(r) sometimes you just do stupid shit

Il n'avait rien à faire dans ce bar, en plein Soho, au beau milieu de la nuit. Well, il n'était pas tout à fait minuit, d'aucuns auraient jugé pareille sortie raisonnable. Sauf que ce n'était absolument pas le genre de Charlie de traîner à Soho, surtout seul ─ enfin, la solitude n'avait rien d'étrange en soi, c'était surtout l'endroit qui rendait la chose bizarre et vaguement dangereuse. Il avait poussé la porte sans trop savoir quoi penser de l'enseigne à moitié éteinte qui clignotait au-dessus, accroché à un mur qui avait connu des jours meilleurs. Assurément, ce n'était pas le Soho que se figuraient les touristes. Non, plutôt un coin clairement mal famé qui aurait fait frémir d'horreur sa chère maman. Mais Charlie n'avait pas envie, ni besoin d'ailleurs, de penser à sa mère. Non, il lui fallait un verre. Fort heureusement pour lui, il y avait peu de monde ce soir et il n'eut qu'une petite minute à attendre avant que le barman ne daigne lui porter de l'attention. Il marmonna sa commande ─ une bière, rien de bien sérieux, ce qui est certainement la raison pour laquelle le barman sembla surpris. Le verre, froid et humide, tourna et retourna entre ses doigts. Il n'avait rien à faire là, non, mais il pouvait difficilement imaginer meilleur endroit pour diriger la nouvelle de sa soi-disant idylle avec cette fille que lui avait dégoté son agent. Question d'image, question de réputation, apparemment. Il soupira, le nez dans son verre. Quelle soirée merdique, franchement. Et pour un peu que son agent en entende parler, Charlie regretterait certainement d'être entré ici. Mais ce n'était qu'une bière, right ?

comment il se retrouve à pousser la porte d'un bar aussi miteux à trois heures du matin, une plante en pot dans les bras, est une bonne question. la plante en pot peut encore s'expliquer. une sortie tardive avec d'autres danseurs de la compagnie, quelques verres en trop et un fleuriste ouvert jusqu'à minuit, entre l'opera house et soho. cette partie là était réglée, il a donc dans les bras un sublime hibiscus, pas encore fleuri, et encore pas trop grand - tenant juste dans un pot qui peut être transporté sans trop d'encombres. un achat impulsif peut-être un peu étrange, une plante à laquelle il faudrait trouver un nom. plus tard, une fois l'alcool dans son sang un peu évanoui dans le reste de son organisme, ou évacué d'une façon ou d'une autre.

car la soirée termina juste un peu trop arrosée - mauvaise habitude, c'était le cas de toutes celles-ci. c'est vrai que majorité des danseurs ne sortaient pas trop, après les spectacles, ou n'importe quand, préférant une bonne sieste à une soirée dehors. pas lui, jamais vraiment. mais peu importe, il s'est laissé emporter de toute façon. et s'est arrangé pour perdre portefeuille, carte d'identité, carte de métro, carte bleue, et caetera. au moins il a toujours son arbre, a poser sur le bar. et la tête dans ses bras. il a perdu les autres en partant du premier bar, déjà un peu plus avenant que celui-là. il trouvera bien un moyen de rentrer. mais pas maintenant. l'idée semble excellente - une sieste directement sur le bar. juste le temps que quelqu'un réponde à ses sms. quelqu'un avec une voiture, de préférence. le frère ou le fiancé, c'est au choix. max ne dors probablement pas à une heure pareille. pas de voiture mais il pourra juste. être là. ce serait déjà ça, vu comment il titube. c'est que sans lui à surveiller, il s'est laissé aller pour une fois. mais pour l'instant, le téléphone au bord du bar, à côté de son pot en céramique, à côté d'une pile de centimes trouvées dans les poches d'une veste trop jaune - quoi qu'au moins pas réfléchissante, ne vibre pas. et il lui faut un moment pour remarquer que quelqu'un s'est assis pas trop loin. « entschuldigung..-uh, sorry? yeah, sorry. » l'accent n'est toujours pas bon, mais il blâmera l'alcool si on lui en donne l'occasion. blâme pas vraiment mérité, c'est juste qu'il stagne, ou ne fait aucun effort, malgré ce qu'on peut tenter de lui apprendre. ou juste assez pour se faire comprendre. « sie hat-fuck. sorry-you wouldn't have like, two pounds? three. i don't know. i'm wasted just-i need a coke or. something. not alcohol i have enough of a-uh. » les mains se meuvent, montrant vaguement son visage - et il se redresse vaguement, juste assez pour avoir l'air humain, les yeux explosés, trop mal démaquillés après sa représentation, et l'effort du soir, après ses frasques florales, n'auront rien aidées. « headache ? »

