jason ❅ the 'what ifs' and 'should haves' will eat your brain

L'incessante vibration de son portable finit par tirer Jason du sommeil. Il grogna, sa main droite tâtonnant sur la table basse à la recherche de l'infâme téléphone. La nuit avait été courte, bien trop courte et il ne comprenait pas pourquoi ni comment il avait pu se dire que mettre un réveil était une bonne idée. Probablement avait-il oublié de le désactiver. Ca lui apprendrait à rester au Carling, si tard après la fermeture, avec un Chandler plus que ravi de lui déballer son bonheur conjugal. Il lui fallait un autre meilleur ami et vite. De préférence quelqu'un de bien moins heureux et ravi de le partager que Chandler Williams. Difficile de le lui faire comprendre sans le vexer ceci dit et Jason ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Ce n'était pas la faute de Chand si Rose avait refusé de l'épouser. Il n'y était pour rien, sinon pour avoir grandement contribué au choix de la bague et, de fait, à une dette de plus sur le compte en banque de Jason. Ce n'était pas bien grave après tout, son salaire était plus que convenable et il n'avait plus à payer de loyer à présent. Il aurait tôt fait de rembourser cette stupide bague, s'il continuait à passer ses nuits sur ce canapé au passé douteux.

Mais il était trop tôt pour penser à ces conneries.

Il roula sur lui-même, manquant de chuter lourdement sur le parquet, et finit par se redresser avant d'attraper le téléphone qui n'avait toujours pas fini de sonner. Il l'arrêta puis le balança entre les coussins. Aucun message non-lu, aucun appel manqué. Une partie de lui regrettait presque de ne pas avoir succombé la veille à la tentation d'envoyer à Foster l'une ou l'autre des déclarations inspirées par l'alcool. Juste pour avoir une réaction, un signe, n'importe quoi qui trahisse le fait qu'il lui manquait. Au lieu de ça, il était resté sage, avait écouté les conseils avisés d'un Chandler à qui tout réussissait. Oh, Jason n'était pas en reste non plus. Il avait galéré une bonne partie de sa vie, courant entre deux, voire trois jobs parfois mais tout ça appartenait au passé. Du moins, c'est ce qu'il pensait. Gamin, il avait eu du mal à s'imaginer vivre dans un appartement assez spacieux pour ne pas se cogner dans les murs et recoins de porte chaque fois qu'il y croisait quelqu'un. D'abord parce qu'à New York, il avait toujours partagé sa chambre avec l'une ou l'autre de ses sœurs, quand ils ne s'entassaient pas tous dans la même chambre. Ensuite parce que la situation ne s'était guère arrangée en Angleterre, malgré les efforts de leur mère et l'arrivée dans leur vie de Carl qui, certes, était un type bien mais ne roulait pas spécialement sur l'or. Il avait eu un peu de mal à croire que l'appartement qu'ils avaient trouvé, Rose et lui, à Kensington était le sien mais il s'y était habitué, s'était fait à cette nouvelle vie. Il avait un boulot stable, un appart que beaucoup auraient qualifié de luxueux ─ à commencer par ses frangines ─ et une copine avec qui tout semblait aller pour le mieux. Oui mais tout ça, c'était avant. Avant qu'il ne commence à en vouloir plus et qu'il se prenne un mur en pleine course. Avant que Foster ne lui dise non et qu'il échoue sur ce canapé ridiculement inconfortable, son casque sous un bras et le vivarium de Figgins sous l'autre. L'appartement de sa soeur n'était pas spécialement insalubre ─ même si sa salle de bains nécessitait des réparations qu'il n'avait pas encore eu le courage de faire ─ mais ça n'avait rien à voir avec l'autre, à Kensington. Autant parce qu'il était deux fois plus petit que parce que Rose Foster n'y était pas.

Jason soupira et daigna abandonner le canapé pour gagner la cuisine dans l'optique de se noyer dans la caféine. L'horloge digitale du micro-ondes affichait un triste neuf heures dix ─ autrement dit, bien trop tôt pour se lever ou, hell, ressasser toutes ces conneries. Fort heureusement pour lui, il n'avait pas besoin d'être au Carling avant le début de l'après-midi. Et quand bien même il arriverait en retard, personne ne pourrait lui faire la moindre remarque. Après tout, c'était lui le patron. Ce bar était bien la seule chose sur laquelle il avait un semblant de contrôle, après toute cette débâcle avec Rose. Pourtant, Jason était persuadé qu'ils se dirigeaient dans cette direction-là. Certes, ils étaient loin d'être un couple modèle et leur relation avait mal démarré, oui, mais ils s'aimaient. Du moins, Jason était amoureux et Rose semblait tout à fait le supporter. Et à trente-cinq ans, il pensait que c'était le moment. Celui de se poser, réellement. Sans doute aurait-il dû en parler avant de s'endetter pour lui offrir une bague dont elle n'avait pas voulu. Le pire dans tout ça, c'est qu'il n'avait même pas jugé bon de l'emporter, le jour où il avait fait ses valises. Non, il l'avait laissée dans son coffret, trônant sur sa table de nuit, et il s'était tiré, avec un sac et Figgins, sans demander son reste. Il avait le droit puisqu'après tout, ils avaient décidé de faire un break. Ou en tout cas, Jason l'avait décidé. C'était mieux comme ça, il avait besoin de réfléchir.

Sur le plan de la réflexion, Jason n'avait guère avancé. Il passait ses journées à  reproduire le même schéma : émerger d'un sommeil agité sur ce maudit canapé, avaler une ou deux tasses de café avant de sauter sur sa moto pour rejoindre le Carling, à deux rues de là, quand il ne décidait pas de marcher jusque-là. Le bar finissait toujours par ouvrir tôt ou tard et il avait bien trop de choses à gérer là-bas pour prendre le temps de se remettre en question et de réfléchir aux mauvaises décisions qu'il avait récemment prises. Il continuait de fuir, en un sens, même si tout ou presque lui rappelait Rose. Ses proches d'abord, Rachel et Chandler étant probablement les pires. Jason ignorait si leurs remarques tenaient de la maladresse ou d'un plan élaboré pour lui faire réaliser qu'il enchaînait les erreurs mais ils ne se privaient pas, l'un comme l'autre, pour évoquer Rose et cette bague. Chandler, à sa défense, avait la décence de s'excuser chaque fois qu'il faisait une bourde. Quant à Rachel, elle lui rappelait fort justement qu'il vivait chez elle et qu'il n'avait pas son mot à dire. Well, elle n'avait pas tort. Jason n'était pas spécialement surpris. Rachel avait clairement choisi son camp et ce, depuis qu'elle avait fait la connaissance de Rose quelques années plus tôt. Elle n'était qu'une gamine à l'époque mais elle ne s'était jamais vraiment défaite de cette stupide obsession avec sa copine.

Ex. Ex-copine.

Il grimaça en lançant la cafetière et passa une main tremblante sur son menton. La fatigue, rien de plus. Les journées étaient trop longues, les nuits trop courtes et sa vie, trop pourrie. Il entendait presque sa mère le sermonner vertement, lui rappelant qu'il n'avait aucune raison de se plaindre et finir par lui dire qu'il méritait probablement ce qui lui arrivait.

Elle n'avait peut-être pas tort, en fait.