s'assurer que Connor savait ça. Qu'il l'acceptait comme il était. Il était essentiel qu'il en ait conscience, qu'il n'ait aucun doute sur ça.

Son regard, il le savait, transpirait l'inquiétude. Il n'y pouvait rien. Connor était ce qu'il avait de plus précieux au monde. L'arrivée du jeune homme dans son existence, il y a maintenant dix ans environ, l'avait transformée pour toujours. Elle lui avait apporté une nouvelle saveur, une nouvelle teinte. Il était comme une tâche de couleur, brillante, éblouissante, sur un fond noir. Il lui avait probablement sauvé la vie, à de nombreuses reprises, sans même le savoir. Lyall l'admettait volontiers. Il avait été une barrière contre son père, il lui avait offert de nouveaux horizons, de nouvelles responsabilités. Il lui avait offert l'espoir, ce qui était, il fallait le dire, ce dont Lyall avait eu le plus besoin alors. Ce dont il avait eu désespérément besoin. Il était venu vers lui, et avait fait d'un jour banal, probablement le plus important de sa vie. Et ça, jamais le jeune garçon ne pourrait l'oublier. Il lui serait toujours redevable. Rien que pour ça, il se devait de le soutenir, de rester à ses côtés. Mais ce n'était pas la véritable raison, bien sûr. Leur lien étaient beaucoup plus profond que ça. Il tenait à Connor, plus que tout. He was the single most important thing in his life. Il était son rayon de soleil personnel, qui brillait, là, haut au-dessus de lui. Et c'était pour ça qu'il voulait le protéger à tout pris. C'est pour ça qu'il voulait le préserver, prendre soin de lui. Parce que Connor le méritait. Parce qu'il était incroyable, magique, et qu'il fallait à tout prix que cela reste comme ça. Lyall n'avait pas pu le protéger de la tragédie, du désespoir, la première fois. Il n'en avait pas eu les moyens, et avait échoué. Parce que ce drame là était trop gros, inévitable. Il avait regardé l'innocente naïveté de Connor s'écrouler devant ses yeux, sans pouvoir rien faire. Il l'avait vu changer, fondamentalement. Quelque chose s'était irrémédiablement brisé en lui, et l'adolescent avait été complètement impuissant. Il ne laisserait pas cela se reproduire. Il ne pouvait pas protéger Connor contre tout, il en avait pris conscience. Mais il pouvait au moins lui apporter son soutient en toute circonstance. Je ne t'abandonnerai pas, se dit-il, alors qu'il observait son meilleur réagir à ses mots. Ce dernier n'avait visiblement pas envie de continuer cette conversation, Lyall pouvait le voir. Il décida de détourner la conversation de lui, ce qui le pris totalement au dépourvu. Il resta un instant immobile, jusqu'à ce que le pouce de Connor vienne caresser le dos de sa main. Ce contact envoya une impressionnante décharge électrique dans son corps. Il sursauta, surpris par cette réaction qu'il ne s'expliquait pas, et fronça les sourcils. Qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'il venait de se produire? Qu'est-ce que c'était cette réaction? Pourquoi il avait ressenti ça? Qu'est-ce que... « Y’a quelqu’un qui t’intéresse ? » son cœur eut un raté. Son regard se verrouilla sur celui de Connor, incapable de s'en détacher. Il déglutit avec difficulté. Son estomac se mît à faire des salto arrière. Et son cerveau dérailla. Toi pensa-t-il, comme ça, sans le prévenir. Toi répéta-t-il, catégorique, insistant. Le monde de Lyall s'écroula. « Pa... pardon?! » bafouilla-t-il, alors qu'il ne comprenait même pas encore tout a dit ce qu'il venait de se passer. Son univers entier venait d'être chamboulé.

