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 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"

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MessageSujet: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 1:07

Je me présente, je m'appelle Noah Sebastián Valdivieso, 34 ans. Je suis né(e) le 6 juin 1980, à Córdoba (Argentine) et j'habite à Londres, dans le très particulier quartier de Kensington. Je suis par ailleurs so gay it kinda hurts, et puisque la question vous brûle les lèvres, je suis malheureusement célibataire, et c'est parfait comme ça. Que vous dire de plus si ce n'est que dans la vie je suis  actuellement acteur de musicals, incarnant Javert dans les Misérables, spécialiste des bad-guys-badass et que mon rêve le plus fou serait d'obtenir l'approbation inconditionnelle de mes pairs. Et de moi-même. Surtout moi-même. Et incarner Mr Thenardier sur scène. Oh, par contre, il y a ce léger détail que vous devez savoir sur moi, je suis bruyant, extravagant, extrême dans la plupart des choses que je fais. And I can sport high heels. Voilà, c'est tout pour l'instant. And by the way, nice to meet you!
single ticket ▬ feat. ramin karimloo
   « When you fall on your head, do you land on your feet? Are you tense when you sense there's a storm in the air? Can you find your way blind when you're lost in the street? Do you know how to go to the heaviside layer? Because Jellicles can and Jellicles do. »
Introduction: About Helen Joyce & Sebastián Valdivieso

Helen Valdivieso, née Joyce, était une héroïne. Pas seulement aux yeux de son fils, pas seulement comme une mère peut l’être pour son enfant, mais une véritable héroïne. Quelques ouvrages historiques mentionnaient probablement son nom, dans d’interminables listes de résistants intellectuels au Proceso de Reorganización Nacional argentin. Née en Angleterre, elle s’était spécialisée au cours de ses études de sciences politiques dans l’histoire des régimes d’Amérique du Sud et de leurs dictatures successives. Femme d’une intelligence rare et d’un acharnement à toute épreuve, elle avait fait ses armes dans son pays natal par une thèse révolutionnaire sur la Décennie Infâme. Ces simples faits auraient pu suffire à la rendre exceptionnelle: grandiose féministe, elle avait, par le travail, l’acharnement, une croyance farouche en l’égalité, prouvé à tous ceux qui doutaient de sa légitimité comme chercheuse et auraient voulu la renvoyer à ses fourneaux qu’elle aussi était digne d’apporter sa pierre à l’édifice. La jeune Helen Joyce avait enchaîné les publications, les articles, les colloques. A trente ans, elle avait définitivement hissé les voiles pour le pays de toutes ses passions, et pris une place d’enseignante-chercheuse à l’université de Córdoba, Argentine. La Docta. Elle y avait poursuivi ses recherches, sans jamais se départir de son acharnement. Elle y avait aussi fait la rencontre de Sebastián Adelmar Valdivieso, docteur en médecine. Deux ans plus tard, ils se mariaient. Quelques mois après leur mariage avait lieu le coup d’Etat du 24 mars 1976, aube de la dernière dictature militaire d’Argentine.
La raison la plus élémentaire aurait voulu qu’elle rentre aussitôt en Angleterre. Elle ne l’avait pas fait. Sa fierté lui avait ordonné de rester ici, de conserver son poste, de rester aux côtés de ses étudiants. En Unión y Libertad, disait la devise de son pays d’adoption - elle avait suivi ces mots. Aux yeux de la junte militaire, elle avait pourtant tout d’une figure à abattre. Femme, sa place n’était pas dans les universités nationales. Étrangère, elle se tenait sous l’accusation fallacieuse de voler un emploi. Enseignante passionnée et éclairée, elle était susceptible d’entraîner à sa suite toute une bande de jeunes révolutionnaires en puissance. Quand le ministère Bruera exigea à tous les professeurs de remettre leurs noms et CVs complets aux militaires, elle s’exécuta avec toute la sérénité d’une future martyre. Quand ses collègues démissionnèrent, elle accueillit une partie de leurs élèves dans ses classes. Quand certains de ceux qui étaient demeurés commencèrent à disparaître, dans des circonstances plus ou moins obscures, elle resta là. Fière, aussi solide qu’un roc, quand bien même la junte, craignant des insurrections, s’acharnait à réduire au mieux le nombre d’étudiants. En apparence, elle était lisse, impeccable, servant des discours rigoureusement protocolaires à chaque fois qu’un inspecteur en uniforme venait errer dans un coin de sa classe. Le soir venu, elle accueillait tour à tour des groupes d’étudiants chez elle et leur parlait de l’histoire de leur pays, des vérités des dictatures. Les années s’écoulèrent dans cet équilibre précaire entre paraître et transmettre. Elle passait au travers des mailles du filet avec une certaine insolence, quand bien même les victimes, ces desaparecidos, se multipliaient. Elle ne semblait pas réellement connaître ou comprendre la peur. Quelque chose, en elle, semblait hurler qu’elle préfèrerait mourir que laisser faire - au grand dam de son mari, parfois.
L’angoisse ne vint que le jour où elle apprit qu’elle risquait une autre vie avec la sienne. Trois ans s’étaient déjà écoulés à ce rythme. Elle était enceinte. Un accident - elle garda tout de même l’enfant. Elle continua un temps ses classes à l’université puis, quand la grossesse se fit difficile, ne conserva plus que ses cours clandestin. A partir de cet instant, elle redoubla de prudence. Son mari la couvrait toujours, devenu chirurgien de haut vol, quasi-intouchable à défaut d’être insoupçonnable. Ils accrochèrent très hypocritement des photos des généraux dans leur salon, au cas où le doute perdurerait et, avec lui, les surveillances - la moitié des classes se tenaient dans une annexe quasi-désaffectée de l’hôpital, pour plus de sécurité. Les rumeurs s’étaient propagées d’enfants d’ennemis politiques confiés aux familles proches du pouvoir après disparition de leurs parents - la grossesse fut rendue difficile par la terreur. Elle accoucha avant terme d’un garçon, à l’aube du 6 juin 1980 - Noah Sebastián Valdivieso Joyce selon la tradition argentine, simplement Noah Valdivieso pour le reste du monde. Ses classes clandestines s’espacèrent, sans cesser pour autant. Elle ne quitta le pays que trois ans plus tard, par le truchement de l’ambassade anglaise, aux premières heures de la Guerre des Malouines contre sa contrée d’origine, par prudence. Son mari et son fils la suivirent, réfugiés politiques. La junte militaire s’écroula quelques mois plus tard.
Helen et Sebastián Valdivieso regrettèrent longtemps leur fuite, et le fait de n’avoir jamais eu l’occasion de voir leur pays libéré de la dictature. Rétrospectivement, ils réalisèrent qu’ils avaient déjà poussé leur chance impossiblement loin, et que si la liberté valait bien qu’ils risquent leurs vies, elle ne valait pas le sacrifice de leur fils. Depuis l’Angleterre, ils œuvrèrent de leur mieux à révéler les méandres et vices du très ironiquement nommé « Processus de réorganisation nationale », co-signant dorénavant les publications de la chercheuse. Devant les troubles de la restauration de la démocratie, l’amnistie des responsables de la junte militaire et l’atroce situation financière de l’Argentine, ils choisirent, prudemment, de rester en Angleterre pour élever le jeune Noah. Des décennies durant, Helen reçut des lettres de ses anciens étudiants, leur envoya ses propres ouvrages, souriant tendrement de voir les graines qu’elle avait semé grandir en liberté. Ils avaient accompli leur mission, à leur échelle, fait de leur mieux. Une seconde s’ouvrait: transmettre cet héritage à leur fils, puis à la fille qui vit le jour huit ans plus tard, Soledad Helen Valdivieso Joyce. Ils ne virent l’Argentine plus que ponctuellement, visitant tous les ans un pays comme d’autres visitent un vieil ami.


I - Five-hundred-twenty-five-thousand-six-hundred-minutes

Vivre en Angleterre, dans un confortable quartier de la banlieue de Londres, ne changea rien au fait que Noah grandit dans la culture et dans l’amour de son pays d’origine. Très tôt, il comprit quel rôle ses parents avaient bien pu jouer dans l’histoire de ce dernier. Très tôt, il en retira une fascination profonde. Son père, longtemps, ne s’exprima que dans un anglais bancal, et encore avec un profond accent - le quotidien du jeune garçon fut donc bercé par la langue espagnole, qu’il comprit bien plus tôt que la langue anglaise et qui demeura près de deux décennies durant son vocable le plus naturel. Couvé, il fut un temps extrêmement timide, ce qui ne favorisa en rien une intégration dans un pays qu’il avait pourtant rejoint très jeune. En réalité, il semblait toujours vivre dans l’attente du mois qu’ils passaient religieusement en Argentine tous les étés. Là-bas, tout lui semblait plus simple. Plus naturel. Bercé par une langue, bercé par une histoire, bercé par un réseau tout entier de symboles et de références, il s’y sentait chez lui. Il y avait sa grand-mère, aussi. Mamie Aldana, comme il l’appelait tendrement, qui avait été trop attachée à ses terres pour les quitter. Il était son préféré, et il en retirait une fierté immense. C'était une grande femme, solidement bâtie - elle avait les yeux très sombres, d'une chaude teinte chocolat, toute proche du noir, il lui ressemblait. Elle dégageait une profonde tendresse, soigneusement dissimulée sous ses allures de froideur. La moindre pitrerie du gamin suffisait à lui arracher un rire, aussi beau qu’il était soudain. Elle le prenait sur ses genoux à chaque fois qu’il en manifestait l’envie, le berçait avec la patience d’un ange. Quand il fut en âge d’apprendre, c’est elle qui lui enseigna les bases du tango argentin. Elle lui disait, tendrement, de ne jamais oublier ses racines. Elle l’appelait Noé, le recouvrait d’amour.
Et quand il revenait en Angleterre, il regrettait un pays qu’il avait toujours considéré comme le sien.
A côté de la fascination et de la révérence qu’il éprouvait pour ses racines, il y eut aussi, bientôt, la frustration. Il regardait ses deux modèles, son père, sa mère, et sentait naître en lui l’intolérable sentiment d’impuissance d’un enfant qu’il sait qu’il n’atteindra jamais la même grandeur. Très tôt, il se sentit stupide. Il n’avait que quelques passions: la danse, la musique, le chant, son pays d’origine. Rien ne lui semblait atteindre ne serait-ce que la cheville de ce que Helen et Sebastián Valdivieso avaient pu accomplir - puisqu’il n’avait rien de « grand », il était un incapable. De honte, il minimisait ces choses, prétendait haut et clair qu’il deviendrait un jour médecin, comme papa. Quand sa mère, pour l’avoir vu follement heureux durant les leçons de sa grand-mère, l’inscrivit à des cours de danse, il s’efforça de faire passer son fol enthousiasme pour de la simple joie. Dans son cerveau d’enfant, il avait peur, peur d’être terne, peur de ne pas être grand chose, peut de ne pas pouvoir, lui aussi, aider à changer le monde, peut d’être quelconque. Il avait grandi dans la vénération du courage sous sa forme la plus brute, militante et historique - il avait peur de ne jamais être capable d’en faire autant. A défaut, il serait brillant. Un cerveau à défaut d’être un poing qui se lève. Peut-être que ses parents seraient, alors, fiers de lui.
Pourtant, l’école n’avait jamais été tout à fait son truc. C’était peut-être une conséquence directe du fait qu’il avait été ce gamin étrange, qui traîne dans les coins de la cour de récréation en regrettant son pays natal. C’était peut-être une conséquence directe du fait qu’il s’était vite révélé pratiquement incapable de prêter longtemps attention à toute chose qui ne le stimulait pas physiquement, ne le poussait pas à agir. C’était peut-être dû au fait, aussi, que malgré tous ses efforts son orthographe restait un véritable petit drame - chaque mot ou presque contenait une faute critique, erreurs d’un gamin pris entre deux langues et presque uniquement sensible à ce qu’il entendait. A son entrée au collège, Noah était intimement persuadé que, toute sa vie durant, on le prendrait pour un imbécile. Grand pour son âge, longue figure dégingandée au fond de la salle de classe, il regardait par la fenêtre et écoutait sa leçon d’une oreille, à moitié mort d’ennui. Son cerveau fonctionnait de curieuses façons. Il ne parvenait à prêter attention qu’à ce qui l’intéressait - et pas grand chose n’atteignait ce saint graal. Il n’avait guère pour lui qu’un goût farouche pour le sport, une fabuleuse énergie à dépenser, ce qui eut la conséquence fâcheuse de le classer bien vite dans la catégorie des athlètes décérébrés. Décérébré, il ne l’était en rien. Peut-être que cette réputation aurait été nuancée s’il avait avoué les classes de danse qu’il suivait depuis presque toujours, s’il avait eu la chance de prouver qu’il s’exprimait aussi dans un espagnol parfait, en somme, s’il n’avait pas été dévoré par le besoin violent de s’intégrer, d’être brillant, oui, mais comme le plus grand nombre l’acceptait. S’il avait été capable d’assumer pleinement le fait qu’il était différent.
La plupart de ses enseignants le prenaient plus ou moins pour une cause perdue. Tous sauf un, en réalité, son professeur de musique. La première fois qu’il avait vu Noah, archétype de cet étudiant fermé à toute leçon, il s’était attendu à ce qu’il se moque de sa discipline, en souligne minutieusement l’inutilité et s’acharne à chanter au plus faux tout ce qui lui était proposé. Mais, quand son tour était arrivé, Noah s’était levé. Une partition bardée d’annotations en espagnol sous les yeux, les sourcils froncés sérieusement, il s’était redressé au mieux, s’était éclairci la gorge, et avait… chanté. Tout naturellement, presque sans effort, il avait laissé les notes se succéder, brutes mais justes, le rythme imparfait mais propre. En ébauche, il avait déjà la puissance, la force, la netteté et le charisme. Bien sûr qu’il n’atteignait pas la perfection, sa mue n’était même pas encore tout à fait achevée, mais il y avait là le point de départ d’un talent. Les phrases, dans sa bouche, semblaient spontanées et faciles - elles ne l’étaient pas. Il était jeune et débutant, en somme, mais le vieillard avait su y lire du potentiel. Quand il s’était approché de Noah à la fin du cours et lui avait demandé « comment? », Noah avait simplement haussé des épaules. Il avait vaguement parlé de la danse, du rythme, de ces opéras qu’écoutait sa mère, du fait qu’il aimait bien ça, qu’il n’y avait aucune raison de s’en émerveiller outre mesure. Que c’était un passe-temps, qu’il ne ferait jamais ça de sa vie, qu’il ne pensait même pas continuer à danser longtemps, qu’il ferait mieux de bosser à l’école, être médecin, comme son père. Il avait passé une main dans ses épais cheveux noirs, presque gêné d’avouer cela, conscient que les chances de réussir étaient bien maigres. Presque gêné de mentir, aussi - il n’y avait guère de moment où il se sentait mieux que quand il s’installait aux côtés de la vieille chaîne hifi de sa mère et tentait de suivre les notes de Madame Butterfly, ou quand, avec un acharnement presque barbare, il tentait de perfectionner un arabesque. Son professeur avait simplement rit. Le tout premier, il avait posé une main sur ses poumons, l’autre sur son abdomen, et lui avait dit de chanter en l’obligeant à respirer proprement. Le tout premier, il avait fermé les yeux pour mieux entendre et sentir. Il lui avait appris. Fort d’une expérience d’opéra, il lui avait enseigné la phonétique pour contourner ses traces d’accent. Il lui avait appris à lire la musique, et, mieux encore, à la comprendre. Il lui avait dit que ça n’était pas simplement du chant, que c’était aussi un complexe jeu d’acteur. Une à une, il avait jeté toutes les bases sur lesquelles un homme se construirait un jour. Quand Noah, presque angoissé de sa propre implication, lui rappelait que ce n’était qu’une passion, il avait de ces petits sourires entendus. Le vieux fou. Il savait, probablement, voir au-delà de ce petit mensonge - lire dans les yeux et entendre dans la voix le jeune enfant qui jubile et qui trouve enfin un domaine dans lequel il pourrait un jour exceller.

*

Noah avait seize ans quand sa route croisa pour la toute première fois celle de Anthony Wellington. Tony, pour les intimes - ou plutôt pour tout le monde, comme il aimait à se penser intime avec chaque personne qu’il rencontrait. Son quartier tenait un petit festival de théâtre de rue, organisé à la sauvette par un élu bienveillant - en avaient résulté quelques arcades bouchées par des badauds curieux, et de quoi faire bavarder tout le monde pendant une semaine. Noah revenait tout juste de son cours de danse, encore à moitié en sueur, muscles serrés par l’effort. Il avait été arrêté net par cette grande silhouette blonde, puissante et gracieuse, toute proche du dieux grec comme il se tenait droit et entonnait, superbe, Seasons of Love de Rent. Five-hundred-twenty-five-thousand-six-hundred-minutes. Il avait fallu huit mots, parfaitement articulés, parfaitement chantés, pour que Noah se sente rougir. Comme dans un vieux, mauvais film, il avait été incapable de détourner les yeux. One song glory l’avait fait tressaillir, oublier jusqu’à ses parents qui l’attendaient, à peine quelques rues plus loin, jusqu’à sa petite soeur, qu’il était supposé garder ce soir. Anthony Wellington évoluait avec aisance. Anthony Wellington chantait sans effort. De sa haute taille, il dominait tout le reste de la petite compagnie, de son charisme, il les menait sans vergogne. L’oreille de Noah avait finie par s’accoutumer aux subtilités du chant, et les leçons de son vieux professeur, toujours fidèle à son élève, lui faisaient reconnaître l’impeccable technique que vient doubler le charme. Un instant il descendait la rue, grognant des premières courbatures et de l’épuisement, l’instant suivant il était là, fasciné, cloué sur place par un dieu vivant.
La production, presque improvisée, ne payait pas de mine. Le minuscule budget et le peu de préparation se faisaient sentir - l’importation hâtée dans la rue aussi. La plupart n’étaient même pas excellents, quand il y pensait. Mais Tony rayonnait. Tony était brillant, dans tous les sens du terme. Il devait avoir à peine vingt ans, mais il écrasait le monde par sa présence. Deux ans plus tard, quand Noah entendrait dans Hair les mots « I believe in God, and I believe that God believes in Claude », il songerait à cet instant, et les appliquerait à Tony. Les mouvements des spectateurs avaient fini par l’amener au premier rang et, à un moment donné, les yeux de l’homme avaient croisé les siens. Bleus. Perçants. Pour la toute première fois, Noah avait senti la fascination se mêler à quelque chose d’autre.  Quelque chose de brut, qui avait des allures de passion.


