RNH — i must be a mermaid ; i have no fear of depths and a great fear of shallow living

Un garcon de douze ans. Des cheveux coupés. Une stature normale. Une curiosité d’enfant normal. Une lucidité sans égal. Un autre gars, un adolescent, à la bouche close, aux cheveux gras, au t-shirt de Bob Marley. Qui apprend les choses à faire, à dire. Une bande de copains qui ne veulent pas dirent grand chose. Un attachement pas particulièrement fort à son entourage, sauf à des plaisirs singuliers. Il lambine. C’est un sage rebelle – il explose parfois, à coup de réprimandes. Il tente d’emprunter la droite ligne. Il n’y arrive souvent qu’au trois-quart à la suite de quoi il s’y épuise. À l’intérieur de lui, il persiste des rides d’une enfance mal cicatrisée, qu’il veut sans cesse revivre. Il s'excuse un peu trop, un peu trop souvent.

Les enfants partent de la maison. Ils ont 16, 18 ans. Maman et papa les gardent un peu plus longtemps, parfois. Ils aident à occuper les plus jeunes ; mes parents leur versent un salaire raisonnable. Ce sont souvent ceux qui ont peu été à l’école, qui sont arrivés trop tard ou qui ont manqués de chance.

La voiture de papa s’en va. Puis reviens. Parfois quatre heures, parfois une journée après. À Salem, à Portland, à Seattle, même, pour la fille qui était enceinte. C’est sûr, mes parents y trouvent leur compte. Mais ce sont des gens biens. J’ai compris dans cette allégorie que, par calcul simple, s’ils étaient biens, je devais m’efforcer de l’être. Petite descendance de mes mentors, je n’affichais pas grande supériorité ou favoritisme particulier (quoique maman me donnait plus de bonbons qu’aux autres et que j’étais le seul enfant autorisé officiellement qu’elle prenne dans ses bras) et je m’adaptais plutôt bien, dans cette maison qui bougeait toujours un peu, qui vibrait au même rythme que les orteils potelés des bambins, les bras des enfants et les grandes jambes des plus grands.

Les choses se compliqueront mais, pour le moment, j’aime le soir, j’aime partager mes bonbons avec mes demi et quart de sœurs et de frères et j’aime faire des grimaces devant le miroir. J’ai aussi piqué un paquet de cigarette à mon père. (Mais ne le dites pas.)


Un garçon de dix-sept ans. Je me regarde dans le miroir, n’osant pas croire à la disparition d’une adolescence de points noirs, d’un manque de parades extravagantes. J’ai l’air plus vieux que je le suis. C’est mon air un peu sérieux, entre la maturité et l’ennui – c’est mon esprit de décision. Pour moi, je n’ai pas tant grandi. C’est moi, le mec qui cite des films des années 90. C’est moi, le gars pas vraiment détesté. Le gars qui préfère l’avant à l’après. J’ai encore douze ans, dans ma tête. Je ne suis pas rendu ici. Je ne suis pas encore là. Je suis pris dans ma musique, dans mes vieux films. J’aime les trucs kitchs, les trucs un peu laids. J’aime pas quand c’est trop beau, trop poli, trop cérémonial. Mais je subi tout avec patience, sans grandeur d’âme additionnelle. Les cours de dessin technique m’énervent. Je manque d’un esprit de compétition. L’école, ça me plait, j’y performe moyennement mais je m’y intéresse.

Si je m’ouvre, je reste. Planté. Mon corps est souvent un peu trop rigide, mes mains un peu trop moites. Je calcule, je prédis. Je me risque peu. Je me force à sourire, dans la glace. Je cherche un peu trop souvent. Un touche-à-tout, à l’humour un peu douteux, au sourire qui penche vers le bas. Oui, c’est ça. Un ami indéfectible, quoique rare. Peut-être. (J’espère.)

