STP ◊ Life is what happens to us while we are making other plans

Son père n’avait pas rechigné, lorsqu’il avait parlé de ce camping, organisé pour les élèves de sa classe. En même temps, il n’avait aucune raison, mais… Seth avait quand même éprouvé une sorte de soulagement inexpliqué, lorsqu’il lui avait donné son accord. Loin de chez lui le temps d’une sortie, Il avait senti son coeur s’alléger à mesure que le bus qui les transportait s’éloignait de chez lui, où il y régnait un climat invisible, tendu depuis quelques temps. Il ignorait qu’inconsciemment, c’était lui-même qui l’avais instauré, ce malaise, qui le rendait en proie à ses propres doutes, et qu’il choisissait d’ignorer pour l’instant. Son père n’avait probablement même pas prêté attention à ce changement d’attitude, et finalement c’était tant mieux. Ce n’était pas le moment d’ajouter un problème au problème. De toute façon, il n’y avait pas de problème. Hors de la maison, il se sentait de nouveau lui-même, boute-en-train, riant avec les autres élèves dans le bus, essayant de mêler son ami Joshua à la conversation. Il savait qu’un petit coup de pouce ne ferait pas de mal, plus un, plus un autre… Ça n’avait pas l’air de porter ses fruits qu’à présent, et il n’insista pas lorsque son ami trouva l’opportunité de fuir le feu de camp, animé. Dommage. Dommage, parce qu’à la fois il se disait qu’il risquait de le braquer s’il venait à insister un peu trop - c’était déjà arrivé par le passé, une erreur qu’il ne voulait pas forcément reproduire. Dommage ensuite, parce que c’était avec Joshua qu’il avait envie de construire ces souvenirs d’adolescents, qu’il prenait de plus en plus à coeur, comme avec le sentiment que sinon, quelque chose allait lui échapper.

Il avait finit par trouver un prétexte pour le rejoindre. Joshua ne le savait pas encore, mais c’était con de sa part de rater leur aventure, une fois encore, il devait juste lui filer un coup de main pour ouvrir les yeux ! La bouche encore pleine de marshmallows qu’il avait fait un peu trop brûler, il se contorsionna pour pénétrer dans la tente, tout en prenant garde à ne pas amocher l’autre brochette qu’il avait dans les mains. “Ça se voit que tu as jamais du faire de camping”, prédit-il, l’air farceur. “Sinon, tu saurais qu’on garde le meilleur pour la fin !” Il lui tendit la brochette, même si ce dernier s’était emmitouflé dans son sac de couchage. A l’extérieur, s’élevait de façon à peine étouffée, les rires de leurs camarades. Il eut un instant peur que Joshua ne l’envoi bouler, mais son angoisse fut rapidement dissipée, lorsqu’il se redressa. Il était toujours content lorsqu’il arrivait à attiser sa curiosité, ce qui lui donnait envie de redoubler d’efforts, pour sentir de nouveau ce sentiment le parcourir. « C’est quoi ? » . Il essaya de capturer le frôlement des doigts de son ami sur la main pour essayer de les marquer au fer dans son esprit. “Ok, définitivement, heureusement que je viens d’arriver”, théâtralisa t-il, en souriant. Un instant il se demanda si Josh était sérieux… Il l’était. Ok. “Ce sont des marshmallows, et tout feu de camp sans marshmallows… ce n’est pas un feu de camp.” Tout le monde aimait les brochettes de marshmallows. La preuve. « C’est bon ! » . Seth s’installa du côté de son couchage, un peu à contre coeur, sentant une proximité anormale. Anormale de quoi ? Il n’en savait rien, une intuition, un fait avéré, il n’empêche qu’il n’était pas tout à fait d’accord.  Il attrapa un fil entre son pouce et son index, une couture s’échappant de sa couchette, pour commencer à jouer avec « T’es pas obligé de rester avec moi, tu sais ? Je veux pas gâcher ton week-end ...  » Avec n’importe quel autre de ses potes de classe, il aurait plaisanté, mais il savait qu’avec Josh, c’était moins possible. Ca ne lui posait pas spécialement de problème. C’était ce qui le rendait intéressant. “Ouais je sais” répondit-il simplement, pour ne pas lui laisser l’occasion de saisir la perche et de n’avoir d’autre choix que de laisser Joshua seul dans la tente. Il renchérit à la place, “par contre si tu comptais pioncer c’est mort ! Y’a cette fille, Bridget, je crois que je vais tenter ma chance.” révéla t-il. L’heure devenait plutôt appropriée à des confidences sur l’oreiller. « Tenter ta chance pour quoi ? » . Seth resta figé quelques secondes, et espéra ensuite que cela ne s’était pas vu. Joshua venait d’un autre monde, c’était clair. Pas dans le sens péjoratif, mais souvent ça le déstabilisait, parce que là où les codes du langage étaient évident pour Seth, ce n’était pas le cas de son ami. Au début quand il faisait ça, il pensait qu’il ne l’écoutait pas. Josh était comme ça, ce n’était même pas sur qu’il s’en rende compte. “Non mais tu sais, elle me laisse toujours toucher ses cheveux, je pense qu’elle aime bien ça”. Interpréter les signes, et tout et tout. “Tu crois que ça veut dire qu’il faut que je l’embrasse ?”. Déjà que c’était compliqué de lire entre les lignes, alors si en plus, c’était avec une fille… “Je crois qu’elle l’a déjà fait, mais moi non, c’est bizarre, ça devrait être le contraire, non ?” Il se mit à tapoter machinalement sur ses jambes croisées. color=Coral] « Oh, donc tu veux que je vous laisse notre tente ? » [/color]. C’est là qu’il comprit que ses remarques avaient été mal interprétée, ce qui l’alarma aussitôt. “Elle est allée dans sa tente avec ses copines” justifia t-il sans attendre.