II - I want to tell you that you're doing just fine - you're the product of another time

Et puis le vieux fou était mort. L’infarctus avait emporté avec lui tout le talent de son passé, toute la profondeur de son savoir. Il avait laissé seul l’étudiant qu’il avait pris sous son aile il y avait quatre ans déjà, lui qui, le tout premier, avait trouvé en lui un vrai talent. Il ne l’avait jamais abandonné, avant. Même une fois que Noah avait quitté sa classe, il avait continué à le suivre, fidèle et patient, lui enseignant trois fois par semaine tout ce qu’il se devait d’apprendre pour être plus qu’un diamant brut. Leurs leçons étaient restées leur petit secret - par peur de décevoir, Noah n’avait jamais fait mention de la profondeur de sa passion, tout comme il s’était toujours efforcé de faire passer les leçons de danse comme un hobbie. Il n’avait jamais rien dit à ses camarades de classe, non plus, leur laissant tout le soin de penser qu’il n’avait rien d’extravagant, qu’il n’était qu’un joli visage, quoiqu’un peu grincheux, qui somnolait au fond de la salle. Il n’avait jamais eu de véritable ami, jamais d’autre que ce professeur. Pourquoi en aurait-il eu besoin? Il le connaissait par coeur, mentor et confident.
Et puis le vieux fou était mort. Un jour, il ne s’était pas présenté dans la vieille salle de musique de leur rencontre. Ni le lendemain. Ni le surlendemain. Le journal avait fini par lui apprendre la nouvelle, et il avait senti sur son coeur tout le poids de la solitude. Il ne saurait pas vraiment expliquer ce qui lui était passé par la tête à cet instant. Sûrement que son besoin d’apprendre était plus fort que tout, sûrement que son besoin de reconnaissance ne connaissait aucune limite, sûrement qu’il s’était renié trop longtemps. Sûrement que tout ce qui lui avait donné une chance, même minuscule, de se sentir un intérêt, de se sentir une valeur, venait de disparaître. Il avait juste… retrouvé le nom de la compagnie qu’il avait croisé dans la rue, retrouvé le nom du dieu blond et, un petit matin, avait toqué à la porte du cinéma où ils répétaient le Rocky Horror. Leur vrai port d’attache, qu’il apprendrait plus tard. Une petite blonde lui avait ouvert la porte, Judith, cachant (mal) derrière son dos un joint encore allumé. Elle l’avait regardé de haut en bas, de bas en haut, avant de se tourner et de hurler dans le couloir « Tony, your dinner is here! ». C’était en balbutiant, du haut de ses seize ans, qu’il avait expliqué à la jeune femme et au dieu blond qu’il venait pour auditionner.
Aquarius était alors une petite troupe de comédie musicale, principalement composée de quelques passionnés qui s’en servaient comme exutoires et de quelques autoproclamés professionnels, comme Tony ou Judith. Un heureux concours de circonstances et une amitié de longue date avec le directeur leur avaient permis de s’installer comme troupe dans un cinéma, exécutant le Rocky Horror sur scène lors de projections spéciales combinant film et musical dans une atmosphère absurde. Quand ils en avaient les moyens, ils montaient de véritables musicals, toujours en quête de subversion - étaient déjà passés au crible Rent, Hair, et ce qui était sûrement la version la plus court-vêtue et étrangement dansée de Cats. Tony était leur meneur, presque à la façon d’un gourou, et leur Frank-N-Furter. Judith faisait la plus sur-tatouée des Columbia. Ils n’avaient pas haussé un sourcil quand il avait avoué ses seize ans, y voyant probablement une occasion supplémentaire de faire naître le scandale. Un sourire avait éclairé le visage de Tony quand Noah avait avoué avoir assisté à leur Rent et sa voix, déjà profonde, s’était révélée impossiblement basse et ronronnante quand il lui avait proposé de chanter le Tango: Maureen avec Judith. « Well, the boy can dance, and the boy can sing », qu’il avait fini par décréter. Cette seule approbation avait fait son bonheur.
Il avait férocement dévoré tous les musicals de la création, assisté à la plupart de leurs représentations et, quelques mois plus tard, avait pris la place du Rocky sur le départ. Ce jour là Tony vint le voir pour la toute première fois, lui, exclusivement lui, lui le petit nouveau de la bande, et Noah le contempla, terrifié. Toujours excessif dans ses sentiments, intimement persuadé de sa propre médiocrité, il l'avait instinctivement admiré, révérant comme il craignait tous les mots qui sortaient de sa bouche. Tony pouvait lui apprendre. Tony pouvait le faire grandir. Et oui, Tony était beau. Il était beau comme un ange - lourdes boucles blondes en cascade sur des épaules solides, regard d'un bleu éclatant, il avait le physique d'un marbre grec et la sensualité d'un immense félin. Il dépassait Noah de près d'une tête - et, quand il se retrouva face à lui, il dut lever les yeux pour avoir une chance de le contempler encore. Le sourire qu'il lui adressa alors lui coupa le souffle. "Hello, sweetheart.", qu'il murmura du bout des lèvres. "Je voulais te parler.". L'immédiate intimité ne le fit vaciller qu'une seconde - la suivante il avait d'ores et déjà décrété que ce que Tony faisait était forcément parfait. Il ne disait jamais non à Tony. Il n'aurait jamais pu l’envisager - et quand Tony laissa traîner sa main le long de son bras, pencha la tête pour murmurer "Embrasse-moi, Noah", comme un dieu ferait une faveur à un mortel, il s'exécuta sans une seconde pensée.
La toute première fois qu’il monta sur scène à demi-nu, il était terrifié. Peut-être que Tony ne voulait, au fond, que s’assurer de sa révélation et avoir un moyen de lui donner confiance, mais ses baisers et ses « You’re a pretty thing, sweetheart, you know », lui donnèrent la force de franchir de pas et de jouer pour la toute première fois un personnage qui lui ressemblait un peu trop.
A partir de là, il s’enfonça dans un autre monde. Pour ses parents, il n’avait trouvé qu’un boulot du soir. Dans les faits, il ne pensait plus qu’à cela. Qu’à Tony. Qu’à cette peur panique qu’il ressentait avant de monter sur scène et qui, comme par magie, se transformait en puissance. Qu’au fait que, pour une fois, il se sentait bon, il avait l’impression d’avoir du talent pour quelque chose. Peu à peu, il cessa d’aller en cours. Peu à peu, une cigarette devint deux cigarettes, puis trois, puis quatre, et puis un joint à fumer pour apaiser le trac. Le jour de ses dix-sept ans, un ami de Tony, tatoueur, accepta de s’attaquer à son bras en dépit de son trop jeune âge, traçant un fin « Five hundred twenty five thousand six hundred minutes » sur son biceps - il fut bientôt rejoint par un réseau complexe de courbes et de vagues, par un large soleil argentin sur son poignet. Il était trop jeune pour tout cela, le savait, mais les doutes s’envolaient d’un simple sourire de Tony. Dans les dérives et l’inconscience, il se sentait en train de naître. Quand il saluait le public, sur scène, on l’applaudissait, et il se sentait vivant. Vivant et aimé.
Le jour où le lycée appela ses parents pour signaler ses absences, ils découvrirent du même coup le bras lourdement tatoué de leur fils. Quand il annonça qu’il ne comptait pas retourner à l’école, ils le chassèrent de la maison, probablement persuadé qu’il reviendrait vite à la raison, s’excuserait. Il ne le fit pas. A la place, il s’installa dans un grand appartement que partageaient Tony, Judith et une partie de la troupe, et fit une croix sur la perspective du baccalauréat. C’est à ce moment là qu’il toucha pour la toute première fois à la drogue - aux cachets. Toutes ces choses qu’il devait regretter amèrement, un jour - mais il était aveuglé par le besoin d’exister, le besoin d’une reconnaissance, le besoin de se sentir une valeur, même infime, même de la pire des façons.
Quelques mois plus tard, il reçut un coup de téléphone de sa mère. S’il décrocha, il n’osa rien dire. Cela ne l’empêcha en rien de lui murmurer, doucement, en espagnol, qu’il pourrait revenir à la maison aussitôt qu’il s’en sentirait prêt. Qu’ils l’aimaient. Qu’ils se faisaient du soucis pour lui. Que si c’était vraiment ce qu’il voulait faire, qu’il prenne le soin de le faire correctement - ils prenaient en charge ses cours de danse, et de nouvelles classes, de chant. La culpabilité l’écrasa d’un seul coup. Ils ne savaient probablement pas la moitié des choses qui se tramaient ici, dans quel bourbier il était venu se fourrer, mais la honte et la fierté l’étouffaient trop pour prononcer ces mots. Il s’en sortirait. Seul. Grandi. Il apprendrait tout ce qu’il avait à apprendre, saisirait sa chance, un jour. Il suivit les classes - se jura de ne franchir les portes de son foyer que le jour où ils pourraient, à nouveau, être décemment fiers de lui.
Un peu plus de trois ans s’écoulèrent à ce rythme. Il eut besoin de toucher le fond pour parvenir à rebondir.

*

Planqué dans les coulisses, juste derrière les rideaux, il regardait la scène avec un immense sourire aux lèvres. Magenta, Riff Raff et Columbia étaient actuellement occupés à faire grimper les virgins du soir - un grand moment, toujours un grand moment, vierges rougissantes pétrifiées sous la lumière des projecteurs, soumises pour la toute première fois aux rires de la foule. Il passa une main sur sa mâchoire, se penchant un peu plus pour mieux y voir. Son sourire parvint à grandir encore. Ses yeux s'attardèrent sur l'une des pauvres victimes - un garçon, à peu près son âge, cheveux d'un blond très cendré, yeux bleus. Pretty boy. Il rit, laissant les plans se dessiner dans sa tête - l'imaginant déjà pétrifié, mortifié sous lui. Une main s'attarda sur sa taille nue, et il se tourna pour voir Tony à ses côtés, pour entendre tout autant qu'il sentit son rire au creux de son oreille. « Still high, sweetheart? ». Assez lucide pour admettre ça, il hocha la tête, sans jamais cesser de sourire bêtement. « See something you like? » Un rire éclata sur les lèvres de Noah, enfantin et lumineux - il frémit quand la bouche de Tony s’appliqua à parcourir son cou. « Yeah. A few things. » murmura-t-il, ses yeux s’égarant une seconde sur sa future victime avant de revenir à l’homme qu’il aimait. Une main parcourut ses hanches, effleura ses reins, ajusta la ligne de son costume de Rocky - costume était un grand mot. Magenta entra en coulisses dans un grand rire diabolique, s’empara d’un cendrier laissé à l’abandon et s’assit à leurs côtés pour rouler un joint. Le temps de l’introduction et Brad et Janet occupaient déjà le devant de la scène - eux étaient assis en tailleur au sol, entourés d’un épais brouillard. Il reposait à moitié sur les genoux de Tony, ronronnant comme la main de l’autre homme redessinait ses côtes, exhalant d’interminables volutes de fumée.
La fumée lui était déjà montée à la tête, quand, de son poste d’observation dans les coulisses, il vit Tony faire son entrée, lumineux, sublime et obscène en Frank-N-Furter. Elle était toujours là quand l’un de ses camarades entreprit de l’enrouler dans les innombrables bandages, serrant sa longue silhouette dans le temporaire écrin. Elle ne se dissipa qu’à peine lorsque, après avoir tiré une dernière fois sur le joint, il fit son entrée, dans l’ombre, s’allongea, attendant patiemment le moment où il serait révélé par son créateur - son Frank-N-Furter, son Tony. Il fut léger, miraculeusement assuré et lumineux quand il put bondir enfin, dépouillé de la plupart de son costume par les mains expertes de Magenta et de Columbia. La foule riait aux éclats - il résistait à grand peine à l’envie de rire lui aussi, peinant à garder son air de stupéfaction. Sa voix s’éleva, sûre, haute et claire sur les premiers mots de Sword of Damocles - à nouveau il était brillant, à nouveau il était vivant. Emporté par l’ivresse, il évoluait sous la lumière, presque nu. C’était d’une façon presque perverse que les remarques salaces nourrissaient son orgueil, l’emmenaient un peu plus loin dans l’étrange communion de ce spectacle. Son regard, pendant une seconde, s’attarda sur le premier rang - et c’est avec un plaisir non dissimulé qu’il y reconnut le jeune homme entr’aperçu un peu plus tôt. Il sourit, ouvrant les bras, y sentant le contact familier des mains caressantes de Magenta et de Columbia - frémit quand Tony se glissa derrière lui, laissa glisser ses doigts sur son torse. Ses yeux, pupilles déjà sombres, rendues presque noires par la drogue, ne quittaient pas le garçon au premier rang - son air de muette stupéfaction, proche de la stupeur. Se détachant de ses trois comparses, il bondit de la scène. Columbia poussa l’un de ses caractéristiques cris d’excitation - il se contenta d’avancer, félin, ivre, pas après pas. Deux yeux bleus le détaillaient, pleins de panique - oscillaient entre son torse, son costume, le tatouage à son bras, son visage. Quand, souple, il vint grimper sur ses genoux, empoigner des deux mains le dossier du fauteuil, il entendit distinctement un hoquet de surprise. Tout proche d’en rire, il bascula simplement la tête en arrière, cambré tout contre l’autre homme, alors qu’il chantait, plaintif, oh, woe is me! My life is a mystery! And can’t you see that I’m at the start of a pretty big downer?! Ses hanches oscillaient, lentement, se balançaient au rythme de la musique - quand il baissa les yeux, ce fut pour voir que sa victime avait rougit, presque intégralement, pétrifié par cette attention. C’est à cet instant seulement que Noah redescendit du siège, se permit un bref sourire insolent. Il savait quel effet il venait d’avoir. Mieux. Il avait senti quel effet il venait d’avoir. Grimpant à nouveau sur scène, il reprit sa place aux côtés de Tony, le laissa le cajoler d’une caresse un peu trop appuyée. Aussitôt l’outrage commis, il était oublié - tout comme l’avait été celui de la veille, tout comme le serait celui du lendemain. Tout allait bien. C’était cela, sa vie. Le pouvoir facile, la force de créer une réaction, les applaudissements.

*

La réalité, c’est qu’il avait tout juste dix huit ans et qu’il avait peur. La plupart du temps le monde était flou, cotonneux et confortable - mais parfois la réalité le percutait de plein fouet, sa paisible illusion se déchirait, et tout lui semblait immense. Terrifiant. Il regardait les autres hommes et femmes qui titubaient dans l'immense appartement. Il était facilement l'un des plus jeunes, et cachait ses angoisses avec la farouche pudeur d'un gamin qui voudrait jouer au grand. Il laissait échapper un rire à la première connerie qui fusait, se rapprochait de la table du salon, tirait sur un joint. Il s'efforçait de noyer l'abominable vie de sa propre existence et de ses propres ambitions. S'efforçait d'oublier la terrible déception dans le regard de sa mère. S’enfoncer était plus simple que réagir.
Le soir venu il était, la plupart du temps, ivre. Ou défoncé. Au moins à une certaine mesure - jamais tout à fait au clair, c'était certain. Tony, dieu vivant, boucles blondes et visage d'ange, le prenait dans ses bras, le cajolait quand la panique le prenait à la gorge avant de monter sur scène. Il ajustait son embryon de costume et susurrait des encouragements, des promesses salaces. Il riait. Naïf. La plupart du temps, c'était le Rocky du Rocky Horror. Pour quelques semaines il fut Woof dans Hair, rôle dans lequel il fut bon par ailleurs, jeune créature dorée chez qui avait été retirée jusqu'à la plus petite parcelle de pudeur. Tony embrassait son front et lui disait qu'il était fier de lui. Il n'avait besoin que de cela. Enfant. Il vivait pour ces mots, pour des "tu as été bon, Noah" murmurés à son oreille, lui qui n'avait jamais été vraiment bon a rien. La moindre approbation dans la bouche de Tony le rendait aussi stupidement heureux qu'on puisse l'être à dix-huit ans. Il suivait ses préceptes comme d'autres suivent un gourou. Il le regardait avec les yeux de la vénération, le souffle coupé quand Tony lui faisait l'aumône d'un baiser. Le rire qu’il recevait quand il lui murmurait qu'il l'aimait lui semblait le rire d'un dieu, la plus belle chose qui lui ait été donnée d’entendre. Amant, mentor, frère, ami. Il acceptait tout de ce seul homme. Sa vie commençait entre les mains de Tony, s'achevait entre les mains de Tony, il n'avait pas d'autre perspective, pas d'autre idole. Il essayait, parfois, d'imaginer son avenir - et se heurtait systématiquement au vide. A défaut il avait décrété qu'il serait plus simple de se laisser aller, au jour le jour, de dépenser en alcool et en mauvais cachets sa paye de la semaine, d'étouffer scrupuleusement sa conscience quand elle venait l'empêcher de dormir, et de prier pour être capable de vivre longtemps à ce rythme. Il avait signé pour les cours de danse et de chant que lui finançaient ses parents, mais, la plupart du temps, il n'y croyait qu'à moitié. Peut être un peu moins encore. Tony lui disait qu'ils n'iraient sûrement jamais plus loin que ça, tous, quelques spectacles qui faisaient le scandale de la semaine, quelques provocations gratuites, et c'est normal, Noah, c'est ça la vie, Noah, range tes espoirs et rejoins moi au lit maintenant. Au moins il était bon à ça.
Sa vie dépendait de Tony. Toutes leurs vies semblaient dépendre de Tony, de son bon vouloir, de ses humeurs, de ses lubies du moment. Il était le cœur de leur simulacre de compagnie, un cœur désabusé et amer. Ébloui par le pouvoir, ébloui par la beauté, Noah lui offrait volontiers ce qu'il lui restait de vie et d'amour propre. Tant pis si Tony avait décrété, seul, que leur relation serait ouverte, tant pis si Tony, seul, choisissait parfois de l'abandonner pour une nuit. Il acceptait. Il pensait qu'il avait de la chance. Que tout irait bien. Que Tony l'aimerait aussi, un jour, tout autant qu'il l'aimait. Il avait envie de pleurer, parfois, gamin balancé un peu trop tôt hors du nid, seul, les poings fermés, incapable de dormir, mais il ravalait ses larmes parce qu'il n'avait qu'à être patient. Tout finirait par s'arranger. Tony, son dieu blond, se contentait de le regarder et de sourire. Laisse toi aller, Noah, et tu seras meilleur. Il se laissait aller. Jamais assez. Et quand il réalisait qu'il demeurait, au fond, un pathétique gamin romantique, il se haïssait farouchement.