Je me regarde. Je distingue mal mon visage, que j’observe souvent brièvement. Je ne vois rien de particulier, rien de prenant, rien qui n’en valle la peine. Mais dans mes yeux, je vois le reflet des autres. Si je déteste parfois mon prochain (sans trop de validité - je me dis à tort que l’humanité court à sa perte), mon existence me rappelle sans cesse celles des autres. Des insignifiants, des plus importants. Au début, du cancan régulier des étés chauds et humides, des lectures dans la cour, des spectacles, du petit théâtre improvisé entre les deux pins. Des enfants qui passaient à la maison. Qui parlaient à ma mère en l’appelant maman. Après, d’elle, alcoolique, (mais peut-être plus dépressive, au fond) du mélange de rancœur, d’apitoiement. Et pourtant, moi, au centre de tout, enfant d’un millénaire pas si vieux, grandiloquent petit roi du nouveau monde se levant avec son armée de compatriotes, d’une famille en ras de marée constant, je constatais la chance de l’américain moyen. (La maison de papa et de maman servait de maison d’accueil.) De sa paresse. La bile au cœur. La douce rage. L’humour qui vacille, le sourire qui s’efface. Les enfants qui s’en vont de la maison. J’ai les mains tachés de crayons – je dessine mieux, mais il y a quelque chose de confus, dans mon trait, trop imprécis.

Le petit Thomas, qui part. Emma, de deux ans ma cadette, aussi. Elle aussi. Tous les enfants partent. Ma mère pleure, silencieuse, sur le canapé.

« You’re a wreck. A fucking wreck. Look. Look at those godamn children, Mary! Look at them. You’ve become this patronizing bitch to them. They never did anything to you… Look at yourself, you’re a fucking wreck, Mary. »

Ça, c’est mon père. Je suis dans la cour et j’entends la presque bagarre, l’engueulade qui sermonne, la vérité qui choque. Depuis son accident, maman ne va pas bien. Elle est plus triste. Jusqu’à quelques mois, j’ignorais l’ampleur de sa détresse. Ca, c’était quand j’ai vu l’amoncèlement de bouteilles vides cachées sous le lavabo. Mais je ne la détestais pas non plus. C’est difficile, détester ces parents. J’étais encore jeune, au milieu d’une adolescence, d’une rébellion qui n’était jamais venu. Je suis un peu trop calme. Je crois que ma mère m'a légué son côté trop retiré.

J’ai résisté, quelques temps. J’ai terminé l’école secondaire. J’ai trouvé ma photo de finissant horrible. Et je suis parti de chez moi. La maison sans enfants, le foyer aux parents malheureux. Dans ma tête, je partais pour mieux revenir. Je partais un peu amer, dans l,espoir de trouver une vocation, un espoir, un désir. De retrouver les enfants, les amis que je m'étais fait. Mais aussi pour me perdre. À dix-sept ans, j'étais le dernier enfant à quitter la maison - devenue incohérante, à moitié brisée. Mon père m'a donné une liasse de billets. Ma mère m'a serré dans ses bras - je sentais toujours son haleine qui puait la vodka.

« I'm gonna call you when I arrive in San Francisco, okay, Mom? »

Je lui fais un clin d'oeil, complice, doux-amer. Je compatis avec le plus gros démon, la personne que j'aime le plus. Ça me fend le coeur. Mais je sens qu'autrement, mon coeur, ma tête - j'exploserais ici, à décomposer à Bend.

En plein milieu de la route, où l'autobus m'a laissé, je contemple le désert. En plein milieu de la Californie. En quelques mois, j'aurais fait une diagonale à travers les États-Unis. Puis, après, je suis allé au Canada. Me trouver une vocation, un rêve. (Ça arrivera par la suite, je crois. Je vous tiens en haleine, c'est bon?)


Un garçon de vingt-et-un ans. Je ne me sens pas adulte. Je suis pourtant mature, responsable. J’ai écris des articles pour des journaux locaux, un peu partout. Ça me permet de payer pour ce qui vient avec. Mon éducation à e devenir. Il me manque la fibre libertine, délibérément jeune. J’évite la débauche, les ennuis – ça m’écoeure. Mais je ne repousse pas les moments importants. Je sais que, quand il y a un silence, quand les gens se prennent les mains, quand il y a cette introspection en juxtaposition avec cette extrospection (on sent tout à l’intérieur, et en même temps, c‘est comme au cinéma, quand la musique thème commence), c’est que c’est important, c’est qu’on doit chérir ce moment. Je cherche ces moments. J’espère que maman va bien. Je suis loin, mais parfois, on communique. Je l’appelle. Elle va un peu mieux. Mon père ne l’a pas divorcé. (par pitié, espoir ou lâcheté, je ne sais pas trop)

Je suis un peu dur. Pas nécessairement froid. Si je ne suis pas intolérant, si je suis ouvert d’esprit, cela ne m’empêche pas d’être inflexible. Un mélange amer, un doux bonhomme. J’ai les cheveux un peu trop gras, le regard un peu trop fuyant ou un trop persistant. Je ne dis pas toujours ce que je devrais. Je ne cherche pourtant pas la controverse. Je ne cherche pas tant de compassion. Je fais juste un peu me chercher. Je me perds dans les mots que j’écris toujours. Je juge l’histoire, la culture, la politique. Critique raté, je suis un journaliste à en devenir. J’habite une petite résidence macabre à Cambridge.