Il n’était pas sûr, mais soudain très soucieux d’ancrer cette vérité dans l’esprit de Josh. A essayer de s’inquiéter de s’il froissait son ami ou pas, il ne savait plus trop, si ce n’était pas ce qu’il avait fait finalement. “En plus, il faudra que j’essaye avant, j’ai pas envie de passer pour un imbécile, si elle va le répéter à tout le monde. T’as déjà embrassé une fille ?”. C’était une question en apparence rhétorique, mais qui lui importait soudain. « Non, jamais. » . Le soulagement ? Le garçon ne savait pas trop pourquoi mais cette réponse lui convenait. Très certainement, parce qu’à leur âge, c’était un peu la course, et que c’était rassurant de constater qu’il n’était pas le seul à la traîne. « Mais … Pourquoi essayer avant ? Enfin, si c’est elle que tu veux embrasser … Pourquoi tu essayerais pas avec elle, directement ? Pourquoi tu passerais pour un imbécile ? Enfin … T’es pas un imbécile, donc bon. » . Il sentit son estomac se nouer en imaginant l’idée, se persuadant soudain que ça ne pouvait pas se passer comme ça, quelque chose de plus précis naissant dans son esprit. Il essaya de le chasser d’abord, parce que c’était… bizarre. S’il trouvait ça bizarre, c’était que ça l’était. “Ben parce que tu sais, les gens, ils te jugent facilement, même si tu as toutes les meilleures intentions du monde”. Sa réponse était à double tranchant, mais cette fois, il avait conscience que Joshua n’en saisirait peut être pas la signification. Mais quand même… on ne savait jamais. Ou peut être pas en fait. Son trouble s’accentua lorsque Josh brisa sa bulle, son cocon, mais cela ne le dérangea pas, comme si c’était une suite logique de choses finalement. « Du marshmallow. » . Il se retint de frissonner, dans un sursaut de conscience brusque, avant de prendre un virage à 180 degrés. S’il ne laissait pas son impulsion agir maintenant, il ne le ferait plus ensuite, et le regret était déjà en train de saisir son corps, bousculant toutes ses pensées. Il préféra prendre le signe de Joshua pour argent comptant, et sans prévenir, pencha son visage du côté du sien, pour mettre fin à la distance entre leurs lèvres. La suite lui laissa clairement comprendre que quelque chose n’allait pas, et se décala vivement, laissant transparaître une potentielle erreur. Il savait qu’on embrassait pas les garçons. Les garçons embrassaient les filles, et vice versa. Normalement. Il consulta l’expression de Joshua, pour prendre la température, et savoir comment intervenir, ne sachant malgré tout plus vraiment où se mettre. « Désolé. Je m’y attendais pas … Et donc … »