*

"Mais quel connard, putain"
Il devait se souvenir encore de ces mots des années plus tard, de l'intonation exacte. Ils avaient été prononcés tout près de son oreille. Il releva la tête, aperçut une magnifique jeune femme, d'interminables cheveux roux. Elle souriait. Elle devait avoir son âge, peut être un an ou deux de plus - d'autorité elle s'installa à ces côtés. "Sasha", annonca-t-elle simplement. Surpris, il finit par répondre "Noah?". Elle éclata d'un grand rire, souriant de toutes ses dents: "The Rocky to my Janet!". A cet époque, il ne soupçonnait pas qu'il serait un jour le Macavity to her Demeter, le Rum Tum Tugger to her Bombalurina, le Sweeney to her Mrs Lovett, le Phantom to her Christine. Il eut juste un immense sourire. Elle bondit sur lui, chantant à tue-tête les premiers vers de Creature of the night. A la fin de leur première représentation ensemble, ébloui, il lui dit qu'elle était extraordinaire. C'est presque incrédule qu'elle lui répondit que lui aussi, honnêtement surprise qu'il en doute.
Il n'apprit que des années plus tard que le "connard" en question était Tony lui-même. Sur le coup, la chose ne lui sembla même pas réellement importante.
Il venait de rencontrer son âme soeur - en quelques sortes. Sasha était brillante, lumineuse, incroyable. Véritable enfant-star introduite dans le milieu des musicals par un père influent et une bonne dose de charisme, elle avait joué son premier rôle impossiblement jeune, comme Eponine muette et gamine. Elle avait déjà prouvé sa valeur en incarnant tour à tour le rôle titre de Annie et celui du petit chaperon rouge dans Into the Woods et, de ces expériences précoces, avait retiré une incroyable assurance. Elle était belle. Très belle. Sa voix? Parfaitement pure. Actuellement en rébellion contre le joug paternel et l’aimable piston dont elle avait été bénéficiaire, elle avait rejoint la compagnie au pied levé en remplacement pour Janet. Ils eurent une relation. Une nuit. Un désastre innommable, au terme duquel Noah eut deux certitudes: il ne pourrait jamais se plier de son côté à l’idée de relation « ouverte » qu’entretenait Tony, et il était vraiment, vraiment, vraiment, profondément gay. Mais non seulement elle ne lui en voulut pas de ses piètres performances sexuelles quand une poitrine entrait en compte, elle en retira une toute nouvelle affection pour lui. Taquine et brillante, elle commença à agir avec lui comme elle aurait pu agir avec son frère jumeau - sans la moindre barrière. Ils tirèrent de la manifeste platonicité de leur relation une force nouvelle et, surtout, impérissable. Elle disparut lorsque leur Janet revint, mais, quand elle remplaça Magenta, quelques mois plus tard, ils se retrouvèrent comme s’ils s’étaient quittés la veille. Quand elle quitta à nouveau la troupe, elle laissa derrière elle la douce certitude qu'elle reparaîtrait un jour, qu'elle serait toujours là, lumineuse et brillante.
Ou peut-être qu'il était juste naïf.

*

Quand il raccrocha le téléphone, il se rendit compte qu’il tremblait de tout son corps. Le bonheur remontait sa poitrine en vagues brutales, l’étouffait presque quand il tentait de respirer. Ses yeux passaient du visage de Tony à l’écran noir du portable, de l’un à l’autre, de l’un à l’autre, encore et encore, comme il se répétait les mots qu’il venait d’entendre. Rocky Horror Show. Sur une vraie scène. Cherchions une nouvelle tête. Impressionnés par un enregistrement pirate de Wicked - il avait quelque chose d'absurde en Glinda, certes, et portait très mal le blond, mais il avait du potentiel. Frank-N-Furter. Il se mordit la lèvre, réalisa que ses mains étaient secouées de frissons. Son amant le fixait, curieux, une lueur d’impatience au fond du regard. Et puis Noah parla.
Quelque chose traversa le visage de Tony, comme une froideur qui vint ruiner la beauté de son visage. Un rire échappa de ses lèvres - aigre. Noah cessa de sourire. Tout à coup il ne le reconnaissait plus - et le bonheur qui avait jusque là gonflé son coeur s’envola comme il était venu. Comme un enfant, un seul regard suffisait à le réduire à la peur. Qu’est-ce qu’il avait fait. Qu’est-ce qu’il avait mal fait. Qu’est-ce qu’il pouvait faire pour effacer son erreur. L’expression de l’autre homme le mortifiait, lui donnait l’envie irrépressible de se recroqueviller sur lui-même et de s’excuser - peu importe l’erreur qu’il avait commise. « Tony? » demanda-t-il du bout des lèvres, soudain timide à nouveau. La grâce s’était effacée du visage de son amant, laissant place à une colère sourde et à une inhumaine laideur. « Tony… » tenta-t-il une nouvelle fois. Sa voix n’était plus qu’un souffle, éteinte et fragile. En réponse, Tony secoua la tête, cracha: « Alors ils te prennent, hein. Toi. ». Il y avait du mépris dans ce ton - assez pour que Noah sente la honte le submerger. Il serra les poings sur ses genoux, ses épaules s’abaissèrent, comme dans une tentative, vaine, de recréer quelques défenses contre la douleur. Mais Tony ne s’était pas arrêté, articulant soigneusement, avec une douceur amère: « Tu es conscient qu’ils vont vite se rendre compte qu’ils ont fait une erreur? Que tu tiendras pas le coup deux représentations? » Presque malgré lui, il se sentit hocher la tête, il détourna les yeux. « Regarde moi. » La voix de Tony, cette fois-ci, avait claqué comme un fouet. C’était assez pour qu’il s’exécute. « Je dis ça pour toi, Noah. Tu n’es pas prêt pour ça. Du tout. Tu vas craquer au bout de quelques semaines. Si tu es déjà capable de monter sur scène sans que je sois derrière toi pour te donner l’impression que tu vaux quelque chose. » Il pencha la tête. Ses poings se serrèrent un peu plus encore. Cette fois-ci, il ferma les yeux, et quand Tony insista pour qu’il le regarde à nouveau, il n’en eut même pas la force. La honte venait en vague brutale, le ramenaient au gamin qu’il avait toujours été. Le gamin sans talent. Inutile. La déception de ses parents, de sa famille, du monde entier. Tony eut un nouveau rire, ce rire jaune qui lui minait le coeur. A cet instant, il avait presque envie de pleurer, presque envie d’avouer qu’il n’aurait pas dû avoir ce rôle, que ç’aurait dû être Tony, bien sûr que ç’aurait dû être Tony, Tony était parfait, bien meilleur que lui, il l’avait toujours été, le serait toujours. « Tu es beau, oui, c’est tout. Tu peux chanter décemment. Mais tenir le lead? » Un rire. Encore. La rage et la honte l’étouffaient. Pétrifié, il parvint à peine à articuler, entre des dents serrées sous le coup de la douleur: « Je peux le faire. Je peux essayer de le faire. » Tony eut un bruit d’agacement, un soupir. « Tu me fatigues Noah. A un moment, il faut être réaliste. Ton rêve est bien mignon mais il est stupide. Regarde-toi! Essayer de le faire? Tu me fais juste de la peine. » Son coeur battait à la chamade, chaque seconde apportait son lot de souffrances. « Je peux le faire, Tony, je peux le faire. » qu’il répétait comme un mantra. La sentence n’était pas encore tombée qu’il savait déjà qu’il n’avait plus que cela à quoi se raccrocher. « Tu me fais pitié. Et tu vas leur faire pitié. Ils vont vite se rendre compte que la façade est jolie, mais que l’intérieur ne suit pas. » Noah tremblait. Tout entier. Et tout ce qu’il parvenait à se dire, c’est que oui, il était pitoyable, et qu’il le prouvait à cet instant. Tony rit. Encore. « Mais tu sais quoi? Vas-y. Amuse-toi bien. Ruine ta carrière - si on peut parler de carrière. Je t’ai eu assez longtemps dans les pattes de toutes façons. » Les mots le firent s’étouffer, brutalement, sous une poussée de souffrance pure. Il rouvrit les yeux, fixant Tony comme s’il le voyait pour la toute première fois. « Mais je t’aime… » qu’il balbutia. Il le foutait dehors. Son Tony le foutait dehors. Sans une seconde pensée, sans un seul doute, il le foutait dehors, et, d’une voix doucereuse, remuait le couteau dans la plaie: « Récupère tes affaires. Je veux plus te voir. J’en ai eu assez. Va. Mais quand ils se rendront compte de la connerie qu’ils ont fait en te prenant, et bien tu sauras que je t’avais prévenu. Ne t’inquiète surtout pas pour nous. On trouvera facilement de quoi te remplacer. » « Tony… s’il te plait, je t’aime… » L’autre homme s’était levé. Il posa sur le sommet de sa tête une main pleine de condescendance, et articula soigneusement les mots: « Pas moi. »

─ pseudo/prénom: tanagra/jeanne. ─ âge: 22 ans. ─ fréquence de connexion: 6j/7.  ─ comment avez-vous découvert ticket to ride et qu'en pensez-vous ? C'est la faute à Cécile, Julia et Margaux, et je les aime NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794. ─ inventé ou pévario ? inventé, même si Margaux a quelque chose à voir là-dedans NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794.  ─ code: okay by laure ─ crédits : rbk, theemmaexperience


Dernière édition par Noah Valdivieso le Jeu 14 Mai - 16:51, édité 11 fois
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 1:07

III -  Yes, my teeth and ambitions are bared - be prepared!

Les premiers mois furent noyées dans un mélange étrange d’angoisse et de liberté. A l’instant où Tony relâcha enfin l’emprise qu’il avait sur lui, il le laissa à mi-chemin entre la douleur pure et l’impression que toute une partie du monde venait de s’éclairer. Il resta prostré une semaine dans un appartement miteux qu’il avait loué à la va-vite, luttant farouchement contre une double dépendance qu’il ne savait que psychologique - celle aux cachets, celle à Tony. C’est à cet instant qu’il poussa à nouveau la porte de chez ses parents. Il avait mal. Oui. On venait de l’abandonner, on venait de le repousser, de piétiner tout ce qu’il avait d’estime de lui-même, tout ce qui lui restait de fierté. Mais il savait aussi qu’il venait de toucher le fond, et ne pourrait plus que remonter. Que le lendemain lui promettait une chance, celle d’un rôle titre, et qu’il ne tenait qu’à lui de la saisir.
Il prit le rôle. Et pendant tout le temps qu’il passa sur la production, il fut terrifié. Puisque le pire aurait été de le laisser transparaître, il s’acharna à le cacher - et il y parvint. Il fut, ainsi, également brillant. Les années de faiblesse - et d’amour, aussi, d’amour, mais aujourd’hui elles ne lui semblaient plus que de la faiblesse et de la honte - lui avaient laissé comme une plaie béante au coeur, qu’il s’acharnait à entourer de remparts. Il ne se pensait pas doué. Il ne se pensait pas solide. Mais ce n’était même pas l’important, après tout - il fallait juste que les autres en soient convaincus. Il pouvait jouer la comédie. Il l’apprit sur le tas - comment lire les gens, comment les convaincre d’une force purement illusoire, comment leur faire croire que tout allait merveilleusement bien. Tony avait fait des horreurs. Tony lui avait arraché le coeur et avait joué avec quand il était encore trop jeune, trop fragile, trop innocent - mais il l’avait aussi transformé en créature dépourvue de honte et de pudeur. Il avait déjà tout traversé. C’était suffisant pour qu’on le pense lumineux.
On ne le chassa pas au bout de quelques représentations. Bien au contraire. On vint pour le voir, on vint pour l’applaudir, et surtout on vint pour lui dire qu’un jour, un jour tout proche, peut-être même le lendemain, il serait un grand.

*

Noah aurait reconnu ce visage partout. Même sous une épaisse couche de maquillage, même dans cet absurde costume de chat. Il aurait reconnu ce visage partout, et, quand il passa la porte de la salle de danse, il laissa tomber son sac au sol, un immense sourire aux lèvres. La seconde suivante, il fut percuté par une grande femme, rousse, magnifique - bondissant dans ses bras, enroulant d'office ses longues jambes autour de sa taille, enfonçant ses mains dans ses cheveux. "Oh mon dieu", dit-il dans un grand rire en la serrant tout contre elle. C'était Sasha. C'était sa Sasha. Sa merveilleuse Sasha. Sa lumineuse Sasha. Cinq ans s'étaient écoulés, peut-être six. Elle n'avait pas changé - elle était toujours la plus belle, et son rire éclatait toujours haut et clair dans ses oreilles. "Putain de merde, Noah!" - son langage toujours aussi fleuri, aussi. Quand elle se laissa retomber au sol, ce fut pour mieux attraper son visage des deux mains, le forcer à tourner la tête à gauche, à droite, à gauche à nouveau. "T'as pas changé, petit con. Tu comptes vieillir un jour?" Sous l'oeil perplexe de l'intégralité des danseurs, elle colla un baiser sonore sur sa bouche - avant de faire la grimace et de grogner un « Eurg. Tellement de mauvais souvenirs. », et d’éclater de rire. Un miracle quelconque avait remis Sasha Bellamy sur le chemin de Noah Valdivieso. Il était Macavity dans Cats, elle était Demeter. Quelques mois plus tard il serait le Rum Tum Tugger, et elle lui donnerait la réplique en Bombalurina.
C’est ainsi qu’elle balança, un jour, quelques mots. « Viens vivre avez moi ». Elle était assise sur le rebord de sa coiffeuse, ajustant d’elle-même son maquillage de chat. Levant les yeux de son propre miroir, dans lequel il s’acharnait à tracer les rayures anarchiques de Macavity, il eut un rire. « Je plaisante pas, Noah. Mon appartement est immense. Le tien est pourri. Je m’ennuie. On pourrait probablement vivre ensemble sans s’entretuer. » Elle souriait - elle n’avait tracé que la moitié de ses moustaches, ce qui la rendait étrangement adorable. « I need a duet partner », finit-elle par annoncer. Curieusement, c’est cela qui parvint à le convaincre de lui donner une chance.
Ils devraient vivre ensemble pendant plus de dix ans.

C’est à ce moment là qu’il commença à changer réellement. Le temps avait emporté avec lui l’adolescent timide, le garçon en retrait. A sa place se trouvait maintenant un homme, qui développait au fil des jours une assurance si féroce qu’elle en avait quelque chose de terrifiant. Après le Rum Tum Tugger, il obtint le rôle de Scar dans une production du Roi Lion. C’est à cette époque qu’il réalisa qu’il faisait son bout de chemin - que sa carrière était lancée, que ses rôles prouvaient sa valeur de danseur comme sa valeur de chanteur, et que plus rien ne pourrait l’arrêter. Pas avec Sasha à ses côtés. Elle et lui, ils vivaient hors du temps. Leur appartement à Kensington semblait l’appartement de deux fous, bruyants dans chaque aspect de leur vie, passant leurs journées à se donner la réplique dans d’interminables reproductions maison de musicals. Ils étaient jeunes. Beaux. Brillants. En route vers le succès. Talentueux et charismatiques. Quand Noah l’oubliait, Sasha le lui rappelait immédiatement. Et puis il ne l’oublia plus. Oh, au fond, bien au fond, les angoisses étaient toujours là - mais en apparence il était lumineux, provocateur, indécent et indolent. Il en jouait. Il était grand. Tout allait bien.


IV -  You talk of battles to be won and here he comes like Don Juan - it is better than an opera!

Ce qui était au début un jeu, une simple façon de tester ses capacités de séduction et son assurance, était devenu au fil des années une véritable habitude. Quand Noah rencontrait pour la toute première fois une personne, il lui faisait du rentre-dedans. A différentes échelles, bien sûr - de la simple blague salace aux sourires entendus, en passant par des clins d’oeil appuyés ou des compliments lourds de sens. Il était si spontané dans ce processus qu'il ne s’en rendait presque plus compte. Son rire éclatait tout naturellement, les mots franchissaient ses lèvres sans filtre - récoltant tout une myriade de réactions, allant de l’indifférence totale à l’effarement. Son Marius l’avait regardé avec les yeux de la terreur jusqu’à l’instant où il avait compris son absence totale de sérieux; son Enjolras lui avait jeté un regard appréciatif, jurant avec lui qu’ils allaient produire la dynamique Enjolras/Grantaire de l’année; son Valjean lui avait donné une tape affectueuse dans le dos, déclarant qu’il était heureux de savoir que les petits nouveaux avaient des couilles. Les conséquences étaient, la plupart du temps, minimes - si l’on pouvait considérer comme minime l’unique nuit torride qu’il avait passé avec le Enjolras en question. Dans ce presque réflexe, sa curiosité n’était presque jamais piquée. C’était un jeu - ni plus, ni moins, et il s’en contentait parfaitement. Un bon moyen de passer des heures à ricaner des réactions de pauvres mortels en compagnie de Sasha. Jusqu’au chef d’orchestre.
Oui, il récoltait d’ordinaire tout un éventail de réactions. S’il en avait réellement eu quelque chose à faire, il aurait pu les étiqueter - gêne, indifférence, rejet, neutralité, amusement, attraction, très claire réciprocité. Il riait de la première comme de la dernière, les savourait différemment, mais avec la même intensité. Il avait même appris à les attendre, ayant développé au fil des années une perception assez pointue des hommes qu’il approchait. Suffisamment de perception pour éviter de recevoir un poing dans sa mâchoire, en tous cas. La première fois qu’il avait vu le chef d’orchestre, accoudé au mur tandis que ce dernier faisait répéter son Enjolras au piano, il s’était très clairement attendu à la plus pure des gênes. Un sourire aux lèvres, il l’avait longuement observé. Les yeux bleus - ou peut-être qu’ils étaient gris? Ils semblaient presque gris dans la lumière -, l’air d’intense concentration, le profil aristocratique, les cheveux blonds, cendrés, visiblement indomptables. Il était beau. D’une façon étrangement attachante - pour un homme ainsi tiré à quatre épingles. Son regard restait fixé droit devant lui, sans sembler prêter la moindre attention aux partitions, ou aux touches du piano, trahissant la plus intense des maîtrises. Ancré dans la musique, il paraissait curieusement détaché de la réalité. Et Noah souriait. Un sourire doux, alors qu’il se préparait, lentement mais sûrement, à entrer en contact avec un homme qui semblait évoluer dans un monde différent du sien - un être qu’il n’aurait jamais dû rencontrer.
Sasha riait parfois de le façon dont son comportement se modifiait quand il cherchait à attirer l’attention de quelqu’un. Tout à coup, tout ce qui faisait sa personnalité se trouvait décuplé - ses rires plus forts, ses traits d’esprit plus vifs, sa sociabilité plus brute, ses mouvements plus souples. Pour un oeil attentif, peut-être qu’il passa toute la journée à évoluer comme un félin, décrivant de larges cercles autour du piano, autour de sa cible. Sa voix jaillissait, plus flamboyante, proche du rugissement, sur ses répliques - il fut caressant et charmeur, quand il s’avança vers Enjolras, créature de vin et de sarcasme, ronronnant « I am agog, I am aghast, is Marius in love at last? », peut être même que son « I’ve never heard him ooh and aah » fut dangereusement obscène. C’est à la troisième répétition de cette chanson, suite à des défaillances plus ou moins graves d’Enjolras, de Courfeyrac et peut-être, aussi, de lui-même, que le chef d’orchestre craqua enfin - lui assénant une remarque sur son jeu prématuré, sur combien l’heure n’était qu’au chant. Heure de passer à l’attaque. Un grand sourire aux lèvres, il s’approcha du piano, félin. Les autres étudiants le suivaient des yeux, parfaitement conscients de ce qui allait nécessairement arriver, pour l’avoir subit eux-mêmes. Croisant ses deux bras sur le bois du piano, il se pencha légèrement en avant, plongea ses yeux dans ceux de l’autre homme, laissa tomber les mots - « Pour toi je me tiendrais au garde à vous. » - sa voix un profond ronronnement, encore marqué par la désinvolture de Grantaire.
Il s’attendait à la gêne. Bien sûr qu’il en obtint. Sous les éclats de rire du reste de la troupe, le visage du chef d’orchestre - Raphael, il lui semblait bien qu’il s’appelait Raphael, De Lacy, la particule ne le surprenait même pas - se colora d’une uniforme teinte de rouge. Ce à quoi il ne s’attendait pas, en revanche, ce fut à trouver l’autre homme plus beau encore quand ils étaient si proches - alors qu’il pouvait détailler les quelques grains de beauté éparpillés sur l’une de ses joues, la profondeur des pupilles. Il ne s’attendait pas, non plus, à ce que la surprise et la mortification soient mêlées d’une trace de fascination. Il ne s’attendait pas à cette seconde que l’autre homme mis à se résoudre à fuir son regard, manifestement douloureuse, manifestement déchirée. Si c’était encore possible, le sourire sur les lèvres de Noah s’élargit un peu plus encore. Il y avait certes la gêne, mais il y avait aussi un étrange indice de réciprocité, de désir informulé, réprimé aussitôt qu’il avait eu l’opportunité de naître. Peut-être qu’à une époque, lointaine, Noah aussi avait eu cette lumière dans le regard - à l’époque où il avait peur. « Encore une fois. » finit par décréter Raphael. Trop tard - il avait eu l’occasion de voir tout ce qu’il voulait voir, de lire tout ce qu’il voulait lire, de se résoudre à poursuivre le jeu jusqu’à avoir le fin mot de l’histoire. C’est quand il se redressa qu’il entraperçut les mains, figées, crispées au dessus des touches du piano - et l’alliance qui brillait sur l’annulaire gauche. D’une façon étrange, cela rendait l’ambiguité de la seconde qui venait de s’écouler plus intense encore.
Quand il raconta cet épisode à Sasha, elle se contenta de hausser un sourcil et de piocher dans le popcorn. « Et bah, vérifie. » dit-elle, confirmant le plan qui avait, depuis bien longtemps, commencer à se fomenter dans son esprit. « J’y compte bien. » répondit-il avec un sourire.