La réalité, c’est que peut-être que j’étais mieux enfant. Que maintenant, je ne me sens plus tant sage ou intelligent. Que plus le temps passe, plus je deviens conscient. Plus ça m’obsède.

Je ne suis pourtant pas dépressif. Je suis un peu inquiet, un peu tout le temps. Je suis même gentil, je crois. J’aimerais arrêter de penser, arrêter de repasser les évènements, les enfants, la maison, les parents, l’évasion, la quête du meilleur, la cueillette de mon futur. Mais, en même temps, c’est un peu ça, l’obsession des journalistes. De chercher l’intérêt. De chercher la passion. Pour moi, de chercher la mienne, véritable. Pour moi, d’arrêter de me coucher trop tard, les pensées brouillées, dans une chambre trop petite, avec l’odeur des soirées de l’Oregon qui me manque. De laisser des bonbons supplémentaires dans les poches des enfants que j’aimais bien. De monter sur le lit, de faire attention, et de ne pas être capable de fermer les yeux sous les couvertures.


Mélancolique, comme un jeune garçon de douze ans qui, couché dans son lit, regarde le plafond au dessus de lui, les notes et les dessins accrochés au mur adjacent. Aimant, comme le garçon de dix-sept ans qui cache les bouteilles d’alcool sous le lavabo, pour ne pas alarmer son père. Trop attentif aux signes quotidiens, à s’en être trop rendu compte pour devoir échapper à tout ça, pour avoir à quitter le territoire connu pour se perdre, s’oublier lui, et vivre un peu mieux.

→ Ton heure de gloire est enfin arrivée, un producteur de cinéma vient de te remarquer dans la rue et te propose de devenir la star de son nouveau film. Que lui dis-tu ? Air suspicieux. Je ne me trouve pas beau, pas extraordinaire. (Je suis flatté, quand même.) Je souris et je décline l'invitation. De toute façon, le cinéma, c'est pas pour moi. Juger, c'est facile, ça me déculpabilise et ça me permet de gaspiller mes soirées sur mon portable avec Bitorrent et VLC.

→ Une pauvre fille en pleurs chante All by myself avec son cornet de glace à la vanille en plein de milieu de la rue retournant tous les regards sur son passage, y compris le tien. Ta réaction ? J'écoute si elle chante faux. Si oui, je m'en vais. Autrement, j'imagine l'instrumental dans ma tête. Carmen, tu étonneras toujours avec tes pavés dégoulinants de sentimentalité et tes refrains lyriques et trop mainstream.

→ Ton(ta) cousin(e) t'avoue sous l'emprise de l'alcool son attirance pour toi, et tente de t'embrasser. Premières impressions à chaud ? Réactions à froid ? C'est bien dommage - l'inceste familial, incertain et ambigu, je le connais un peu. Je me retire, mais un peu trop tard. Après ça, je l'évite. Mais vous savez comment c'est... ça vous hante. (oui, même 3 ans après.)

→ Ton idée du parfait samedi soir : une soirée arrosée au Carling à Oxford, une nuit de folie au Fez Club de Cambridge, une sortie au théâtre de Londres ou une soirée geek avec plat commandé et partie de jeux vidéos avec tes meilleurs potes ? Le théâtre ou la soirée jeux vidéos me plairait. Mais c'est souvent des trucs que je fais en solidaire. J'aimerais bien être accompagné, parfois. Même mal. Je me dit qu'au moins, ça ferait un peu moins triste.

→ T'es au confessionnal, tu peux avouer ta pire faute, ou encore un secret particulièrement pesant que tu n'aimerais pas voir révélé. Que dis-tu au père Patrick pour te soulager la conscience ? Ouais. Vous vous en doutiez. De tous les enfants que papa et maman ont abrité sous notre humble toit, j'ai eu quelques cous de foudres, dans mon enfance. Enfin, rien de bien sérieux. (Silence trop imposant ici. Reprise trop rapide, fait d'un ton désinvolte.) Flasher sur des inconnus. Flasher sur des gamins de mon âge, abandonnés, aux histoires dramatiques. C'est bien ça moi. Le drame. Je l'aime bien. Et puis, on faisait une belle famille. Je n'ai pas grand chose à me reprocher, si ce n'est qu'une empathie avec les plus belles gamines d'une dizaines d'années.