Seth se sentit stupide. Ce qui lui avait paru comme évident à peine plus tôt, devenait une bêtise dont il mesurait de plus en plus l’ampleur. Super. Génial. Comment se sortir de là à présent ? Il gardait ce sentiment que l’irréparable avait été commis. “Non, mais euh, tu sais quoi, ça a dû me monter à la tête ces histoires”. Il voulut rajouter autre face à ce climat désormais de plus en plus étrange, mais en fut incapable. « Maintenant on - on peut. Si - si tu veux. » . Lui-même ne savait plus ce qu’il voulait. Le retournement cependant, était inattendu. “On a qu’à tester alors… tu sais. Pour voir.” hasarda t-il, partagé entre refuser ou accepter la nouvelle proposition. Après un nouvel échange de regards, il s’installa de nouveau face à Joshua, et le reste lui vint finalement naturellement. Il ferma les yeux, sa bouche trouvant celle de son ami pour la presser, doucement d’abord, pour ne pas le brusquer, se laissant emporter par les sensations. Il s’était toujours demandé comment ça faisait. D’embrasser quelqu’un. En fin de compte, c’était l’intuition qui faisait la grosse part du travail. Tout ça, ça coulait de source, qui devenait tout à coup comme une suite logique qui s'enchaînait avec une facilité déconcertante. A quel moment rompre ce baiser ? Il ne se posa même pas la question, suivant les mouvements de Joshua, prenant également l’initiative d’en créer de nouveaux. Il y avait des fourmillements qui parcouraient tout son corps, comme des petites décharges d’électricité, qui lui confirmaient qu’il était au bon endroit au bon moment. Le reste, tout ça, ça n’avait pas d’importance, il ne se souvenait même plus pourquoi il avait hésité en premier lieu. C’était aussi doux et puissant qu’un bonbon acidulé. Il n’avait aucune envie que ça s’arrête.

- Tu vas chialer, c’est promis, lui assura un des chefs de partie, sourire goguenard aux lèvres. Expression qui suffit néanmoins à Seth pour lui prouver le contraire, pourtant, lui-même  n’avait aucune idée, de s’il allait sortir vivant de cette épreuve du feu. C’était le week end, il était là depuis quatre jours seulement. Il savait qu’il allait en chier.

C’était pas les cuisines d’un restaurant haute gastronomie, mais le quartier de Montmartre à Paris, avait sa petite réputation. L’enseigne du Sacré Cœur, elle avait quand même rien à voir avec la brasserie du 17ème populaire dans lequel il avait bossé pendant plusieurs années. Il ignora sa remarque – dans ces cas là, c’était encore ce qu’il restait de mieux à faire, il n’allait pas se mettre la brigade à dos la première semaine. Il savait qu’il allait prendre cher de toute façon, les cuisines étaient pas réputées pour abriter des tendres, et bizarrement, ça lui convenait. Il ne s’était jamais plus senti à sa place qu’ici, au milieu de la chaleur étouffante, des casseroles, des cris et des insultes. Sympa, hein ? Son bagou était quand même un sérieux petit coup de pouce, surtout dans ces hauts lieux, où la mentalité, c’était marche ou crève.

Il sentit ses joues s’empourprer sous la chaleur, tout en s’activant. Entre deux ordres il y avait toujours un membre de la brigade pour le charrier, ou le bizuter. Entre ce qu’il se passait dans les cuisines, et le restaurant, c’était deux mondes qui se confrontaient.