Le lendemain, il arriva en avance. La chose était assez rare pour être soulignée - principalement dans ces premières répétitions, principalement si l’on considérait le fait que les étudiants n’étaient pas supposés réviser leur partie ce jour là. Prévisible, l’autre homme se trouvait déjà en salle de répétition. Conformément à ses espérances, il était seul, multipliant avec obstination les accords de One day more. Il entra silencieusement, abandonnant son sac au pied d’une chaise, esquissa quelques pas en direction de l’autre homme. Il ne l’avait pas encore vu - plongé dans la musique. C’est tout sourire que, détectant pour la énième fois le début de la chanson, il laissa sa voix s’élever - « One day more! Another day, another destiny, this never ending road to calvary… these men who seem to know my crime will surely come a second time! ». L’autre homme cessa aussitôt, dans un sursaut, releva les yeux vers lui. Noah sourit encore.  « Tu aurais dû continuer. Mon Enjolras est plutôt bon. » Les yeux, bleus, s’attardèrent une seconde sur le tatouage intriqué qui remontait le long de son bras - s’allumèrent d’une lueur de panique en suivant les lignes complexes qui ornaient son biceps. Probablement que Raphael De Lacy les voyait pour la toute première fois - d'une façon plus ou moins malhonnête, il les avait cachées sous une épaisse couche de maquillage pour les auditions. Mais ce n'était pas la stupeur d'un membre du staff qui réalise qu'on lui a menti. Loin de là. Très loin de là - à en juger le rouge qui lui monta aux joues. Bien sûr, il coupa court cette entrevue, l'envoya chercher au plus vite les autres, balbutia un "non" quand il lui proposa de boire un verre avec lui. Bien sûr. Mais Noah souriait toujours. Victorieux.

*

Pas bu de shot de tequila depuis des années? Oh. Oh. C'était trop beau pour être vrai. Un large sourire étira ses lèvres, alors même que Sasha, d'un bref coup de coude, percutait ses côtes. Leurs yeux se croisèrent, dans un de leurs éternels regards de connivence. Elle se pencha en avant, se saisit du sel abandonné sur la table pour le lui tendre. Lui, il s'était rapproché de Raphael. "Je vais te montrer." - sa voix était caressante, presque un ronronnement. Il vit une brève lueur de panique éclairer le visage de l'autre homme quand il se saisit précautionneusement de sa main, effleura l'alliance du pouce, enroula doucement leurs doigts pour la positionner correctement. "C'est tout simple. Tu prends le sel... Il prit son temps, sans jamais se départir son sourire - prit le temps d'étaler une pincée de sel dans le creux de sa main, d'attendre que Sasha remplisse, presque à ras-le-bord, l'un des petits verres. Ses yeux se relevèrent vers ceux de l'autre homme, prenant soin de capter son attention, toute son attention. A l'aveugle, il tendit son bras libre vers sa colocataire. "Tu prends à boire... et tu gardes du citron à portée de main.. Il réceptionna sa tequila, la leva brièvement dans la direction d'un Raphael toujours tétanisé. Il parlait lentement, détachant soigneusement chaque syllabe, déployant la pleine profondeur de sa voix. "Et ensuite... Il marqua un temps d'arrêt, et son sourire s'élargit. Il n'avait toujours pas abandonné sa main, toujours pas détourné son regard, savourant une minuscule victoire en voyant que l'autre homme n'avait pas osé s'en arracher non plus. Sasha, derrière lui, laissa échapper un rire. Deux derniers mots, dans deux derniers ronronnements: "...Tu bois. Une nouvelle lueur de panique traversa le visage de Raphael quand il le vit, lentement, pencher la tête pour laisser sa langue courir sur sa peau. Un long frisson traversa la chair à sa merci, et Noah ferma enfin les yeux, amenant le verre à sa bouche pour descendre l'alcool d'une longue traite. C'est presque à contre-coeur qu'il abandonna la main tremblante pour s'emparer d'une tranche de citron. A charge de revanche, il lui adressa un nouveau large sourire, un clin d'oeil. Le rire de Sasha s'éleva de nouveau. Raphael avait brusquement ramené son bras contre sa poitrine, le serrant de son autre main dans un geste de pudeur.

*

Il n’y avait que très peu de domaines dans lesquels Noah Valdivieso se considérait comme connaisseur - tout comme il n’y avait que très peu de domaines dans lesquels il se pensait réellement brillant - mais il savait lire les gens. Il savait comprendre leurs réactions, trouver toutes les raisons possibles de telle ou telle action ou parole, savait lire ses interlocuteurs, saisir leurs pensées et leurs idées. Il n’était que rarement dupe, aussi longtemps qu’il n’était pas directement impliqué - sentimentalement. Il voyait le trouble de Raphael. Voyait ce qui se tramait en lui, cette attirance qu’il niait farouchement et qu’il cachait sous la convenance. Père. Epoux. Oui, certes. Noah était peut-être insolent, peut-être que les plus élémentaires des normes sociales lui échappaient totalement, mais il voyait bien que ces mots ne retenaient l’autre homme qu’en surface et, au fond, cela lui donnait la seule permission dont il avait besoin. La permission de jouer. De rire. D’être tour à tour cajoleur, tendre, obscène, séducteur. Jour après jour, il voyait les barrière s’abaisser. Il croisait le regard de Raphael et lui dédiait un sourire, qui ne faisait que s’élargir en voyant pour seule réponse une gêne dépourvue de réel agacement. Il se permettait de laisser glisser sa main dans son dos quand ils discutaient, de multiplier les sous-entendus, les double-sens. Elle était épaisse, la couche de froideur et de professionnalisme que conservait, au quotidien, cet homme - mais elle n’était pas aussi opaque qu’il l’aurait voulu. Noah pouvait voir à travers. Au début, il n’avait fait que sentir l’attirance. Au fil des jours, il parvenait de mieux en mieux à la détailler.

*

"Je peux pas" Oh. Recule, alors, avait-il envie de lui dire. Recule. Lui, il s'était avancé encore. Il souriait. Insolent. "Je suis marié." Il haussa brièvement les épaules. Ses yeux n'avaient, pas une seconde, quitté ceux de l'autre homme. "Je suis désolé. Je peux pas." Il était parvenu tout près de lui, maintenant, s'était imperceptiblement penché pour rapprocher leurs visages. Il pouvait sentir, contre sa peau, le souffle de Raphael. Court. Si court qu'il le trahissait un peu. "Vraiment?" répondit-il enfin. Il parvint à garder son léger rire silencieux quand l'air que l'autre homme exhala se troubla un peu plus. Son front, une brève seconde, s'appuya contre une tempe, ses lèvres effleurèrent une joue. Il sentit une main se poser sur sa poitrine, mais, si elle voulut le repousser, elle n'effectua pas la moindre pression. "Vraiment?" répéta-t-il, juste au creux de son oreille. Seul un balbutiement lui répondit. Les doigts sur son torse se replièrent, accrochant imperceptiblement le tissu de sa chemise. C'était le seul signal dont il avait besoin. Ses mains se glissèrent sous un manteau, s'enroulèrent autour d'une taille offerte. Il effleura de nouveau sa joue de sa bouche, la laissant traîner jusqu'à la commissure des lèvres. Délicatement, il poussa Raphael à reculer jusqu'au mur le plus proche. Il pressa l'autre homme contre la pierre, nicha ses hanches contre d'autres hanches. Un nouveau balbutiement, à peine un murmure étouffé. Ses doigts avaient maintenant pleinement empoigné sa chemise et, loin de le repousser, l'attiraient un peu plus près encore. Noah eut un nouveau rire, léger. Sa bouche quitta enfin sa joue pour venir chercher une autre bouche - dessinèrent un sourire quand cette dernière s'ouvrit aussitôt, avide. C'est à regret que son bras quitta sa taille pour laisser sa main prendre le visage de Raphael en coupe, s'enfoncer dans ses cheveux. Il le sentait trembler, tout contre lui. Ce n'était pas de la peur. Ca ne ressemblait pas à de la peur. Ses doigts entouraient maintenant l'arrière de la tête de l'autre homme, souples, caressants. Ceux de Raphael s'accrochaient à lui comme une ancre, alors qu'un son profond échappait de sa gorge. Il le laissait prendre le dessus, imposer sa présence, mais, avec de plus en plus de violence, répondait à sa chaleur. Quand Noah s'écarta enfin, il suivit une seconde le trajet de son visage, comme à regret. Il ne rouvrit les yeux que quelques instants après lui, regard bleu venant immédiatement chercher le sien, avant de se détourner. Trop tard. Il avait eu tout le temps d'y lire tout ce qu'il voulait y lire. Un nouveau rire. Ses deux bras se déposèrent de part et d'autre de la tête de Raphael, alors que son front, doucement, s'appuyait contre le sien. "Regarde-moi.". Les lèvres de l'autre homme frémissaient, toutes proches des siennes, encore entrouvertes, rougies par le baiser. "Regarde-moi.", ronronna-t-il de nouveau. Il pressa, doucement, leurs torses et leurs hanches encore alignés. Deux yeux clairs s'attardèrent sur sa bouche, puis remontèrent jusqu'à ceux de Noah, fuirent de nouveau. "Tout va bien. Regarde-moi." Cette fois-ci, enfin, les regards se croisèrent puis se lièrent, et il laissa s'épanouir un immense sourire. Ses lèvres effleurèrent celle de l'autre homme, aériennes. Il avait gagné. Comme un prédateur, il savourait sa victoire. Une main s'était déposée sur l'un de ses bras repliés, toute proche de l'épaule, paume brûlante. Il laissa son nez redessiner la courbe d'une mâchoire, poussa un rire satisfait quand un bref hoquet lui répondit. "Qu'est-ce que tu veux, Raphael?" - Il prononça le prénom de sa voix la plus profonde, aux creux de son oreille, y laissa traîner son souffle, presque un soupir. Un énième balbutiement lui répondit, au milieu desquels il discerna distinctement deux mots. "Chez moi?" ne put-il s'empêcher de répéter, sourire aux lèvres, avant d'embrasser doucement sa tempe. Quand Raphael articula plus haut, plus clair, "Je veux aller chez toi", il laissa son bras libre retomber le long de son corps, retrouver sa place autour de sa taille. Ses doigts, ouverts, entourèrent la courbe d'une hanche. Il se pressa un peu plus fort contre lui, et un nouveau frisson traversa l'autre homme de part en part. "Chez toi. Maintenant."
Quelques rues à peine. Quelques rues sans défaire l'étreinte possessive de son bras autour de sa taille, quelque rues à soutenir Raphael comme il titubait. Cette ivresse, Noah la connaissait. Cette ivresse, Noah la ressentait. C'était un mois d'attente qui s'achevait ici, dans la main qui s'agrippait à sa chemise, dans la bouche qui cherchait désespérément la sienne dans un ascenceur trop lent. Parvenu au troisième étage, cette chemise avait été ouverte, et il luttait pour déloger le manteau des épaules de l'autre homme. A nouveau il le pressa contre un mur, glissant ses hanches entre ses jambes alors qu'il luttait pour retrouver ses clés, ouvrir la porte, pousser la porte. Pas de signe de vie. Pas de Sasha. Il ne put retenir un soupir de soulagement, laissant sa bouche retracer le fil d'une gorge, s'attarder sur une pomme d'adam. Sa main se glissa alors sous les derniers remparts de tissus, paume caressant la base d'un dos. Il guida Raphael jusqu'à l'intérieur de l'appartement, eut un nouveau rire quand ce dernier manqua de trébucher sur une paire de talons de sa colocataire. La porte claqua derrière eux. Dans la pénombre, dans la vague lumière des lampadaires aux fenêtres sans rideaux, la vision de son chef d'orchestre, pupilles dilatées sur iris bleus, souffle court, cheveux en bataille, lèvres rougies, avait quelque chose de surnaturel. C'est cette fois-ci des deux mains qu'il empoigna sa tête, de toute sa stature qu'il se pencha vers lui pour joindre leurs lèvres. Il sentait les doigts de Raphael, tout proches de son torse, dégageant leur chaleur sans jamais oser réellement le toucher. Oh. Oh. Il relâcha son étreinte de part et d'autre de son visage, entoura à nouveau sa taille d'un bras. Sa main libre traîna sur le bouton d'une chemise, le défit, puis un autre, puis un autre, avant de se glisser contre une peau nue. A nouveau, l'autre homme frissonna. Noah sourit. Doucement, il l'amena à reculer, un pas, encore un pas, jusqu'à atteindre une large porte blanche - y était suspendu un immense cadre, une vieille affiche du Phantom of the Opera. Quand enfin il put allonger Raphael sur le large matelas qui traînait au sol, corps abandonné sur des draps déjà défaits, il le recouvrit de sa propre silhouette. De menaçant, il était, quelque part, devenu protecteur. De félin il se laissa, quelque part, devenir tendre. Les yeux clairs, voilés, suivaient chacun de ses mouvements. Deux syllabes franchirent ses lèvres, un bref "Noah" étranglé, quelque part entre la fascination et l'angoisse. Il se pencha pour embrasser, doucement, la pointe d'une clavicule. Il sentait un coeur battre à la chamade, tout proche. "Tout va bien." murmura-t-il, effleurant du bout des lèvres son emplacement. "J'ai compris. Tout va bien." Il releva les yeux, esquissa un nouveau sourire. Dans la pénombre, il vit Raphael hocher la tête - sentit son bras l'attirer un peu plus près encore. "Tout va bien."

*

Noah fut réveillé par un rayon de soleil, directement braqué sur son visage. Il poussa un bref gémissement, abattant un bras sur ses yeux, resserrant l'autre sur le corps chaud à ses côtés. Il s'était presque enroulé autour de lui dans son sommeil, jambes emmêlées, tête nichée dans le creux d'un cou. Un sourire paresseux étira ses lèvres. Confort. Chaleur. Tout ce dont il avait besoin, de bon matin. Ses hanches pivotèrent légèrement, se rapprochèrent d'une cuisse. A l'aveugle, il partit en quête de son jean et du portable abandonné dans l'une de ses poches. C'est un oeil péniblement ouvert qu'il composa un message, un bref "need coffee, ily sash" - il ne put cependant retenir un léger rire quand Sasha lui répondit, presque immédiatement, "'m on it, get your asses out of bed, i want to see your loud lover-boy". Nettement moins réjouissant, un second message: "btw, it's 8. hurry the fuck up, love. ». Première répétition dans deux heures. Il avait des échauffements à faire. Avantage: il avait kidnappé le chef d'orchestre. Inconvénient: il y avait fort à parier que le dit chef d'orchestre puisse tout de même mal réagir en cas de retard. Il soupira, se redressa sur un coude.
Sa chambre était dans un état minable. Woups. Au pied de son matelas, une pile de partitions penchait dans un équilibre précaire; devant sa penderie ouverte, ses chemises, t-shirts, vestes et jeans menaient une lutte farouche pour le monopole de l'occupation du sol. Son simulacre de bureau (en vérité une large planche peinte en noir posée sur deux tréteaux de métal) disparaissait presque sous une grosse chaine hifi et de multiples entassements de Cds; quelques unes des photos de ses anciens castings, épinglées pêle-mêle sur le mur, avaient apparemment décidé de faire le saut de l'ange. La vue le décourageant lui-même, il laissa glisser son regard jusqu'à Raphael. Toujours endormi, il semblait étrangement vulnérable. Il laissa retomber sa tête sur les coussins, glissa à nouveau son bras en travers du torse de l'autre homme. Il était temps. Il effleura sa tempe d'un baiser, puis sa joue. En réponse, un vague mouvement de la tête. Quand il revint se nicher contre son cou, en retracer des lèvres la courbe, le mouvement s'accentua. Ce n'est que lorsqu'il murmura "Rise and shine, Raphael" que ses yeux s'ouvrirent, presque brutalement. Alors? Alors Raphael sursauta. Il sursauta et Noah eut un mouvement de recul, se redressant soudain lui aussi.

Il s'étira de tout son long, se redressa, bascula sur son flanc pour entourer Raphael de ses bras. "Respire", se permit-il de murmurer - sans la moindre ironie, en toute douceur. L'autre homme résista dans un premier temps, serra ses mains sur l'étreinte qui l'entourait, déchiré entre la panique et le réconfort qui lui était offert. Il esquissa un sourire. "Respire. Doucement. Là." Il gardait sa voix basse, mesurée. Sans jamais dénouer ses bras, il ramena ses jambes contre lui pour s'asseoir en tailleur. Il aurait pu lui dire tellement de choses. Il aurait pu rire. Lui dire qu'il n'était pas seul dans ce lit, hier, qu'il n'avait même pas prévu de le ramener ici, qu'il aurait pu ne rien se passer, que, s'il l'avait poussé, il ne l'avait jamais forcé. A la place, il replaça du bout des doigts les mèches de cheveux égarées sur le front de Raphael. "Il est huit heures." Un nouveau sursaut, un nouvel accès de panique. "Doucement" reprit-il, un peu plus fermement. "La salle de bain est juste là. Si tu veux, tu peux piocher dans mes vêtements. Sasha a fait du café. Et probablement à manger." Il se pencha pour déposer un baiser à la commissure de ses lèvres, lia doucement leurs mains. "J'habite tout près du théâtre. Tu seras à l'heure pour les répétitions. J'y vais aussi, juste après mes exercices avec Sasha. D'accord?"