→ Le père Patrick était en fait un vrai sociopathe fan de Pretty Little Liars, et t'envoie un sms anonyme où il vous demande de choisir entre un secret révélé qui pourrait anéantir ta réputation ou briser ta famille, et de voler la bague de fiançailles Cartier d'un de vos amis. Après mûre réflexion, qu'est-ce que tu choisis ? Je crois que je piquerais les DVD de Pretty Little Liars (quelle série abominablement adolescente pour un homme d'Église!) et j'organiserais une rançon. Mais vous, savez, moi et la religion... malgré mes racines catholiques, je déteste la religion pour l'idée d'une suprématie intellectuelle et morale.

→ C'est le mec (la fille) de tes rêves, tu en es persuadé(e) et pourtant, celui(celle)-ci est en couple avec quelqu'un d'autre. Tu te la joues résigné(e), stratégique, ou éploré(e) ? On veut les détails ! Définitivement résigné. Se morfondre, c'est mon truc. De toute façon, je suis un dépressif soft. Ça se voit pas? Mon comportement d'insomniaque et mon goût pour l'évasion, je blâme ça là-dessus. Je suis un mélange entre Batman (pour sa peur des chauve-souris) et Tyler Durden (pour sa triste vision du système capitaliste). Quel homme, je suis, je sais!

→ Dans dix ans, je me vois bien ouvrir un resto spécialité moules frites avec Camille Jules Martin, marié, six gosses et à l'origine d'une toute nouvelle sauce roquefort-épinards et toi, des projets pour l'avenir ? Je sais pas trop. D'aimer où je suis, ça serait bien. Mais je ne pas grand espoir pour la réconciliation famille entière. (Quelque chose semble définitivement brisé.) Autrement, j'aimerais mieux écrire, mieux convaincre les gens, dans mes articles pour la presse. Et puis, si j'arrive à mieux me tolérer moi-même, ce sera un début. En fait, je redoute le vieillissement de peur de devenir plus amer, moins sympathique.

→ Et enfin, honnêtement, entre truth ou dare, qu'est-ce que tu préfères ? (oui ça rime !) Je choisi la vérité mais dit un mensonge. That's how I roll, baby. Personne ne peut savoir, de toute manière. Si mon authenticité est convenue de mes proche, mes stratégies secondaires me permettent de m'accommoder temporairement aux désagréments de jeux puérils.

→ En pleine soirée baby-sitting, l'adorable petite fille aux cheveux blonds que vous gardez s'installe sur vos genoux et vous demande, d'un air suppliant : « Moi plus tard, je veux être la Reine d'Angleterre. Papa m'a dit que pour pouvoir le faire, il fallait aller à l'université. Mais il a dit aussi qu'il fallait choisir entre Oxford et Cambridge, parce que ce sont elles les meilleures d'Angleterre. A ton avis, il vaut mieux apprendre à devenir Reine à Oxford, ou à Cambridge ? » « Oh, mais les deux universités sont bonnes. C'est ce que tu fais là-bas qui compte. Et puis tes notes... mais commence par terminer ton devoir, maintenant. (Et puis, entre toi et moi, tu veux vraiment devenir Reine?)

Je crois pas que ça soit ton genre. Non, je te vois plus comme jury ou comme membre d'un parti politique. C'est là où peut se jouer réellement un pouvoir. Tes parents ont voté aux dernières élections, j'espère? »
(Un air inquiet fracture mon visage.)

→ Après avoir écouté votre argumentaire, elle s'interrompt une seconde et fronce étrangement le nez. « Mais, au fait, qu'est-ce que c'est, le Judging Cambridge Club ? » « Des gens qui ont un peu trop d'argent et de temps libres. »

→ « Aaaah, d'accord. Je comprends mieux. Et les TroubleMakers, alors ? C'est la même chose ?» « Pas mal, si tu veux mon avis personnel. Mais quand tu seras rendu là, tu pourras leur demander. Ils se feront un plaisir de répondre aux questions d'une jeune intéressée. »

→ « C'est bien compliqué tout ça. Mais alors, si je choisis Cambridge et que finalement je préfère Oxford, j'ai le droit de changer en cours de route ? » « Toujours. Tes futures études politiques - Cameron devrait s'en redouter! »

→ « Hm... Bon. Ca m'avance pas beaucoup. Mais en même temps, j'ai le temps. »