Toi. Ce petit mot, infime, ridicule, insignifiant en temps normal, se répercutait dans son esprit. Il jouait en boucle comme un CD rayé, il résonnait, se répétait. Toi, toi, toi, toi. C'était comme s'il ne le comprenait pas, et que son cerveau cherchait désespérément à l'imprimer à l'encre noire dans son esprit, pour qu'il ne puisse plus en ressortir. Il restait bloqué sur ce mot, cet unique mot. Pourquoi, mais pourquoi avait-il pensé une chose pareille ? Pourquoi continuait-il à penser ça ? Wait. Wait. Est-ce que ça voulait dire... qu'il avait des sentiments pour Connor ? Non, non, ce n'était pas possible. Non non non non non. Ça ne pouvait pas lui arriver. Il n'était même pas gay ! Enfin, il ne s'était jamais vraiment posé la question mais... et puis même ! Il ne pouvait pas être am... ressentir quelque chose pour Connor. Ça... Ça briserait leur amitié. Il le savait. Ça serait la pire chose qu'il pourrait lui faire, qu'il pourrait leur faire. Il ne pouvait pas... Non. Non, c'était n'importe quoi. Tais-toi tais-toi tais-toi s'entendait-il presque hurler dans son cerveau. Il avait l'impression d'y voir deux armées s'y affronter. D'un côté la révélation, de l'autre le déni. Il cherchait par dessus tout à penser à autre chose. Mais c'était difficile. Le contact des mains de Connor était devenu presque brûlant, et face à la réaction de Lyall, il avait répété sa question avec amusement. L'adolescent sentit sa respiration se coincer dans sa gorge. Il le regarda jouer avec ses doigts sans vraiment le voir, le cœur tambourinant dans sa poitrine. C'est à peine s'il entendait ses moqueries, ses petites piques innocentes. D'habitude, il aurait levé les yeux au ciel, l'aurait gentiment bousculé du coude, tout en affirmant qu'il n'était certainement pas gêné, non mais n'importe quoi. Mais là, il en était tout simplement incapable. Ce n'est que la question suivante, ce "c'est qui" plein de curiosité innocente, qui le fit réagir. Il cligna plusieurs fois des yeux. Cette question le brûlait, le paniquait. Il secoua la tête. Il ne penserait pas à ça. Il ne devait pas penser à cette idée folle qui l'avait traversé. C'était juste... une création de son esprit, sans aucun sens. Il déraillait, voilà tout. Il avait été tant surpris par l'annonce de son meilleur ami, qu'il en avait perdu la tête quelques instants. Rien de plus, rien de moins. Ça ne voulait rien dire. Absolument rien. « Vous allez le faire, tu crois ? En plus on a toujours tout fait ensemble ! Ce serait cool qu’on fasse ça ensemble aussi !! » Les yeux de Lyall manquèrent de sortir de leurs orbites. Bon sang, mais qu'est-ce que cet imbécile heureux racontait, encore ?! Est-ce qu'il se rendait compte à quel point ses paroles étaient subversives? Ne voyait-il pas le double-sens? Ne percevait-il pas a quel point elles pouvaient être mal interprétées? Non, évidemment que non. Parce que c'était de Connor Barton, dont il s'agissait ici. Il ne plaisantait pas, oh non. Il était mortellement sérieux. Il était véritablement enthousiaste à l'idée de... d'avoir sa première fois en même temps que son meilleur ami. Parce que c'était Connor. Et que c'était le genre de truc qu'il trouvait super cool. Qu'il n'était pas comme la plupart des gens, et que ce genre de chose ne l'embarrassait pas le moins du monde. C'était atroce. Lyall avait l'impression d'être en face d'un enfant de huit ans qui parlait d'aller acheter des bonbons. Mais non. Il était bel et bien face à un adolescent entrain d'évoquer l'idée de faire l'amour pour la première fois au même moment. Unbelievable. « Je sais utiliser des préservatifs, merci bien » grommela-y-il, se pinçant l'arrêté du nez. God, mais pourquoi était-il farci d'un meilleur ami pareil? « Et t'as vraiment aucune honte, hein? » ajouta-t-il, plus amusé qu'autre chose. Ce garçon était incroyable.