Un large sourire s'épanouit sur ses lèvres quand une main s'empara de sa nuque, l'attira pour un baiser. Il préférait ça. Largement. Il répondit sans hésiter, laissant ses doigts parcourir de nouveau la peau de l'autre homme, glisser le long d'une cuisse, l'intimer à se rapprocher de ses propres jambes. Il laissa échapper un léger ronronnement, yeux noirs sondant l'autre regard, puis un rire, bas. "Aw. Me parler de ta femme. M'appeler "pire erreur de ta vie"." Il l'attira de nouveau au plus près de lui, l'incita à prendre place sur ses genoux. "Tu es parti en croisade contre mon ego. Jolie vengeance." Son éternel sourire aux lèvres, il dessina de la bouche le contour d'une mâchoire, la ligne d'un cou, resserrant ses bras autour de l'autre corps. Tant pis. Ils seraient en retard. Tant pis. "Tout va bien", souffla-t-il, dans un écho évident aux mots qu'il avait bien pu prononcer la veille au soir. Venant de nouveau chercher les lèvres de l'autre homme, il ajouta, tout près de son objectif: "Ce n'est pas une erreur. Est-ce que tu ressens ça comme une erreur? Pas moi." Ou alors, il aimait bien ce genre d'erreurs.
Ses manoeuvres furent cependant coupées net par deux grands coups frappés à la porte. Il rouvrit les yeux, les leva aussitôt au ciel. Raphael avait tourné un regard horrifié vers la source du bruit, et se glaça intégralement quand la voix de Sasha s'éleva, haute et claire: "Noah, je t'assure que ça passera pas, comme excuse, "je suis en retard parce que je faisais subir les pires outrages à sweet, loud, currently-unnamed lover boy". Et j'ai pas envie de vous entendre, encore. Sors ton cul de là ou je viens vous chercher moi-même". Presque malgré lui, il ne put s'empêcher de rire. La faute à sa meilleure amie, ou la faute à l'expression sur le visage de l'autre homme. A contrecoeur, il lui vola un dernier baiser. D'un geste souple, il l'allongea à nouveau sur le matelas, murmurant un "Dommage" face au spectacle qui s'offrait à lui. S'arrachant de force du lit, il enfila le boxer le plus proche, se releva. "Partie remise." dit-il avec un clin d'oeil. "Je te garde du café" - et il quitta la pièce.

*

« Je l’aime pas, Noah. », avait balancé Sasha, quelque part entre le dessert et le café. C’avait été comme un lâché de bombe - pas tant de l’information, déjà attendue, mais par la façon dont elle avait prononcé ces mots. Elle qui n’était, d’ordinaire, que pure spontanéité, elle semblait les avoir mûrement réfléchis. Elle semblait même avoir eu peur de les lui dire. Relevant la tête de son large mug, Noah lui avait jeté un regard surpris, interrogateur. Jouant l’incompréhension, il n’avait répondu que « Je vois absolument pas de qui tu veux parler. ». Un rire, un peu amer, de la jeune femme. « Bien sûr que si, tu sais. ». Oui. Si. Probablement. Un temps, un regard vers la fenêtre, vers la rue, et elle avait fini par reprendre: « Il est marié, Noah. Ca me fait chier de te le rappeler, mais tu es en train de faire une énorme connerie. ». Il lui sourit, tendit un bras pour répandre un peu de chaos dans les épais cheveux roux - elle ne lui répondit qu’en claquant de la langue, contrariée. Ses yeux dardaient des éclairs, lui reprochant sa désinvolture, son éternelle légèreté. « Il est marié », dit-elle à nouveau: « Au cas où t’aurais pas compris ce que ça implique, il a une femme. Chez lui. Avec des seins et une alliance. » Fronçant les sourcils, Noah releva la tête vers elle. « Si tu t’inquiètes pour sa sexualité, je peux t’affirmer que hier il n’avait absolument pas l’air perturbé par ma totale absence de poitrine. » Descendant une nouvelle gorgée de café, il ajouta: « Et c’est rien de sérieux. On s’amuse. Tout va bien. » Elle leva ouvertement les yeux au ciel. « Chouette, je vais me taper mon chef d’orchestre hétérosexuel marié. Quelle belle définition de l’amusement. » Malgré tout, il rit de son sarcasme. Il savait qu’elle avait raison. Elle avait foncièrement raison. Sasha avait presque toujours raison. Elle était toujours la première à savoir, à sentir que quelque chose allait mal tourner pour Noah - quand il était incapable de se protéger lui-même, elle le faisait en son nom. Elle était lucide, parfois cruellement lucide, quand lui demeurait fantasque. Elle eut un long soupir. « Noah, tu sais que je t’aime. Ca allait très bien tant que tu faisais que le provoquer, mais… te lance pas dans un truc sérieux avec une personne qui a quelqu’un d’autre. » Il esquissa un sourire. « Je compte pas me lancer dans un truc sérieux. Tout va bien. » Renversant son mug, il en absorba les dernières gorgées. « Et pour son mariage… Je comptais pas le ramener hier. C’est lui qui me l’a demandé. Ok? » Elle haussa des sourcils, clairement pas impressionnée. « Oh. Oui. Ca n’a strictement rien à voir avec toi lui faisant du rentre-dedans. Bien sûr. Où avais-je la tête. » Cette fois-ci, il rit de bon coeur.
Ce n’est que quelques minutes plus tard, alors que, d’autorité, elle s’était vautrée dans le canapé à ses côtés, qu’elle grimpa sur les genoux et murmura: « Je m’inquiète pour toi. Ok? » Il enroula ses bras autour d’elle, la serra tout contre lui. Elle savait, elle savait quelles ombres perduraient derrière sa désinvolture. Lui, il savait qu’elle le protègerait jusqu’à la mort. Les angoisses de Sasha pouvaient sembler stupides, voire carrément mal placées - mais le reste du monde ne comptait pas à ses yeux. Juste Noah. Il n’y avait pas de mot pour la reconnaissance qu’il lui vouait en retour. « C’est juste un jeu, Sasha. Ne t’inquiète pas. »
Il avait tort.

*

Sasha s'était vautrée à côté de lui alors qu'il entamait vaillamment son deuxième café, une partition sous les yeux et son chat sur les genoux. Posant tragiquement ses deux pieds sur la table basse, elle avait laissé tomber sa tête sur son épaule, déclarant le plus naturellement du monde "Hello, love.". Perplexe, il laissa glisser son regard sur elle. Elle portait, le plus naturellement du monde, sa tenue de Velma Kelly sur All that Jazz - comme si se trimballer en corset noir, porte-jarretelles et résille dans la rue n'avait strictement rien de surprenant, et comme si aucun costumier n'allait hurler à la mort en se constatant incapable de retrouver l'ensemble au petit matin. Il descendit une gorgée de café avant de demander, doute et flemme au coeur: "C'est le moment où je dois m'éclipser discrètement de l'appartement parce que tu as décidé de faire un strip-tease à quelqu'un?" Elle eut un léger rire, roulant sur son flanc pour s'accrocher à son bras libre. Demeter poussa un petit feulement de protestation, s'agitant dans son sommeil. "Non, ce costume a déjà rempli sa mission du jour". Il eut un léger bruit d'écoeurement à l'idée de sa meilleure amie en pleine entreprise sexuelle - les souvenirs étaient très bien là où ils se trouvaient, merci bien. Mais contre toute attente, elle reprit immédiatement la parole: "Il t'aime." Oh. Oh. Oh Il ne put retenir un léger mouvement de recul, qui parvint à convaincre son chat d'aller trouver un autre support pour sa sieste. Loin d'être formalisé par cet abandon, il regardait simplement sa meilleure amie avec de grands yeux. "Comment tu sa..." commença-t-il, avant de s'arrêter net et de reprendre d'un "Qu'est-ce que ça a à voir avec ton costu..." Oh non il ne voulait pas savoir ça. Enfin si. Enfin plus tard. "Il quoi?!" - là, là c'était la bonne question. "Il t'aime", reprit-elle, reprenant une position confortable contre lui et contre son épaule. "Et il voulait pas que je te le dise." Le rire caractéristique de Sasha s'éleva alors - léger, un tantinet machiavélique. "Oups.". Oh. Sa meilleure amie était une déesse du mal, une cruelle reine des chats - mais c'était loin d'être nouveau. Ce qui était nouveau, par contre, c'étaient les sentiments d'un certain Raphael De Lacy à son égard. Il marqua un temps d'arrêt, jeta un regard au fond de sa tasse de café. "Tu es sûre de ça? » Elle haussa les épaules. "Il a dit, je cite, "je suis amoureux de lui". Donc je suppose que ouais, je suis sûre de ça." Un silence. Il était toujours incapable de réagir correctement. Bien sûr qu'il appréciait l'autre homme. Bien sûr qu'il l'attirait. Mais de là à parler sentiments... Il déglutit, un peu plus difficilement qu'il ne l'aurait voulu. Comment dire que les choses allaient... trop vite? Beaucoup trop vite pour lui? Il eut tout à coup l'impression d'être Tony, doté des pleins pouvoirs face à un être qui lui donnerait tout. "Et il est gay... très, très gay." Malgré lui, il ne put retenir un rire. "Je sais ça." Prenant petit à petit la place que Demeter avait occupé sur ses genoux, les jambes de Sasha s'étaient repliées sur les siennes. Il ne s'en occupait guère. "Tu comptes faire quoi?" finit-elle par demander, ajoutant quand même, au cas où un doute perdurerait: "Il est mignon, gay, amoureux, mais toujours très marié." Noah soupira. "Je sais pas." Il glissa une main à l'arrière de sa tête, soudain nerveux. "Je suppose que je veux pas lui faire de mal?" Elle renâcla. "C'est très noble. Et un peu écoeurant." Le silence s'installa pour quelques secondes. Jouer encore. Abandonner. Laisser une chance. Il avait trois choix sous les yeux - et l'impossibilité totale de trancher par lui-même. C'est d'un soupir qu'il finit par conclure lui-même: "Je lui en parle. Demain." Le rire de Sasha, à nouveau: "Je te sens venir. Délicat, subtil, as usual." Riant de bon coeur lui-même, il glissa une main dans les épais cheveux roux, avant de descendre une longue gorgée de café. "Autant que toi, ma chère, autant que toi. Maintenant tu vas m'expliquer quel traumatisme tu lui as infligé avec ce costume."

*

C’était, d’ordinaire, l’instant où il décidait de s’enfuir. Les sentiments se dessinaient - et avec eux venaient les complications, innombrables. Il le savait. Il regardait lui-même avec une certaine honte l'époque où il avait été amoureux de Tony - plus qu'amoureux, il avait été dévoué, il l'avait vénéré. Il savait ce que c'était. Laisser quelqu'un avoir les pleins pouvoirs, laisser quelqu'un en abuser et, quelque part, vivait dans la crainte d'être cette personne. Jouer lui allait, tant qu'il n'y avait aucun enjeu. Ses amants connaissaient sa façon de fonctionner et, mieux encore, la partageaient. Les nuits étaient sans lendemains. Les éventuels lendemains, dénués de sens. Quand une personne le regardait dans les yeux et lui murmurait qu'il l'aimait, c'était l'instant où, d'ordinaire, il décidait de s'enfuir. Avec Raphael, les choses étaient différentes - et ç'avait quelque chose d'absurde, cette capacité que cet homme avait de rendre les choses différentes. Une part de lui, cette part qui pendant un long mois avait lutté farouchement pour le pousser à admettre le désir, ne pouvait s'empêcher de ressentir une excitation toute proche du triomphe à l'idée qu'il l'aimait. Une autre demeurait incrédule, de voir que les choses avaient évolué si vite. D'ailleurs, une troisième refusait même d'y croire - s'accrochant à l'idée que Sasha avait arraché ces mots par la provocation, et que les pensées ne les suivaient peut-être pas entièrement. S'il y avait une chose que Noah détestait, c'était de ne pas être certain.
Dans le doute, il avait décidé de confronter. Quand il le fit, comme toujours, ce fut sur le ton du jeu - le ton d'un enfant qui arrive au dénouement d'une histoire, et qui se laisse aller à l'ivresse. Sourire aux lèvres, il vit, toute la journée durant, Raphael tenter de le fuir. Même quand il parvint à s’emparer de lui, il tenta de le fuir.  Et puis il renonça. Parce que oui. Il l’aimait. Et pour être honnête, Noah était terrifié. Il resta là, pourtant. Juste ici. Comme si, quelque part, il n’avait pas envie de s’en aller.

*

"Rentre pas. Tu vas attraper la mort.", croassa-t-il, légèrement dramatique, en ouvrant la porte à Raphael. Ce dernier jeta un regard perplexe sur ses jambes, découvrant apparemment son très sous-usité bas de pyjama en tartan, puis sur son visage, nez rougit et yeux brillants. Le "Tu es malade?" qu'il formula alors avait tout d'une question rhétorique - et toute réponse semblait inutile. Déjà il était entré dans le salon, et, de toute son autorité de père, obligeait Noah à se pencher un peu pour déposer ses lèvres sur son front. "Tu as de la fièvre", trancha-t-il au terme de cet examen sommaire. Cela ne l'empêcha pas une seconde d'entourer sa taille d'un bras, d'embrasser doucement sa joue. "Tu devrais être au lit. Tu veux pas aller te coucher?" Brumeux, il parvint néanmoins à secouer mollement la tête, à balbutier le mot "canapé". C'est à cet instant que Raphael sembla remarquer le Roi Lion qui tournait sur la télévision. Un sourire attendrit apparut sur son visage, et il l'intima, d'un geste, à reprendre sa place sur le grand sofa. Sa main s'attarda dans son dos, cajolant des lombaires endolories par les courbatures, juste avant que Noah s'enfonce entre les coussins. "Je vais chercher ton plaid. Tu as mangé, un peu?" Il hocha mollement la tête, yeux déjà à moitié hypnotisés par les Simba et Nala animés qui déambulaient dans la savane. "Vraiment?" Nouveau hochement de tête, à peine plus ferme. Quelques instants plus tard, il se sentit confortablement bordé dans une épaisse couverture en laine - détendue, délavée, celle qu’il se traînait depuis des années, en somme sa préférée. Machinalement, il releva ses jambes contre sa poitrine pour éviter de laisser ses pieds à découvert. Le canapé s'affaissa à ses côtés, lui indiquant que Raphael venait de le rejoindre - c'est dans une pénible manoeuvre qu'il se rapprocha de cette toute nouvelle source de chaleur, ronronnant doucement au bras qui entoura ses épaules. "Grippe." marmonna-t-il: "tu devrais y aller.". La seule réponse qu'il obtint fut une main dans ses cheveux, un pouce qui massa doucement sa tempe. Il était maintenant blottit contre l'autre homme, et il laissa sa tête tomber lourdement sur son épaule. Ses yeux étaient toujours braqués sur la télévision, sur la découverte du cimetière d'éléphants, paupières alourdies par la fatigue. "Où est Sasha?" finit-il par entendre. "Dernier filage pour Burlesque", articula-t-il péniblement. "Elle dormira sûrement là-bas" Les mots coulaient étrangement sur sa langue - il porta une main à sa gorge, le visage traversé par une expression douloureuse. D'autres doigts vinrent cependant s'en saisir, entourer les siens d'une étreinte tendre. « Ne force pas sur ta voix. Ca va aller. » Il ferma les yeux, luttant pour contenir ces angoisses qui le prenaient systématiquement, quand il se retrouvait incapable de parler, plus incapable encore de chanter. Certains de ses amis trouvaient cela superficiel - il savait simplement où résidait sa seule valeur. Il n’avait que cela. Le chant, et un corps pour l’accompagner. Juste ces choses. Rien de plus que son physique, et les notes qui jaillissaient de ses poumons. Et s’il perdait cela? Il n’aurait plus rien. Plus rien du tout. Sous ses yeux, Scar entamait Be Prepared, entouré de sa cohorte de hyènes. A moitié sonné par la fièvre, il se revoyait sur scène, jouant cette même scène, félin, sublime, menant sa propre horde dans ce cri de guerre infernal. Et s’il en venait à perdre cela? Et s’il ne pouvait plus jamais danser, plus jamais chanter, terrassé, dépourvu de la seule chose qui faisait de lui un être exceptionnel? Juste une ombre. Pitoyable. Minuscule ombre. « Noah. Noah, doucement. Respire. » La voix de Raphael l’arracha de force de ses pensées - une main se déposa tout contre son visage, l’obligea à relever la tête. Ses yeux croisèrent d’autre yeux, très bleus. « Tu es sûr que tu veux pas aller dormir un peu? » Un signe de dénégation. Marmonnant quelque chose qui ressemblait à « Veux finir le film » il cala de nouveau sa joue, confortablement, contre l’épaule de Raphael, puis releva son plaid jusqu’à son menton. Bien sûr il s’endormit quelques minutes plus tard à peine, confortablement niché contre son amant.
Quand il se réveilla, c’était déjà le milieu de la nuit. Il s’était enroulé autour d’un corps chaud, et sa couette toute entière avait rejoint son éternel plaid. La télévision avait cessé de tourner, éteinte. Dans la pénombre, il s’efforça de relever la tête - croisa le sourire de Sasha, penchée au-dessus du canapé. S’avançant un peu plus encore, elle déposa un baiser sur son front. « Sleep tight, love » murmura-t-elle. Il tourna la tête pour se rendormir, eut un léger ronronnement quand sa joue se déposa sur un torse. Une partie de son cerveau embrumé par la fièvre, avec un sursaut de bonheur, ne put s’empêcher de remarquer que Raphael était resté - l’avait allongé confortablement, s’était allongé à ses côtés. Un sentiment de chaleur se répandit dans sa poitrine. Il était heureux. Sonné, mais heureux. Il n’était pas seul. On ne l’avait pas abandonné. Comme un gamin malade, il resserra son bras au travers de l’autre. Dans quelques heures il devait se réveiller et Raphael serait toujours là, à jouer du bout des doigts avec ses cheveux, yeux bleus posés sur lui, attendant patiemment qu’il trouve la force de se déloger des couvertures et du canapé. Dans quelques heures, Noah devrait relever la tête vers lui et, pour la toute première fois, réaliser que oui, peut-être, oui, il était tombé amoureux lui aussi.