Il tremblait et, objectivement, Charlie savait que ce n'était pas parce que la bière était fraîche entre ses doigts et le long de sa gorge. Il hoqueta, s'essuya les lèvres du poing. Ce n'était décidément pas une bonne idée. D'abord parce qu'il n'était pas un si grand fan de bière, pas seul en tout cas ─ parce que ses étés sur la Côte d'Azur avec ses cousins en étaient bien la preuve. Ensuite parce que la semaine avait été longue, particulièrement stressante. Plus que ça, ces derniers jours avaient été oppressants et l'arrivée de cette fille ─ une actrice méconnue, avait dit son agent d'un ton moqueur ─ dans sa vie était l'apothéose dans cet enfer. Venir se saouler dans un bar obscur n'était pas une bonne idée. Il allait finir sa bière et décamper, aussi vite qu'il était venu.

C'était sans compter son voisin, que Charlie n'avait d'abord pas remarqué, trop préoccupé par son verre et le sourire fade de la fille sensée devenir sa petite-amie, gravé dans sa mémoire. Il sursauta, manquant de tomber de son tabouret, et ses joues prirent une teinte vive. Il fronça les sourcils et se pencha en avant, machinalement. Comme si se rapprocher de cet inconnu pouvait aider les mots à se frayer un chemin dans cet accent étranger, certainement alourdi par la fatigue. « Yeah? » Shut up Charlie, let the man speak. C'était tout lui, l'impatience, jusque-là anesthésiée par l'angoisse de devoir endosser un rôle, un nouveau, un rôle dont il ne voulait pas. Il fronça un peu plus les sourcils, tâchant de comprendre. La tâche n'était pas aisée et il songea un instant à le faire répéter. Seulement ce type avait clairement eu une soirée agitée, à en juger par la lourdeur de ses mots, du tas de ferraille déposé sur le bar et, fait plus étrange, le pot de fleurs installé face à lui, juste à côté de son portable. Inutile d'essayer de raisonner avec quelqu'un qui avait décidé de faire la tournée des bars avec son hibiscus. Et si c'était d'un verre dont il avait envie, well, Charlie n'y voyait pas vraiment d'inconvénient. Après tout, il était là pour ça lui aussi. « Leave it mate, fit-il en agitant sa main libre en direction du tas de pièces, it's not like a coke's expensive or something » Éloquent. Heureusement que le type ne semblait pas en état de remarquer quoi que ce soit. « Besides I'm kind of celebrating, lemme buy you that drink » ajouta-t-il d'un ton grinçant. Il fit de nouveau signe au barman, le laissant gérer la commande. « Rough night ? » s'enquit-il, sans réfléchir. Il n'avait aucune raison de parler à ce type, strictement aucune. Sauf, peut-être, de ne pas vouloir se retrouver seul, face à sa bière et ses craintes ?

sa tête tourne, un peu, beaucoup, a la folie. il insiste, il boit, pourtant, il n'a jamais vraiment tenu la bouteille rudy. jamais. c'est toujours le rire bête après un verre, et la tête, et les maux, tout très vite. pas comme si il avait mangé, après s'être vidé de toute énergie sur scène. douce erreur. et avec chaque gueule de bois - avant même celles-ci, juste à ce moment là, quand il sait qu'il ira répéter avec des lunettes de soleil à neuf heures le lendemain matin - c'est le même regret. en sachant pertinemment qu'il remettra le couvert, une fois ou deux, pour se sentir partir, juste une seconde. et avoir très vite, trop vite envie de revenir. mauvaise idée du tout au tout, mais idée quand même.