- C’était vraiment de la merde ce soir, tonna, le chef de cuisine, en fin de service, après avoir fait claquer son torchon contre sa cuisse. Ah non, ils pouvaient en être sûr, il n’y avait pas la moindre trace d’humour dans ses propos, balayant du regard la pièce qui avait souffert du branle bas de combat précédent.

C’était loin d’être la première fois qu’il entendait ce genre de paroles cassantes, mais putain, à chaque fois ça lui donnait la même envie de dire au concerné d’aller se faire foutre. Ses jambes lui brulaient tellement, que lui même se demandait comment il faisait pour ne pas s’écrouler. C’était trop dur. Il allait quand même pas se crever à la tâche, simplement parce que c’était le seul truc qu’il savait faire et qui l’intéressait. Se faire pourrir par un mec odieux, ouais nan. Rendre son tablier ? Ouais pourquoi pas. Mais justement, il ne savait faire que ça, et il n’y avait que ça qu’il avait envie de faire. Cette bataille psychologique n’avait pas encore eu raison de lui. Pas ce soir.

- Porter, si c’est comme ça que tu bouges ton cul avec ta meuf, laisse ta place à quelqu’un d’autre ici, et est-ce qu’il avait parlé de l’humour gras qui allait avec ?

- Tu risques de courir derrière les nibards encore longtemps, grommela t-il avec humeur, mais assez fort pour être entendu.  Quoi qu’il arrive, des réactions, il allait en déclencher. La langue de bois n’existait pas ici, et il attendait le moment où il allait se faire traiter de tarlouse. Il était plus pince sans rire qu’agressif, parce qu’il n’avait aucun problème avec son homosexualité, généralement, c’était les autres qui avaient un problème avec. Est-ce que ça posait un problème un gars et une nana qui s’embrassaient et se tenaient la main ? Il partait du principe à ce qu’il y ait la moindre honte à affirmer ses propres orientations. Il était passé le temps de l’adolescence fiévreuse où il avait chercher à le masquer d’abord, à le revendiquer fièrement ensuite. C’était le Seth Porter qu’il était aujourd’hui, et sans porter au front ce drapeau d’identité, il n’allait pas tourner autour du pot pendant cent sept ans. Toi, par contre, ça peut s'arranger, risqua t-il avec un clin d’œil surjoué cette fois.

Il sut que c’était gagné lorsque l’attention fut détournée sur Nathan et les nombreuses railleries qui suivirent, lorsque lui-même se défendait avec véhémence. Quitte à ce qu’on les lui brise avec sa sexualité, ce qui serait arrivé dans tous les cas, autant ne pas passer pour une curiosité. Il attrapa l’énorme saucière, qui méritait un bon décrassage, alors que l’atmosphère avait pour mérite d’être plus détendue. Il avait actionné le bon bouton en mettant les pieds dans le plat du premier coup, sans mauvais jeu de mots, déjouant peut être d’éventuelles prise de position. Au pire, de toute façon, c’était trop tard.

- Amène toi, on va boire un coup, la nuit va être courte de toute façon, Thomas lui flanqua une grande tape dans le dos, alors que Seth réajustait sa veste en jeans, après s’être changé. Il était pas loin de deux heures du mat’, il reprenait un service en fin de mâtiné. Je vais te filer un secret, et t’inquiète pas, même les grosses baraques comme Nathan y passent.. De ses doigts apparurent comme par magie un pétard soigneusement roulé. Enfin, ça c’est dans l’optique où tu comptes rester avec nous un bout de temps, ce dont je doute pas, après le sale rush qu’on s’est pris dans la gueule. T’es con tu sais, tu ferais mieux de dégager.

Ou l’art du compliment dissimulé. Seth comprit, qu’aux yeux de leur chef ils étaient des branleurs, mais moins pire que les autres branleurs quand même. Sans poser de questions, parce qu’ils n’en posaient jamais entre eux, il tira sur ce que Thomas venait de lui tendre.