*

Il était mort de trouille. Comme à chaque fois qu'il était mort de trouille, il tournait dangereusement en rond. Nerveux, il allait et venait dans son appartement sous le regard suspicieux de Raphael - prenant une bouteille de bière pour mieux la reposer, allant chercher Demeter, l'abandonnant sur un fauteuil, reprenant sa bouteille de bière, rendant un semblant d'équilibre à une pile de CDs, sortant un DVD d'une de leurs monumentales étagères, le reposant quand il se rappelait qu'ils étaient déjà en théorie en train de regarder un film. Les sourcils froncés, il avait tout l'air d'un grand lion que l'on aurait enfermé dans une minuscule cage. Trois fois il s'approcha du coin cuisine, trois fois il oublia pourquoi il s'en était approché dans un premier temps, avant de remarquer de nouveau sa bouteille de bière obstinément close. Quand il parvint enfin à l'ouvrir, il y jeta un coup d'oeil surpris, comme s'il s'était tout à coup rappelé qu'il n'avait même pas, originellement, envie d'en boire. Il claqua la langue d'agacement, en descendit une longue gorgée tout de même.
Raphael avait depuis bien longtemps cessé de prêter attention au vieux film de Sweeney Todd qui tournait sur la grande télévision. Sourcils froncés, il suivait l'interminable errance de son amant. Il profita d'un virage dangereusement proche du sofa pour poser une main au bas de son dos, effleurer sa peau là où son t-shirt de Duran Duran remontait dangereusement. Noah eut un léger sursaut, baissa les yeux vers lui, comme s'il se souvenait tout à coup de sa présence. "Ca va?" "Oui... oui." balbutia-t-il en réponse. Gosh, non, ça n'allait pas, il était putain de terrifié. Prenant son courage à demain, il inspira profondément, expira. Contournant le sofa, il prit place en travers des genoux de l'autre homme, sa bière en équilibre précaire, calant sa tête contre son épaule. "Tu es sûr que ça va?" Cette fois-ci, il ne répondit même pas. A la place, il s'appliquait à descendre l'intégralité de sa bière à coup d'interminables gorgées, pratiquement cul-sec, joue confortablement nichée contre une clavicule. Ses yeux passaient de l'écran de la télévision au chat endormi sur le fauteuil, du chaos de la table basse à la main que Raphael avait posé sur son genou pour soutenir sa position. Chips. Il avait envie de chips. Il aurait dû prendre des chips avant de s'installer. Quand il se redressa un peu, apparemment fermement décidé à faire à nouveau une chose qu'il n'avait strictement aucun besoin de faire, l'autre homme eut un soupir qui ressemblait dangereusement à une menace. Ok. Ok, il ne bougerait pas. Il reposa la bouteille dorénavant vide au sol, s'enfonça un peu plus profondément dans l'étreinte. Ses bras s'enroulèrent autour de la taille de son amant, il se laissa aller à l'un de ses éternels petits ronronnements. "Noah?" la voix de Raphael était un peu plus inquiète. Lui, il était plongé dans l'une de ses sessions intenses d'auto-motivation - une longue boucle de "Allez, Noah, allez, tu peux le faire, t'es un grand garçon, tu peux le faire, tu vas gérer, tout va bien se passer" en pensées, qui semblait étrangement prononcée par la voix d'une certaine Sasha. Oh god Sasha. Elle allait le trucider. Elle allait le trucider, lui arracher les couilles, le pendre par les pieds au milieu du salon. Ca serait drôle si ça n'était pas si... si... possible. L'une des mains de Raphael, pendant ce temps, avait entrepris de s'emmêler dans les cheveux qu'il avait laissé pousser pour Sweeney Todd - quelques secondes plus tard il sentit un baiser sur son front. "Noah? Ca va?" Il ferma les yeux, prit une nouvelle inspiration profonde. Quand il les rouvrit, ce fut pour relever le menton, ancrer son regard dans le sien. Il pouvait le faire. Il pouvait le faire. Il pouvait le faire. "Je t'aime." laissa-t-il échapper, butant si étrangement sur les mots qu'il en avait presque l'air de reprendre l'accent de sa jeunesse argentine, bouffant royalement une syllabe sur deux. "Je t'aime.", reprit-il, un peu plus calmement. Là. Là c'était presque intelligible. "Je t'aime."



Dernière édition par Noah Valdivieso le Jeu 14 Mai - 18:44, édité 5 fois
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 1:07

V -  The history of the world, my love, is those below serving those up above

Raphael était beau. Peut-être qu'il l'était d'autant plus qu'il ne semblait pas en avoir conscience. Un léger sourire aux lèvres, Noah croisa les bras sur sa poitrine, croisa ses jambes sur le siège de la chaise devant lui. Quelques mètres devant lui, le Anthony de leur production de Sweeney Todd répétait, encore et encore, les ultimes lignes de Johanna, soumis au regard attentif de leur vénérable chef d'orchestre. Noah soupira. Derrière son piano, les yeux de l'autre homme, d'un bleu si clair qu'ils en étaient presque gris, brillaient d'une fascinante lueur. Il n'avait pas coupé ses cheveux depuis un bon mois, et les mèches commençaient à se rebeller contre toute tentative de discipline. Avec un peu d'imagination, il pouvait visualiser ses mains - ses longs doigts de pianiste, leurs gestes assurés sur le clavier, la ferme direction que leur imprimaient ses poignets. A ses côtés, Sasha étouffa un léger rire. "Pas le moment, Noah", qu'elle murmura au creux de son oreille. Il l'écarta d'un geste, sans jamais quitter Raphael des yeux. La concentration soulignait étrangement les traits de son visage, la ligne impeccable de son nez, la courbe aristocratique de son front. Raphael était beau. Et pourtant, il évoluait avec l'air de candeur de ceux qui ne le remarquent pas. Il était totalement dépourvu de la parfaite assurance de Noah, de ses gestes de grand félin. Il avait plus de naturel. Une touchante douceur. Johanna s'acheva enfin, quoique encore perfectible, et, pendant une minuscule seconde, le regard de Raphael croisa le sien. Il laissa son sourire s'élargir encore. Tout près de son oreille, Sasha eut un petit bruit de dégoût.

*

Discret comme une ombre, Noah traversa le couloir, poussa la porte de la loge du chef d'orchestre. Il la referma derrière lui, en tourna la clé - son visage s'épanouit dans un grand sourire quand Raphael se tourna vers lui. Si ce dernier soupira, son expression trahissait la tendresse. "Tu as été bon, ce soir" avoua-t-il finalement. Quelques instants, et il sentit deux mains se refermer sur les pans de son gilet de Sweeney Todd. Il laissa échapper un léger ronronnement, ses mains trouvant leur chemin sous l'impeccable veste de chef. "Ha oui?" dit-il, tout doucement. Là. Là, il avait trouvé la peau sous les intolérables couches de vêtements, dérangeant la chemise pour courir le long de son dos. Leurs bouches gravitaient, toutes proches. Il sentait le souffle de Raphael balayer le bas de son visage - sentit sa chaleur quand il murmura "Ne me fais pas le répéter, tu as très bien compris". Son rire fut noyé quand leurs lèvres entrèrent enfin en contact, avides.
Dieu, qu'il aimait cet homme. La pensée le paniquait, parfois - le prenait à la gorge et, pour quelques secondes, l'empêchait de respirer. Il aimait cet homme et il détestait ce sentiment, ces quelques instants où il se retrouvait vulnérable. Il lui avait donné les pleins pouvoirs. Le jour où il avait balbutié un "je t'aime" précipité, un "je t'aime" de gamin qui découvre le poids de ces mots, il avait confié à Raphael bien plus qu'il ne pourrait jamais le mesurer. Ses mains entourèrent le visage de l'autre homme, pouces effleurant ses pommettes quand il l'attira pour un nouveau baiser. Renversant inconsciemment la position du tout premier jour, il s'était retrouvé adossé à la porte, pressé contre elle par son chef d'orchestre. Son chef d'orchestre. How cheesy of him. Il n'en avait rien à faire.

*

Parfois, il osait. Raphael était sur le point de partir et lui, allongé sur son matelas, il osait se redresser sur ses genoux, poser ses mains sur sa taille et balbutier "Reste. S'il te plait. Reste.". Ses mains s'enroulaient dans une chemise impeccable, sa joue trouvait place contre un torse. Il avait envie de lui dire combien il avait peur de rester seul, encore, de passer en second, encore, d'être abandonné, encore - mais il échouait systématiquement. Il savait qu'il n'avait pas le droit de réclamer ainsi, comme un enfant, de quémander une nuit, une chance de ne pas dormir dans des draps froids. Il avait signé pour cela. Il était le seul responsable. Il s'était fait du mal, tout seul, comme un grand, s'était pris dans son propre piège. Tant pis pour les souvenirs qui l'attrapaient à la gorge quand Raphael refermait la porte derrière lui et qu'il se retrouvait à attendre, seul, le retour de sa colocataire.

*

Sasha voleta jusqu'à lui, vint s'installer en travers de ses genoux, jouer avec ses cheveux. Lui, il la regardait faire son petit manège et le cajoler, un sourire aux lèvres, patient, certain qu'elle allait tôt ou tard cracher le morceau sur le pourquoi du comment de cet abordage. Elle chantonnait, bouche close, l'air de Macavity The Mystery Cat. Ses sourcils étaient légèrement froncés, ses yeux, très bleus, intensément concentrés sur ses manipulations capillaires. Elle avait cette expression de grand sérieux qu'elle  n'adoptait presque que pour s'occuper de lui. Curieux, il pencha un peu la tête. Elle gronda, s'installant un peu plus fermement encore en travers de ses jambes. C'était maintenant des cinq doigts qu'elle le peignait, patiemment, laissant s'étirer le silence. Et puis enfin, alors qu'il avait presque perdu espoir: "tu sais ce que tu fais, Noah?" "Hmm?" Répondit il simplement, tout au confort de se faire ainsi câliner. "Pour Raphael. J'espère que tu sais ce que tu fais." Il rouvrit un œil, paresseux, pour l'observer. Ce qu'il faisait. Non. Probablement pas. Rien n'allait dans cette histoire, du mariage au secret, de la solitude à la connivence. Tout lui faisait un peu peur. Il avait cesser de maîtriser il y avait déjà bien longtemps. "Tu l'aimes?" Il rouvrit son second oeil, pour mieux froncer les sourcils. Elle le savait. Elle pouvait comprendre. Sans un mot. Elle émit un léger grognement, enroula ses bras autour de son cou. "S'il te fait une Tony, je lui arrache les couilles. Ok?" Il sourit , légèrement , l'enlaça à son tour. "Ok."

*

Le soleil dardait ses rayons au travers d’une fenêtre sans rideaux, déversait sa lumière sur le grand matelas jeté au sol. Noah, un léger sourire aux lèvres, recouvrait Raphael de tout son long, les draps emmêlés au bas de ses hanches. Du bout des doigts, il redessinait le contour d’une épaule, le trait d’une clavicule - du bout des lèvres, il redessinait le fil d’une mâchoire, la courbe d’une oreille. Il s’épanouissait en rires quand l’autre l’autre se révélait furieusement chatouilleux - jouait à rendre son toucher plus léger encore, scrutant chaque changement dans son expression. Au bout de quelques minutes, il abandonna sa pourtant fort distrayante occupation pour laisser ses deux bras entourer le visage de l’autre homme, déposer un baiser sur ses lèvres, puis un second, puis un troisième. Nichant son nez dans ses cheveux, il eut un léger ronronnement de contentement. « Je t’aime. » murmura-t-il, doucement. Les mots étaient devenus plus faciles avec le temps. Toujours risqués, toujours trop lourds de sens, mais ils roulaient plus facilement sur ses lèvres. Surtout aujourd’hui. Surtout avec cette nuit. Surtout avec la veille. Il aurait pensé être pétrifié le jour de ses trente et un ans - pétrifié alors qu’il entrait dans une nouvelle phase de sa vie, stupidement horrifié par le nombre de rôles qui se fermaient à lui. Mais il était simplement heureux. D’une main, il alla chercher celle de Raphael, la pressa doucement dans la sienne. Se laissant de nouveau rouler de son côté du lit, il rapprocha à nouveau l’autre homme de lui, laissa sa bouche trainer dans son cou. « Je suis vieux. Mais je t’aime. » parvint-il même à dire, un trait d’humour dans la voix. Son regard s’attarda une seconde sur le réveil qui traînait, au sol, à côté du matelas. Les chiffres rouges indiquaient encore neuf heures du matin - bien, ils avaient le temps. Largement le temps. Assez de temps pour qu’il laisse tranquillement ses mains parcourir le dos de Raphael, trouver leur chemin sous le maigre rempart des draps. Assez de temps pour… « NOAH SEBASTIAN VALDIVIESO, SORS DE LA TOUT DE SUITE OU JE VIENS TE CHERCHER MOI-MEME. »
Raphael sursauta violemment, les yeux écarquillés d’horreur. « Tu m’avais pas dit que Sasha avait une soeur. ». Noah, lui, s’était juste redressé brutalement, un immense sourire aux lèvres. Non. Ce n’était pas Sasha qui avait une soeur.
Le temps de bondir sur le jean le plus proche, d’enfiler à la va-vite un t-shirt délavé, et il bondit hors de la chambre. Aussitôt, il fut percuté par une grande, jeune femme aux épais cheveux noirs, un immense sourire aux lèvres - l’entourant de ses deux bras, le comprimant à en faire craquer ses os. La tête nichée dans l’épaule de son frère, Soledad Valdivieso déblatérait d’interminables « je t’aime, tu m’as tellement manqué, je suis tellement contente de te revoir » dans un espagnol impeccable. Lui, il riait - dans la manifestation la plus pure du bonheur, rendant son étreinte d’une force égale. Quand elle daigna s’écarter un peu, il prit son visage à deux mains, colla un baiser sonore sur sa joue. Rayonnante, elle s’écria: « Joyeux anniversaire! ». Dans un tendre « Merci, Chole », il l’embrassa de nouveau. Son adorable petite soeur. Elle avait atteint les vingt-trois ans - mais, à ses yeux, demeurait toujours la gamine qui le suivait partout avec des étoiles dans les yeux, qui battait furieusement des mains en l’écoutant chanter. Méticuleux grand frère, il l’observait de haut en bas, cherchant à voir si elle avait changé - rien à signaler, elle était toujours la plus belle. Ce n’est que la voix de Sasha, assise en tailleur sur son fauteuil, qui parvint à le sortir de sa contemplation - un lumineux « Bonjour, Raphael! Comment vas-tu, Raphael? », qui fit se retourner vers la porte la jeune Soledad, et son frère avec elle.
Il était effectivement là. Pendant un bref instant, il fut occupé à jeter un regard noir à la diabolique colocataire - avant que ses yeux ne se reportent brièvement sur Noah, puis sur la jeune femme qui s’accrochait autoritairement au bras de ce dernier. Elle était clairement en train de l’observer, avec toute la minutie dont elle était capable - notant chaque pli d’une chemise remise à la hâte, les indomptables mèches de cheveux, la vague trace d’un oreiller, toute l’allure d’un homme que l’on avait sorti du lit à la hâte pour une rencontre familiale. Dans une vaine tentative de couper court à cet examen, Noah fit un pas dans la direction de l’autre homme - posa une main au creux de ses reins et l’attirer à lui pour un baiser. Il eut un sourire d’excuses - « Je te présente Soledad. Ma petite soeur. » Au regard on-ne-peut moins rassuré que Raphael posa sur la jeune femme, elle répondit, un sourire entendu aux lèvres: « Bien sûr que je sais qui tu es. » Cela ne l’empêcha pas de l’examiner intégralement une nouvelle fois, avant de conclure d’un « Jolis yeux, c’est vrai. », puis d’un « Je t’imaginais plus grand. » Elle lui dédia néanmoins un immense sourire, qui alla dessiner au creux de ses joues les mêmes fossettes que celles qu’abordait son frère aîné.
Tout allait bien.


VI - How can I feel good when nothing's right?

Il avait poussé la porte de son appartement avec un grand sourire aux lèvres.
Sasha, étalée dans le canapé en vénérable félin, avait levé vers lui un oeil circonspect. Fronçant des sourcils devant son apparente joie de vivre, elle avait en vain tenté de dissimuler la trace de tendresse sur son visage. "Urg. L'amour me rend malade." couina-t-elle, posant le dos de sa main sur son propre front, renversant sa crinière rousse en arrière. Il éclata d'un grand rire, se rapprochant d'elle pour enrouler leurs doigts. D'un coup de hanche, il l'écarta un petit peu pour prendre lui-même sa place, emmêlant leurs jambes, les installant d'office dans une position intriquée et complexe où chacun de leurs membres semblait en contact. "Heureux?" marmonna-t-elle, à moitié étouffée dans son cou. "Heureux." répondit-il sans la moindre hésitation, du bonheur jusque dans sa voix. "Noah, tu me donnes envie de vomir et je t'aime." Il eut un rire, l'un de ses éternels rires tout proches du ronronnement, s'installant un peu plus confortablement entre les coussins et la dense chevelure de sa colocataire. Quelques secondes encore, et il sentit un poids familier grimper sur le canapé, l'épais pelage de Demeter, couchée contre sa cuisse. Il ferma les yeux. Heureux. Il inspira profondément, eut un soupir sans lourdeur. Il était épuisé mais comblé, grand gamin qui s'étouffe de bonheur, des souvenirs de Paris imprimés sur ses paupières, la chaleur de la main de Raphael toujours présente sur la paume de la sienne. Il était amoureux, amoureux comme un con, amoureux comme un pauvre type qui chante les Champs Elysées à tue-tête sur l'avenue du même nom avec un accent anglais à couper au couteau, amoureux comme un enfant qui serre l'homme qu'il aime tout contre lui et l'embrasse jusqu'à n'en plus pouvoir respirer. Tout habillé encore, il resserra son bras autour de la taille de Sasha, et, à moitié endormi déjà, balbutia: "Il est parfait et je l'aime presque autant que toi". Il souriait toujours. Elle glissa ses doigts dans ses cheveux, grattant affectueusement le sommet de son crâne. "I'm happy if you're happy, love".
Heureux, il l'était.
Il l'était comme un fou.
Raphael rendait son existence lumineuse. Quand il lui souriait, il lui faisait oublier l'échec de Miss Saigon, lui faisait oublier que sa carrière était mal en point. Quand il lui disait qu'il l'aimait, il lui faisait oublier la plaie ouverte que les critiques ouvraient dans son ventre. Quand il le prenait dans ses bras, il lui redonnait, lentement mais sûrement, le courage d'avancer. Avec Raphael, tout était beau, tout était simple. A un coeur malade, il donnait la force de passer outre les difficultés. Ce soir-là, il se délogea des bras de Sasha pour rejoindre son propre lit en songeant à l'homme qu'il aimait. Il s'enroula dans ses draps, son chat roulé en boule contre son ventre, en souriant comme un imbécile. Il lui suffisait de fermer les yeux pour sentir Raphael tout contre lui, sentir le poids familier de ses bras autour de sa taille. Il lui suffisait de se concentrer pour voir Paris. Ils étaient loin, tellement loin, les jours de solitude, les jours de peur, les jours de doute. Il n'était plus un adolescent de dix-huit ans qui tremble parce qu'il a peur de ne pas être aimé - il n'était même plus cet homme de trente ans qui ne vit que pour ses féroces ambitions. Tout n'était que paisibles certitudes. Félicité sublime. Quarante-huit heures s'étaient écoulées dans la plus tendre des lumières, il s'y prélassait encore. Tout allait bien.