au moins il n'est pas seul. pas qu'il connaisse son compagnon d'infortune - de fortune, de nuit agitée, au moins - mais peu importe. la compagnie est toujours quelque chose d'appréciable, même dans un état aussi rapiécé. et il fait un vague effort pour le comprendre, malgré l'accent trop lourd sur sa langue - toujours. mate. il en rirait presque. mais il sourit plutôt, l'air peut-être un peu benêt, et toujours salement avachi contre le bar. c'est que la tenue qu'il a habituellement s'est diluée dans l'alcool des heures précédentes, laissé trop près d'une fatigue un peu frileuse. « yeah ? you sure ? i don't want to - i mean - bother or something. » vraiment ce n'est pas l'objectif. mais il n'a quand même pas l'air très occupé. celebrating. parce que vraiment, certains célèbrent seuls, à des heures pareilles dans des bars aussi miteux? quelques heures plus tôt il aurait pu lui montrer quelque chose d'un peu mieux. mais peut-être que la chose ne lui aurait pas plu tant que ça après tout, les boites qu'il fréquente sont trop queer pour certains. pour beaucoup. même s'il n'y prête que peu d'attention lui-même, trop pris. et il lui faut une seconde de plus pour discerner ce ton étrange, le cerveau ralenti, ramolli, fatigué aussi. pas qu'il soit une lumière d'habitude, mais les gens l'ont toujours fasciné. et même sans cela, l'homme à côté de lui n'est pas vraiment difficile à lire. contre un verre, il peut bien faire la conversation. puis, cet écho, aussi. il a probablement l'air d'une belle loque. mais il n'est pas aussi attaché aux apparences que certains autres. que tous ceux qu'il aime un peu trop. « i hope you're not celebrating your rough night, would be uh-sad. » il cherche toujours trop ses mots, lâchant une commande qu'il passe trop souvent dans un anglais mal foutu, ou on prononcerait le 'e' de coke, parce que - pour rien, sans raison valable, il ne pense même plus aux fautes, à la logique. trop tard. trop imbibé. et reviens aussi sec à ce qu'il disait. « my night was not... bad? rough? yeah, i'm just tired. lost my-money bag? small? thing? » pour une fois qu'il tente de faire un effort, sans personne sur qui s'appuyer. au ballet - tout le monde parle un peu tout, l'anglais s'arrange, se dérange, se recolle et se recoud. chez lui ce n'est que de l'allemand, entre max et arthur, tombé trop bas, et ceux restés au pays. et ils sont de bonnes béquilles quand le besoin d'un traducteur se fait sentir. pour une fois - il se demande vraiment pourquoi il ne sort pas seul plus souvent. peut-être parce que terminer dans un état pareil est moins drôle quand on a personne pour nous raccompagner. dommage. toujours temps d'essayer.« what, un s manqué, ou un -ed passé au présent, on ne saura jamais trop, happening? to you, i mean? »

Il y avait quelque chose de rassurant dans la présence de ce type. Certes, il était dans un état d'ivresse avancé et Charlie ne le connaissait ni d'Eve, ni d'Adam mais c'était rassurant de ne pas être seul, à déprimer face à une bière qu'il n'était pas sûr de vouloir avaler. Après tout, il n'avait jamais été un grand buveur. Il avait à peine vingt ans et il avait parfois l'impression de commencer tout juste à vivre. Et encore, cette mauvaise nouvelle imposée par son agent avait de sales airs de règle parentale, de couperet adulte s'abattant sur sa liberté adolescente. Enfin. Il n'était pas seul et pour un peu, il aurait embrassé l'inconnu de soulagement. « Yeah, yeah, 'm sure » marmonna-t-il avec un bref coup d'oeil pour la plante. Ça, en revanche, ça n'avait rien de rassurant. Avec la chance qu'il avait, Charlie était certainement tombé sur un tordu, un sociopathe qui se baladait avec sa place pour attirer les curieux et les dépecer au petit matin. Ou peut-être avait-il trop d'imagination. C'était plus probable mais on n'était jamais assez prudent. « I'm not celebrating that, no » fit-il avec une grimace, tandis que son compagnon du soir commandait, non sans difficulté. Sa mollesse et son accent attirèrent un sourire sur le visage fatigué de Charlie. Il ne se moquait pas, pas vraiment, mais la situation était plutôt cocasse, surtout pour lui, petit londonien au quotidien confortable, sans réelle surprise ─ si on mettait de côté celle du jour, de surprise, évidemment. « Oh, your wallet you mean? » proposa Charlie après une bonne minute de réflexion, devant le désarroi de l'autre type. « You sure no one stole it? » C'était bien son genre, de s'inquiéter pour de parfaits inconnus. Charlie était bien trop naïf, bien trop gentil surtout. C'était souvent ce qu'on disait de lui. What a good boy, what a nice boy. Charlie's so nice, how come he doesn't have a girlfriend? Sa mère lui avait posé la question plus d'une fois, sous le regard agacé de Jolene, et il n'avait rien dit. Il n'avait rien dit et il se retrouvait aujourd'hui avec une fille dont il ne voulait pas ─ dont il ne voudrait jamais. « I, mh. I have a girlfriend. That's what's happening to me. I have a girlfriend » répéta-t-il en riant. Il secoua la tête, réprimant l'envie de hurler qui tiraillait ses joues. « You? Besides the whole lost wallet thing? You look like you had quite the night » Il tenta un sourire, ne put que grimacer à nouveau. Toute cette situation était pathétique.