Le lendemain, il fit à l'équipe du théâtre l'extraordinaire surprise d'être en avance. Les derniers ajustements avant la représentation du soir n'étaient prévus qu'une heure plus tard mais il traînait déjà dans les coulisses, bonnet vissé sur son crâne et énorme starbuck à la main. Le bonheur se lisait encore sur son visage, éclatait en même temps que ses rires. Il rayonnait. Il rayonnait et redonnait du courage à un casting quelque peu miné par les derniers avis sur le spectacle. Vautré dans les fauteuils d'une salle encore vide, il répondait aux balances de l'orchestre de vocalises impromptues. L'atmosphère était au jeu, sa bonne humeur contagieuse. Il n'attendait qu'une seule chose, pour parfaire sa joie: l'arrivée de Raphael. Toute la matinée, tout le début de cet après-midi, il l'avait bombardé de messages plus ou moins salaces et de mots d'amour. Pas encore de réponse mais il avait l'habitude, il pouvait vivre avec cela, il était heureux. Il n'avait jamais connu cette impression, cette façon qu'a le coeur de se gonfler quand on cesse enfin de douter de l'amour d'un autre. Il se sentait plus grand, plus fort qu'il ne l'avait jamais été. Dans un moment de sublime certitude, il fila s'inscrire officiellement aux auditions d'une représentation à venir du Phantom of the Opera. A cet instant, rien ne pouvait lui résister - il ne le sentait pas, il le savait. Sous les rires éclatants de sa co-star, il fit sa meilleure représentation inopinée du Be prepared de son époque Roi Lion. Il inonda sa coiffeuse sous les fausses protestations quand, dans sa loge, elle entreprit de couper un peu plus le peu de masse capillaire que le rôle lui avait laissé. Après avoir fait ses derniers échauffements, il se permit un ultime coup de fil à Raphael, un plaintif et pseudo-accusateur "T'es en retard - je sais que je t'ai épuisé hier, mais tu es en retard, comment je suis supposé avoir foi en l'existence si toi tu es en retard!", avant d'éclater d'un grand rire lumineux.
La représentation commença sans Raphael. Il ne vint jamais, et ses messages restèrent sans réponse. A l'instant précis où il le réalisa, le spectacle tourna lentement mais sûrement au massacre.
Quand il rentra chez lui, Sasha était sortie avec le cast de Funny Girl. Il passa la soirée seul, à regarder le film du Phantom of the Opera, Demeter endormie sur ses genoux. Son téléphone était posé sur la table basse, quelque part entre sa tasse de lait au miel fumante et un substance jaune dégoulinante sur les cheveux de Caro au plat à peine entamé. Il ne pouvait empêcher son regard de dériver dans sa direction, constamment, confondant reflets et alertes, attendant un message qui ne viendrait jamais. L'échec de la représentation du soir, combiné à cette soudaine sensation de solitude, le percutaient d'autant plus violemment qu'il avait flotté dans le bonheur toute la journée. Quand le dvd s'acheva, il réalisa qu'il n'avait strictement rien suivi. Il s'allongea dans son lit pour entamer une lutte farouche, et vaine, pour trouver le sommeil. Quand il fermait les yeux, il hallucinait la lumière de son téléphone, les rouvrait pour seulement rencontrer la déception. Il se tournait, se retournait, fébrile. Au bout de quelques heures à ce train, son chat finit par renoncer et quitta la pièce pour des lits plus cléments. C'est l'épuisement plus que la fatigue qui vint à bout de sa nervosité.

"Love, you kinda look like shit." murmura Sasha en déposant un baiser sur sa joue. Elle frotta ses cernes du pouce, comme si un geste tendre pouvait les effacer - de toute évidence, ce n'était pas le cas. Lui, il continua à fixer le fond de son bol de café, sans un mot. Le liquide noir tournait, tournait, tournait encore. Il gardait ses lèvres pincées, obstinément closes. Toute sa concentration allait vers un seul point: se convaincre lui-même que sa panique était absurde, que tout irait bien, que tout irait forcément bien. Il se souvenait des mots de Raphael, de ses promesses. Il lui avait dit qu'il l'aimait. Cela signifiait bien quelque chose. Ses mains s'étaient resserrées en poings, le bout de ses ongles entamait sa paume. Il avait toujours eu tendance à angoisser pour rien. Toujours eu tendance à se faire des films entiers sur des détails, sur des signes qui n'en étaient pas. Raphael n'était pas Tony. Raphael ne lui riait pas au nez quand il lui ouvrait son coeur. Quand Raphael le laissait, le soir, ce n'était pas pour le blesser, pas pour se moquer de lui et de sa naïveté d'enfant. Il l'aimait. Lui. Il l'aimait, tout entier. S'il l'avait gardé dans le silence, toute une journée, c'était forcément parce qu'il avait été forcé de le faire. Tout allait bien. Tout allait forcément bien. Tout allait bien. Raphael n'était pas Tony, Raphael ne le manipulait pas, Raphael ne lui ferait pas de mal, Raphael ne l'abandonnerait pas, comme ça, du jour au lendemain, fatigué de lui, lassé de lui. Il n'aurait pas joué avec lui. Pas comme ça. Il ferma les yeux. Tout allait bien. "Noah?" tenta la voix de sa colocataire à ces côtés. Elle s'était assise à ses côtés, le fixait d'un air inquiet. "Tu vas bien?" Il hocha la tête, elle resta méfiante. Il ne remarqua même pas son expression étrange, tendue, suspecte. Il desserra ses mains. Il allait aller au travail. Raphael serait là. Il lui sourirait, comme si rien ne s'était jamais passé. Il aurait probablement une excuse, et il était si honnête, si droit, il ne lui mentirait certainement pas. Il embrasserait son front, puis sa bouche, et il se laisserait fondre dans son étreinte, trop heureux de le croire. Tout allait bien.

Cinq coups de poignard en plein coeur.
Il avait réussi à se convaincre, réussi à retrouver le sourire. Il avait réussi à pousser la porte de sa loge comme si rien ne s'était passé, comme si la veille n'avait été qu'un mauvais rêve. Raphael était entré quelques dizaines de minutes plus tard et Noah, le sourire aux lèvres, comme d'habitude, avait virevolté jusqu'à l'autre homme, avide de sa chaleur. Tout allait bien. Un pas, et puis un autre, il se laissait aller à leur merveilleuse routine quotidienne, leur précieux petit secret. Ses mains avaient trouvé leur place sur deux hanches, son menton sur une épaule - mais le corps tout contre le sien s'était glacé. Raphael s'était dégagé de ses bras, comme révulsé par ce seul contact. Premier coup de poignard.
Pendant quelques secondes, le temps s'était suspendu. Le monde était resté flou. Il avait regardé Raphael sans le voir, sans comprendre, sans parler, ses mains ouvertes sur le vide. Il aurait voulu détourner les yeux mais en était incapable. Une moitié de son cerveau luttait pour rattraper la deuxième, déjà incandescente de douleur. La raison échouait à rejoindre les sentiments. Quelque chose n'allait pas. Tout n'allait pas bien. C'était le seul semblant de pensées qu'il arrivait à réunir. Il regardait Raphael et c'était son visage, il reconnaissait son visage, mais échouait à reconnaître son expression. Il ouvrit la bouche, enfin - et fut devancé. "Nous sommes finis. C'est... C'est fini.". Deuxième coup de poignard. Il s'étrangla presque sur le "Raphael" pressant qu'il parvint à prononcer enfin.
Sa poitrine s'était serrée. Pendant une seconde, il eut le souffle coupé, avant que son coeur ne reparte à un rythme infernal. Il le sentait percuter sa cage thoracique, avec tellement de violence qu'il lui faisait presque mal. Ses yeux restèrent secs, anesthésiés par le choc. Une seconde il avait envie de hurler. La suivante, envie de s'enfermer dans un coin sombre, de ne plus jamais prendre le risque de la douleur. Plus rien ne faisait sens. Sa confiance venait de voler en éclat, aux deux seules syllabes d'un unique mot: fini. "C'est fini", qu'il osa répéter. "On ne doit plus se revoir. Ne cherche pas à me revoir.". Raphael amorça un geste vers la porte et il ne put s'empêcher de se jeter dans cette direction. Sa main se referma sur le poignet de l'autre homme, et le contact fut si intense qu'il lui fit l'effet d'une brûlure, rendue plus incandescente encore par le geste qu'il fit pour s'en dégager. Troisième coup de poignard.
Il avait envie de supplier. Il ne suppliait jamais. Envie de tomber à genoux et de lui demander d'arrêter ça, tout de suite, d'arrêter de lui faire du mal, gratuitement, comme ça, d'arrêter cette sombre blague parce qu'elle avait déjà assez duré. Parce que c'était une blague, n'est-ce pas? Simplement une blague. Le vent ne tournait pas si vite, de deux jours de bonheur à cet instant d'enfer. Sa bouche se tordit quand il balbutia "Raphael. S'il te plait. Raphael.". En vain. "Pousse-toi Noah. Il n'y a rien que tu puisses faire. Nous sommes morts.. Et s'il n'avait pas envie de se pousser? Il n'avait pas le droit de ne pas comprendre? Il essaya, à nouveau, de s'emparer de la main de Raphael, mais Raphael s'écarta avant que leurs peaux n'entrent en contact. Il avait besoin de le toucher. Tellement besoin de le toucher. Les choses s'éclairaient, quand il le touchait. Mais l'autre homme avait poussé la porte, et reculait. Et ça faisait mal. Mal de sentir, plus encore que de réaliser, qu'il ne le verrait plus jamais s'il s'en allait maintenant. Quatrième coup de poignard.
Il ne le verrait plus jamais ainsi, plus jamais en jouissant du droit de poser ses mains sur ses hanches, d'embrasser le creux de son cou. Il le regardait, avec de la douleur dans les yeux, ce visage qu'il avait appris par coeur, ce regard qui fuyait le sien, tourné vers le couloir. "S'il te plait..." murmura-t-il une dernière fois. Ses mains s'étaient serrées en poings. Il le regardait, et il ne savait plus quoi faire, plus quoi dire. Il se sentit tout à coup minuscule, comme un petit garçon que l'on abandonne. Son assurance avait volé en éclat. Il était à nouveau un enfant. Un enfant, dix-huit ans à peine, seul au monde, inutile, délaissé, stupide et gauche, un enfant et il ne valait plus grand chose, négligeable, un échec plus qu'un homme. C'était Tony qui le laissait encore. C'était la lueur d'horreur dans les yeux de son père, encore. Il essayait de respirer mais s'étranglait à chaque souffle. "Je suis désolé. On aurait jamais tenu.". Cinquième coup de poignard. Il serrait les dents pour soutenir la douleur. C'est en s'étouffant qu'il dit "Mais je t'aime" à un homme qui ne l'écoutait déjà plus.

Il resta de longue minute sur le perron de son appartement, porte ouverte, main serrée sur sa clé, regard vide. Il tremblait. Il n'avait aucune idée de comment il avait pu parvenir jusqu'ici, y parvenir entier, sans s'écrouler. La lumière était allumée. Sasha, sûrement toute proche. Il ne savait pas comment franchir les quelques mètres qui les séparaient encore, comment lui dire - alors il restait là, et il tremblait. "Noah?" appela, à l'intérieur, la voix de la seule personne qui n'avait jamais cessé de l'aimer. Il se tenait au cadre de la porte pour ne pas s'écrouler, incapable d'en franchir le pas. Ses yeux fixaient un point invisible, droit devant lui. Il entraperçut l'éclat d'une crinière rousse, une tête qui dépassait de l'entrée d'une chambre. Il essaya de reprendre son souffle, échoua. "Noah?" - la voix, un peu plus proche. Une main sur le haut de son bras. "Can't breathe", répondit-il, un étranglement. Une étreinte solide se referma autour de son torse, une pression constante pour lutter contre la panique, pour lutter contre le monstre rampant qui montait en lui. Il étouffait. Il étouffait et c'était comme si ses poumons ne répondaient plus, comme si tout son air avait disparu, volatilisé, ne laissant qu'une carcasse vide et inutile. Inutile. Raphael avait eu raison de partir. Tony avait eu raison de partir. Ses parents avaient eu raison de poser ce regard de mépris, mêlé de pitié, sur lui. Incapable de tenir un rôle. Incapable d'aimer correctement. Il avait beau faire, il en revenait toujours à l'échec - C'est fini, Noah, toujours. Il sentit à peine le baiser que Sasha déposa sur sa joue - parce que c'était fini. "Doucement, doucement", qu'elle répétait au creux de son oreille. Mais il étouffait. Comment était-il supposé avancer s'il ne pouvait même plus respirer correctement. Elle resserra encore un peu la pression de ses bras autour de lui, manoeuvra doucement jusqu'à soutenir au mieux son poids quand il s'affaissa un peu. Elle avait compris. Il savait qu'elle avait compris. Mais cela rendait juste la chose un peu plus difficile. Il n'y avait plus rien à faire, sinon se laisser guider jusqu'à sa chambre, se laisser allonger, la laisser le déshabiller comme on déshabille un enfant, la laisser murmurer des mots dépourvus de sens, la laisser le bercer de sa voix. Elle se glissa dans les draps à ses côtés, pressée contre son dos, serrant doucement sa main dans la sienne. "Essaye de dormir, Noah." De longues minutes durant, pourtant, il regarda droit devant lui, incapable de parler, incapable de fermer les yeux. "Je reste avec toi. Essaye de dormir. Je ne bouge pas de là. Je ne t'abandonne pas."

Quelques mots à peine avaient suffi à le ramener quinze ans en arrière. Quelques mots à peine avaient suffi à lui retirer, d’un seul et unique coup, toute sa belle assurance de façade, pour ne laisser que le gamin terrifié qu’il était à la fin de son adolescence.


VI - Swear to me, never to tell the secret you know of the angel in Hell. Go now! Go now, and leave me!

Avant, regarder Raphael suffisait à le rendre heureux. C'était très con quand il y pensait, rétrospectivement - mais au moindre doute il levait les yeux vers l'autre homme, l'écoutait inonder la troupe entière de ses directives, regardait les traits de son visage, regardait ses mains de pianiste, et tout allait mieux. Il contemplait cet homme, contemplait son talent. Raphael était brillant, même sans en avoir réellement conscience - il se transformait, et pour quelques heures devenait maîtrise pure. Avant, regarder Raphael suffisait à le rendre heureux. Maintenant, cela suffisait à le rendre misérable.

Il y avait des instants où il parvenait à faire abstraction de la douleur. Le temps avait fait son office - son regard s’éclairait à nouveau, retrouvait la candeur de celui d’un enfant qui atteindrait son rêve. Sous les yeux de l’équipe toute entière, il revêtait son masque de Phantom, redressait sa posture jusqu’à la solennelle puissance du rôle de sa vie, laissait sa voix éclater. Avec la fascination d’un gamin, il apprenait à articuler proprement malgré la contrainte sur son visage - travaillait le maniérisme de ses mains, les lents, gracieux déplacements d’un homme à moitié fou. Les enjeux disparaissaient pour quelques minutes. Il était juste un homme passionné,à qui l’on avait donné tous les accessoires possibles et imaginables pour jouer un personnage qu’il avait toujours fantasmé. Et Sasha était là - parfaite Christine, même dans ses robes encore inachevées, gravitant autour de lui, suivant ses gestes dans une tendre valse de fascination. Il ne se lassait jamais de répéter les vers de the music of the night, toujours plus hypnotique et caressant - la terreur de remonter sur scène dans un rôle titre devenait excitation. L’important était de ne pas regarder dans la direction du chef d’orchestre, de ne pas prêter attention à la voix qui lui dictait des instructions, l’important était de ne pas réaliser que ce n’était pas Raphael.
Parce que Raphael le fuyait. C’était logique quand on y pensait… non? Quelque part, Noah l’avait deviné - deviné qu’il ne voudrait plus jamais rien avoir à faire avec lui, deviné qu’ils ne se croiseraient qu’au plus strict minimum. Il avait simplement pensé, pour avoir aimé cet homme pendant deux années entières, que sa détermination à l’éviter n’irait pas jusqu’au travail. Qu’il pourrait encore avoir ces instants pour lui, savourer cette alchimie là. Ils avaient été bons, ensemble. Leur Sweeney Todd avait été une perle, après tout - personne ne le dirigeait comme Raphael, ne comprenait sa voix comme Raphael, ne le poussait aussi loin que Raphael. Il avait cru - il avait entretenu le stupide espoir de pouvoir l’avoir encore un petit peu à lui. En vain. Le premier jour, la déception avait été si violente qu’il en avait été prêt à quitter la pièce sans plus de cérémonie - c’était Sasha qui avait posé une main dans son dos, l’avait obligé à avancer, bavarde pour deux, avenante pour deux. Il avait serré la main de l’inconnu derrière le piano sans aucune joie, avait souris sans chaleur quand ce dernier avait expliqué qu’il remplacerait monsieur De Lacy pendant les répétitions. Des semaines et des semaines durant, quelque part, il avait été odieux. Connu pour sa légèreté, pour une sociabilité sans borne, il avait été d’une froideur remarquable avec ce seul homme. Lui qui avait toujours écouté religieusement les conseils qui lui étaient prodigués, il avait fait la sourde oreille aux siens, ne prenant en compte que ce que Raphael aurait pu lui dire - ce que Raphael lui avait déjà dit. Il ne l’avait pas taxé d’incompétence, le taxer d’incompétence aurait probablement été injuste. Une partie de lui se souvenait, simplement. Il avait aimé un homme, il l’avait aimé de toutes ses forces - mais cet homme avait aussi été capable, alors même qu’il ne l’avait entendu chanter que Grantaire, de mettre le doigt sur le défaut de ses reprises de souffle, de comprendre qu’il avait toujours une légère tendance à aller trop vite sur les premières mesures, de saisir que, lorsqu’il se mettait à manquer systématiquement ses attaques accordées, c’était le signe irréfutable qu’il commençait à fatiguer. Il avait aimé cet homme. Mais il avait aussi trouvé en lui une personne qui, parfois, quittait son piano, lui disait de se tenir droit, et, posant une main sur sa poitrine et une main sur son abdomen pour en réguler les mouvements, lui faisait répéter sa chanson jusqu’à ce que son rythme et ses inspirations soient impeccables. Plus qu’un amant, il avait eu un partenaire - quelqu’un qui était capable de le mener jusqu’à la perfection. Quand Raphael levait les yeux vers lui, souriait, lui disait qu’il était fier de lui, Noah le croyait.
Alors il faisait abstraction. Il se répétait comme un mantra les conseils qui lui avaient été prodigués par le passé, levait un regard surpris quand, parfois, l’homme venait le voir en tout début de répétitions et lui donnait les exactes instructions que Raphael aurait pu lui donner. Il faisait abstraction et il luttait pour garder la tête hors de l’eau des seules façons qu’il connaissait - en luttant pour être le meilleur à défaut de pouvoir en obtenir la certitude, évacuant la peur et la frustration par tous les moyens. Il déposait le masque sur son visage, laissait un frisson le parcourir de part en part quand celui-ci, fait à son modèle, fait à ses mesures, en épousait les courbes à la perfection. Il répétait les mots qu’il avait appris quand il n’était qu’un adolescent, ivre de pouvoir quand un choeur, pour la toute première fois, venait lui faire écho. Il était le Phantom. Il était l’enfant qui touche du doigt son rêve. Il faisait abstraction - parce qu’il ne se serait jamais pardonné de gâcher sa chance pour un homme qui l’avait terrassé.

*

Au fil des semaines et des répétitions, le poids des masques sur la moitié de son visage était presque devenu familier. Cela n'empêchait en rien un grand sentiment de liberté et de légèreté à chaque fois que la maquilleuse et le prothésiste entreprenaient de l'en libérer - et ce sentiment fut si intense, le soir de la première, qu'il en laissa échapper un grand rire extatique. Il en avait connu, des costumes et des arnachements, Macavity et Scar lui avaient laissé leur lot de courbatures et de gênes, mais le Phantom atteignait un tout autre niveau. Et pourtant il était heureux. Il se regardait dans le miroir, alors que son visage lui réapparaissait petit à petit, mouillé de sueur, et il avait du bonheur dans le regard. Il avait fait ça. C'était lui. Les applaudissements étaient pour lui. Rien que pour lui. Il avait été grand. Il avait été le Phantom. Sa voix ne l'avait pas trahi, pas une fois, et pour une fois, il était parvenu à se trouver lui-même bon. Il avait réussi. Il avait survécu à la première. Mieux encore que simplement survivre - il avait vu la foule l'acclamer, se lever et crier des "bravos" comme il s'avançait pour saluer.
Il avait réussi.
Il avait presque du mal à reconnaître son visage, peinturluré, lignes creusées par la fatigue et cheveux coupés très courts pour s'accommoder à la perruque. Dans des efforts coordonnés à ceux de sa maquilleuse, il frottait ses joues de coton et de lait pour enlever les épaisses couches de poudre sur ses joues, ses sourcils et ses yeux. En vain, plus ou moins - le coin de ses paupières gardait toujours quelques indices des couches de noir qui les avaient recouvertes un peu plus tôt, lui donnant l'air étrange propre aux acteurs qui quittent tout juste une scène. La lumière au fond de son regard, en prime, lui donnait l'air étrange propre aux acteurs heureux de ce qu'ils viennent d'accomplir. Quand sa maquilleuse poussa un grognement, tenta de lui dire d'arrêter de sourire pour qu'elle puisse nettoyer correctement ses joues, il eut un nouveau grand rire, un nouvel accès de bonheur. Elle leva les yeux au ciel, lui asséna une claque sonore à l'arrière du crâne.
Il était heureux.

Quelques minutes encore, et il était libéré. Les cheveux humides d'une douche rapide, il avait enfilé à la va-vite le costume qui traînait dans sa loge, prêt à rejoindre Sasha et la soirée d'ouverture. Il n'avait pas cessé de sourire, et tant pis s'il avait l'air d'un imbécile - à ce stade il était au-delà de ça, tout à son nuage cotonneux, son flot constant d'adrénaline. C'est à cet instant que la voix de Sasha parvint à ses oreilles - et tout alla très vite. Je le dirai à Noah. Sans même y réfléchir, il poussa la porte, se glissa hors de sa loge. "Me dire quoi?" lança-t-il, machinalement. Et puis il vit. Sa meilleure amie, encore à moitié en costume. Le visage d'une adolescente - Maggie, réalisa-t-il aussitôt. Et puis Raphael, mortifié. Et une femme. Oh, il avait déjà vu Jane - de loin, juste assez pour la reconnaître. Juste assez pour sentir son coeur bombarder violemment sa pointrine, une poussée de douleur vive. Il fit un pas en avant - parce que c'était trop tard pour reculer et puis, cela permit au moins à Sasha de poser une main sur son bras, l'espace d'une seconde. Ses lèvres se serrèrent, avant qu'il ne se souvienne qu'il était supposé sourire. Mais son sourire resta froid. Poli. Il avait toujours été excessivement galant avec les femmes qu'il rencontrait les soirs de première, leur donnant du baisemain, des mines radieuses - il se contenta de pencher légèrement la tête, de répondre au plus neutre à tout ce qu'elle lui disait. Elle se moquait de lui. Il le savait. Et le pire? C'est qu'elle était belle. Cette femme était magnifique - glaciale, mais magnifique. Froide. Tellement froide. Et elle avait gagné. Ils s'étaient fait la guerre, lui et elle, quelque part - la guerre pour un homme, et elle avait gagné. Il gardait les yeux rivés sur elle, pour ne pas voir Raphael. C'était, quelque part, tout aussi douloureux.
Quand Maggie réclama à son tour son attention, la souffrance était devenue constante. Une douleur pénible qui n'en finissait pas, qui tirait sur son coeur. Il avait toujours aimé la fille de Raphael - cette fois-ci, cela ne suffisait pas. Il souriait, bien sûr. Il accepta de bon coeur ses compliments - alla, sans la moindre hésitation et sans la moindre considération pour les costumiers, lui chercher l'un des masques du Phantom qui traînaient dans sa loge. Elle était lumineuse, et adorable. A des kilomètres de sa mère. Elle avait quelque chose de son père dans ses yeux. Il ne voyait que ça. Il ne pouvait voir que ça.
C'est Sasha qui parvint à le sortir de ce piège. Il n'avait toujours pas adressé à un regard à Raphael - il n'aurait pas pu, de toutes façons. Il sentit la main de sa meilleure amie venir chercher la sienne, et c'est ensemble qu'ils disparurent dans la loge de la jeune femme. Ne pas se retourner. Ne surtout pas se retourner. Plus jamais.
Il trouva une lettre dans sa loge le lendemain. C'était l'écriture de Raphael.
C'est sans la lire qu'il l'abandonna dans un tiroir.

*

Il avait bu. Rétrospectivement, peut être que les derniers cachets de mdma n'avaient pas fini de tourner dans son organisme. Il avait bu et il était encore défoncé. Rien qu'il ne pouvait pas gérer, comme il aimait le prétendre. A tort. Sûrement à tort. De toute évidence, à tort. Ce genre de conneries que l'on regrette toute une vie durant. En tous cas, lui, il la regrettait.
Il avait poussé trop loin - n'importe qui aurait pu s'en rendre compte, lui n'avait pas été capable de le faire. Il s'était laissé retomber dans les travers de son enfance, cette spirale infernale où seuls les paradis artificiels venaient à bout des heures d'angoisse et de vide. Son assurance ébréchée laissait filtrer la peur, et il la colmatait comme il pouvait, mal, repoussant l'échéance de l'instant où il s'écroulerait de nouveau. Il se dégoûtait. Bien sûr qu'il se dégoûtait. Au quotidien, il jouait encore son rôle d'homme flamboyant, grands sourires, yeux brillants, mais l'intérieur était bouffé par la peur. L'ombre de Miss Saigon planait sur son Phantom. Pour la toute première fois de son existence, il avait connu l'échec, et l'échec avait un goût amer. Il avait beau être revenu dans son domaine, vivre au quotidien ce rôle qu'il avait aimé avec tout son farouche amour d'enfant, il était terrifié. Il chantait, et il avait peur que la note suivante ne vienne pas. Elle venait toujours. Cela ne faisait que reporter l'angoisse sur la note suivante, encore. D'une façon presque ironique, cette angoisse nourrissait le désespoir de son Phantom - mais il tenait le coup avec un empressement fébrile de funambule qui court sur son fil, une perpétuelle fuite en avant. Aux yeux du monde, aux yeux de la critique, il était brillant. En réalité, il était à bout de souffle. Personne n'aurait soupçonné le crash à venir - lui l'avait vu venir de loin, même s'il ne l'avait pensé que métaphorique.
Il avait bu. Sasha n'était pas là. Il s'ennuyait. Alors il avait bu, parce que quand Sasha n'était pas là pour l'aider à se tenir debout, il préférait s'anesthésier tout seul. Il avait cinq heures avant l'instant où il était supposé aller à l'Opéra pour les dernières balances avant le spectacle - largement le temps de décoller un peu, et de reprendre son état normal. Il le savait. Il le pensait, en tous cas - tout irait bien. Il avait bu et tout à coup il n'avait plus que quatre heures, et tout à coup plus que trois heures, deux heures, une heure, et putain, il allait être en retard. Il avait bu et il n'aurait jamais dû faire ça. Il était brumeux, mais c'était son Phantom. C'était le rêve de toute une vie. Même la peur n'aurait pas pu anéantir cela. Il était déjà plus bas que terre, il n'aurait jamais abandonné un rôle. Jamais. C'était la seule chose qui lui permettait de se sentir vivant. Peut-être qu'au fond il n'avait pas abandonné ses espoirs un peu fous d'être grand à nouveau.
Et puis la route. Et puis la nuit. Et puis un virage raté, et un dérapage qui n'en finit pas. Le bruit de la tôle qui se froisse devait résonner dans ses oreilles pendant des mois entiers. Un long crissement, un choc, le métal qui se plie, la douleur sourde, et puis une douleur plus brutale - le son caractéristique d'un os qui se brise net. Il n'avait pas crié parce que la souffrance, abrupte, avait coupé net sa respiration. Les nerfs, à vif, avaient hurlé à sa place. Un autre craquement. La seconde lui avait semblé s'étendre sur une heure. Les minutes, gisant au sol, les yeux rivés vers le ciel, lui avaient semblé des siècles. Son regard était resté glacial, obstiné, braqué vers les étoiles, pour ne pas voir le charnier. Il avait pleuré des larmes de gamin, s'étouffant dans ses propres sanglots, la poitrine comprimée par la douleur. Il aurait voulu supplier. Comprendre. Ou se réveiller. Ou alors mourir tout de suite, pour que cet enfer s'arrête ici. Une femme inconnue s'était penchée vers lui, avait pris son pouls, avait pris sa main, pressée tout contre lui. Elle semblait terrifiée. Lui était désespéré. Abruti par la douleur, il l'avait appelée Sasha. Elle avait simplement tenté de sourire, lui répétant inlassablement que l'ambulance allait arriver. "Sasha, j'ai peur", s'était-il contenté de répéter, obstinément, jusqu'à l'instant où il avait perdu connaissance. Noir. Quelque part, tout près d'ici, the Phantom of the Opera s'apprêtait à commencer sans lui.


VII - Tell me before I waltz out of your life, there's something I never got clear.

Il se tenait dans l'ombre, dans l'ombre froide des derniers rangs, ses deux mains plaquées contre ses jambes raidies. Ses yeux lui brûlaient, sa gorge restait nouée, sans qu'il ne puisse savoir si c'était la voix de Sasha qui l'amenait aux larmes, ou la silhouette familière qui, à geste lents, mesurés, guidait l'orchestre. Ses lèvres, sans laisser échapper un son, récitaient les lignes du Che, répondaient à l'Evita de Sasha. Un rôle de tenor, à sa portée de baryton. C'aurait été si facile, monter sur scène, se tenir prêt sur les dernières notes de Don't cry for me Argentina, apparaître pour lui répondre sur High flying adored, à nouveau sentir les projecteurs réchauffer sa peau au travers de l'épaisseur de son costume. Il aurait pu la faire tournoyer sur A Waltz for Eva and Che, recréer cette merveilleuse harmonie qui n'appartenait qu'à eux. Sa voix se serait élevée comme elle le faisait avant, majestueuse, puissante, facile. Deux heures se seraient écoulées comme deux minutes, et il aurait pu, il aurait su, mener Sasha dans cette valse infernale, criollo, un pas pour chaque mesure, bras hauts et grâce de félin. Il aurait su se saisir de sa taille, la soulever du sol sans craindre de la laisser s'écrouler, sans craindre les faiblesses d'un corps ouvert, sanglant, recomposé par la médecine. Il aurait su suivre le rythme de violence que lui dictait l'orchestre et un, deux, trois, un, deux, trois, et Raphael aurait compris, compris que c'était à lui qu'il chantait "tell me before I waltz out of your life, before turning my back on the past, forgive my impertinent behavior, but how long do you think this pantomime can last?". Noah n'aurait pas craint de s'écrouler lui même, terrassé par les faiblesses d'un coeur ouvert, sanglant, blessure jamais refermée.
Il ne monterait pas sur scène. Il ne se tiendrait pas prêt sur les dernières notes de Don't cry for me Argentina, n'apparaîtrait pas pour répondre à Sasha sur High flying adored, ne la ferait pas tournoyer sur A Waltz for Eva and Che. Il se tenait là, simplement, au fond de la salle, ses mains serrées sur des articulations endolories par la rééducation. Il s'étranglait dans le souvenir de la lumière, des regards braqués sur lui, uniquement sur lui. Qu'elle était loin, l'époque merveilleuse où il apparaissait sur scène, choquant, brillant, où il jouait la folie jusqu'à la pousser à la fascination, monstre grotesque et grandiose. Il aurait voulu, une dernière fois, saluer la foule rugissante et se sentir vivant - être cette main qui intimait Raphael à se tourner vers le public, puis vers la troupe entière réunie, pour s'incliner à son tour. Il se souvenait de son regard à ces instants. Leurs yeux se croisaient une seconde, discrets mais lumineux. Ils avaient de ces communions étranges, les soirs de succès - le respect venait doubler la fierté, qui elle-même doublait déjà l'amour.
Il ne monterait pas sur scène. Ses dents se serrèrent quand le Che entra en chantant, trop faible là où Sasha était lumineuse. L'envie de se lever, de lui hurler les conseils les plus élémentaires, de lui gueuler de se tenir droit, putain, et articule, bon sang, articule, connard, le pénétrait de part en part. La frustration n'avait jamais été si violente. Son alchimie avec Sasha était minable, froide. Son expérience de la danse, trop faible, ses gestes rigides au lieu d'être souples. Sa respiration bruyante, mal positionnée, mal dirigée. Il s'efforçait de ne pas penser à Raphael, à cette expression glacée qu'il adoptait quand il s'acharnait à corriger ce genre de détails - de ne pas se souvenir de sa voix quand il lui répétait "Noah, ralentis, Noah, fais attention au rythme sur la dernière mesure, ralentis, respire au troisième temps, pas au premier", jusqu'à la perfection. Il devait être en rage à cet instant. Il était toujours en rage quand on sabotait ce qu'il appelait, candide, sa musique.
Il quitta discrètement la salle avant le final, pour ne pas assister à ce salut qu'il ne mènerait pas. De longues minutes durant, il tira sur une cigarette, assis sur les marches de l'opéra. Son regard balaya la rue et, quand elle lui sembla déserte, il en profita pour fermer les yeux, redresser sa posture. Il se déploya dans la lumière d'un mauvais lampadaire, solitaire dans la nuit, inspira profondément, laissa les mots rouler sur sa langue: "Tell me before I ride off in the sunset, there's one thing I never got clear". S'il avait eu le courage de tendre les bras, il aurait pu adopter une posture parfaite, sentir entre ses mains le poids familier de Sasha. Il ne l'avait pas. Quand les applaudissements se turent à l'intérieur, il se releva, ramassa le bouquet de roses déjà défraîchi qui traînait à ses côtés.
Les employés reconnaissaient son visage, serrèrent sa main quand il se faufila dans les coulisses. Il dévala les couloirs, au plus vite que ses muscles endoloris le lui permettaient, histoire de ne pas avoir le temps de réaliser qu'il n'était plus le maître de ce domaine. Bien vite il fut dans les loges. Il ne put empêcher ses yeux de se poser sur la porte de celle de Raphael, tout juste le temps de réaliser qu'elle était entrouverte, qu'il était là, sûrement juste là - et de les détourner pour filer tout droit jusqu'à celle de Sasha. Elle poussa un grand cri quand elle le vit, un interminable "NOAH!", se jetant dans ses bras sans même prendre la peine de se saisir du bouquet. "Tu es venu, tu es venu", qu'elle répétait, à moitié étouffée contre sa gorge. Du coin de l'oeil, il entraperçut un autre visage familier, un homme surgissant de la porte qu'il avait failli pousser. Il ferma les yeux pour ne pas le voir.


Dernière édition par Noah Valdivieso le Ven 15 Mai - 0:46, édité 5 fois
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(meowww NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 )
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 1:20

NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Ramin-and-sierra-o
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 1:23

re-bienvenue NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 1:25

JULIA + DEMETER = AMOUR ULTIIIIIIIME NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794

Et Cécile...
Spoiler:

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Merci Jackson NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 9:28

Alors je préviens, je n'ai pas fait exprès, mais j'ai atterrit sur ta fiche, avec Again dans les oreilles Arrow
Si c'est pas le destin  NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 1939334226  

I love you still, I've never stop, i know i never will, Please don't let this be our end, Here i am praying you'll come home with me...

uuh. J'ai actuellement déjà mal Arrow mais je ronronne déjà NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794

Spoiler:


Edit : tain j'me suis même pas rendu compte que j'avais mis les mêmes images que toi Arrow
du coup t'en a le droit à une autre pour la route NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 1307519612

Spoiler:


Dernière édition par Raphael De Lacy le Dim 3 Mai - 9:40, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 9:37

NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 907793  NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 907793  NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 907793

Je crierais bien un "NOOOOOAAAAAAAH" mais Maggie a une éducation qui fait que ce genre de fangirlisme, ce n'est pas pour elle NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 722431 (elle se contente de croire qu'elle est amoureuse de lui et de lui vouer une profonde admiration NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 )

C'était la bonne surprise du réveil NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 907793 (meme si y'a deux jours dans la cb je disais que t'avais presque les points Arrow ) et t'as de la chance, j'ai sérieusement considéré à te rep cette nuit parce que j'arrivais pas à dormir, mais je me suis dit que j'allais te foutre la paix un peu NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 678005570

BREF, rebienvenue et hâte de lire ta fiche NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 (Parce que je vais tout lire, et adorer i know NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 424623794 )
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 21:14

Re bienvenue à la maison NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 907793
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeDim 3 Mai - 23:24

Welcome ! angeel inlovee
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeLun 4 Mai - 18:44

reeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 6486
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeVen 15 Mai - 1:27

WHAT AM I SUPPOSED TO SAY ugh, évidemment je te valide NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 76110
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitimeVen 15 Mai - 1:32

meooooooooooooooow NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" 93733
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MessageSujet: Re: NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle"   NV - "Give 'em the old Razzle Dazzle" Icon_minitime

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