s'il avait choisi cet hibiscus, c'est que ses fleurs, pas encore ouvertes, étaient d'un orange assez particulier. le même qu'on pouvait trouver sur quelques plumes, sur le ventre de certain perroquet. son perroquet. techniquement, celui de max - mais ce n'était pas vraiment comme si il s'en était jamais occupé, donc au final, c'est rudy qui s'est approprié le cadeau de crémaillère plus ou moins étrange. adorable. mais étrange. il s'est dit que ce serait une bonne idée. il trouve toujours que c'est une bonne idée. manque peut-être quelques mots de son voisin de table, de bar, de bière ( et diet coke ), à trop se concentrer sur ses histoires de plumes, de couleurs. c'est peut-être toujours l'alcool. sûrement. et il tripote le pot en attendant son verre, espérant un parasol orange dedans, juste une seconde. vu l'état du bar, ce n'est vraiment pas rendu. puis le mot vient, et il manque de rouler des yeux. wallet, of course. « wallet. right. shit. i put that in crosswords just-just the day-yesterday. before today. right, yesterday. » un mot de base. vaguement important dans l'apprentissage d'une langue. pas d'excuse à se donner, pas d'excuse à trouver, il n'a juste jamais été bon, il est juste fatigué, et dégoulinant d'alcool qu'il ne sait de toute façon pas digérer. et il repousse ses lunettes sur son nez, histoire qu'elles tiennent au moins vaguement droites, tentant de se reconcentrer, au moins un peu, sur son voisin. « augen-i mean-wait, what's your name by the way ? » il l'aura probablement oublié d'ici quelques minutes, dans un état pareil, mais il ne se pose pas vraiment la question. un vague haussement d'épaule. vraiment, malgré la question, à une heure pareille, il n'est plus sûr de rien, si ce n'est que personne ne réponds à ses sms et qu'il est plus fatiguée que jamais. « don't know. 'aybe » au fond, il ne s'en inquiète pas vraiment. ce sera pour le lendemain, probablement, avec la gueule de bois, en répétitions, à neuf heures du matin. ou au moment de se retrouver face à sa poêle au petit déjeuner, quand l'odeur même lui donnera des hauts-le-cœur et qu'il n'aura plus que ses yeux pour pleurer quand il se rendra compte qu'il ne peut même pas se payer un ticket de métro avec les piécettes retournées au fond de la poche de sa veste. trop jaune. un mal de crâne sur tissu.  mais ce rire est communicatif. peut-être seulement parce qu'il est bourré. encore une fois - il ne pense pas vraiment au pourquoi. pas dans ses habitudes. il se calme en manquant de s'étouffer, le rire étant rarement compatible avec les boissons gazeuses. ou boissons. ou n'importe quoi dans une bouche, c'est relativement peu sécurisé. « i mean-uh- » une seconde, le temps de quelques respirations oubliés dans trop de son. « that's good? i hope? most people would be... pretty happy to have girlfriends? i would not be. not at all. but most people like. yeah, why the long face then? unless you're schw-queer? » encore une fois, la prononciation est hachée, perdue, gâchée, mais au moins les mots viennent. plus ou moins. « i had a... not bad night in the facts. if you-not the money bag-wallet. but i... uh, i danced romeo tonight. then i bought that. it's cool. my papagei will love it. i love it. my fiancé won't. then he's the one who buys me the most... greens. so nothing to say. nothing in any world on the planet. shit-i love him. like boys are really cute... you're really cute, but i love him. but yeah, we went outside, like - to some bar but with more dancing. like-golf-club, a club. and i think i lost everyone with my... wallet it's still fucking wallet. i dunno. wait-i look... how i look? » et il parle trop. toujours. mauvaise habitude, et il ne peut même pas blâmer l'alcool. c'est juste comme il est, toujours un peu trop. quoi que quelques mots sont là de trop, qu'il perd pied autant qu'il perd le fil. et qu'il ne sait même pas vraiment pourquoi il dit tout ceci au final. mais il le dit. peut-être que tout est un peu dilué, qu'il n'en aurait pas dit autant - ou au moins autre chose, plus mesuré, moins mélangé sans. mais ce n'est pas comme s'il pouvait le changer. pas comme s'il réalisait son débit, non plus. et il se demande juste, maintenant, combien de son maquillage de scène est encore étalé sur son visage, s'il a vraiment une mine aussi affreuse.

C'était certainement une histoire qu'il pourrait raconter un jour prochain en interview, lorsqu'on lui demanderait s'il avait déjà vécu des moments étranges, loin des plateaux de tournage. Et il pourrait répondre en souriant, confiant et assuré, il pourrait conter cette rencontre bizarre, presque surréaliste, et captiver son audience. Ou pas. Peut-être garderait-il pour lui cette soirée dans un bar dont il avait déjà oublié le nom, passée à écouter les murmures enivrés d'un étranger. Il esquissa un sourire devant ses difficultés, pas aussi surpris de l'imaginer devant des mots croisés qu'il ne l'aurait cru. Charlie pouvait le voir de là, sa plante d'un côté, un quelconque animal de compagnie probablement haut en couleurs de l'autre, ses mots croisés sur les genoux et une paire de lunettes trop grande sur le nez. Ou peut-être imaginait-il sa grand-mère, soudain, qui avait passé plus de temps à écraser son livre de mots croisés sur sa tignasse brune qu'à lui demander de l'aide pour trouver tel ou tel mot. Le pire, dans tout ça, c'est qu'il n'était même pas ivre. Juste à côté de ses pompes. Story of his life, really. Il baissa les yeux, un instant perdu dans les images de son enfance, bercé par l'accent de son compagnon du soir. Ça lui arrivait souvent ─ trop souvent au goût de son agent qui faisait tout en son pouvoir pour lui faire comprendre qu'il était hautement impoli d'ignorer les gens comme ça, jouant généralement sur la culpabilité. Parce que Charlie n'était pas impoli, Charlie souriait aux caméras, serrait les mains qu'on lui tendait, complimentait les inconnus qu'il croisait. Charlie essayait d'être quelqu'un de bien. Pas aujourd'hui, manifestement. Il était fatigué de se conformer aux exigences des autres et, de toute manière, l'autre type était ivre, donc.

Il sursauta en entendant le mot tant redouté, sursauta et se redressa, comme s'il venait de se rappeler qu'il n'était pas seul, enfermé dans sa chambre, enfoui sous les couvertures. Ses joues prirent une teinte rosée et il espéra sincèrement que l'inconnu ne se rende compte de rien. Il n'était pas prêt pour ça, pas prêt à admettre quoi que ce soit, même mentalement. Il ne voulait pas de ces mots-là, ne voulait pas reconnaître qu'il détestait ce projet, ce mot-là parce qu'il était complètement paumé. Non, prétendre qu'il avait seulement un problème avec le fait de se voir forcer la main était plus simple. « I'm not- not- whatever you just said. I, I just- it's complicated » finit-il par dire et chaque mot était lourd sur sa langue. Il était pathétique, incapable d'être honnête, que ce soit avec lui ou avec un parfait inconnu. Pathétique, ouais. Il l'écouta conter sa soirée, tâchant de se concentrer cette fois. Après tout, ce type n'était rien sinon avenant et plutôt sympathique, il méritait un minimum d'attention. Charlie se surprit à rire sous le compliment et, plus inattendu encore, à envier ce ton avec lequel l'autre évoquait son fiancé. I love him. Des mots que lui n'avait pas le droit de prononcer. Non pas qu'il en avait eu l'occasion jusqu'à présent but still. Une telle liberté semblait agréable. « You look great, mate. A bit tired maybe but after that night of yours, it's not that bad. You look great, really » répondit-il avec conviction. Là s'arrêtait sa capacité de s'adresser à un homme en ayant toujours l'air how so straight. Il n'y avait pas de caméra, personne pour le superviser mais Charlie était bien entraîné. Il savait quoi dire, où regarder, comment se comporter aussi. Bien entraîné, ouais, parfaitement même. « I'm Charlie by the way. Well, my name's Charles but no one calls me that. Except my mum when she's pissed, of course » Il laissa échapper un bref ricanement, savamment répété, et sa gorge se serrra soudain. « You're a dancer then? Shouldn't you be celebrating with, like, your partners or your fiancé? Instead of listening to my girl troubles? » ajouta-t-il. Le terme était si étrange, si maladroit aussi. Charlie était convaincu que personne ne pouvait trouver ça convaincant. Personne, à part un type déjà bien alcoolisé et décidé à faire la fête avec une plante.