#1 «
Janet dépêche-toi un peu s’il te plait ! » Je soupire et sors de ma chambre en traînant les pieds. «
Qu’est-ce qu’il y a ENCORE ? » Nous sommes en juin, j’ai 11 ans et je tiens à profiter de mes dernières vacances avant de commencer le lycée dans quelques mois. «
Janet, viens, quelqu’un est là pour toi ! » Je descends les escaliers et trouve ma mère avec Connor. Je fronce les sourcils. Connor est mon meilleur ami mais il n’est jamais venu à la maison avant. Maman ne l’aime pas beaucoup. Elle dit qu’il est mal élevé, ce qui est complètement faux, il est génial. Je cours vers lui et saute dans ses bras. «
Connyyyyyyyyyy !! Ça fait trop longtemps, qu’est-ce que tu fais làààà ? » Il me sourit vaguement mais je comprends qu’il a quelque chose à m’annoncer. Maman a l’air embêtée, elle doit être dans la confidence. «
Qu’est-ce qu’il se passe ? » Connor prend ma main et m’entraîne dans le jardin. «
Viens on va sur le trampoline, je vais te raconter. » Je le suis sans réellement y penser. Nous nous installons tous les deux et il se mordille la lèvre inférieure. «
Alors ? » «
Alors je… Je pars… » Je le regarde sans comprendre ce qu’il essaie de me dire. «
Quoi ? » Il ferme les yeux un instant. «
Je pars en Angleterre. Papa a été muté. On aura une maison là-bas, une vraie, j’aurai un trampoline moi aussi. On reviendra à Auckland de temps en temps, c’est sûr mais… » «
Quand ? » «
On part dans une semaine. » J’ai l’impression que mon monde s’effondre. Je ne fais pas partie de ces filles populaires à l’école. Je n’ai pas beaucoup d’amis. Je n’ai que Connor. Et si je perds Connor… «
Je vais devoir entrer au collège toute seule ? » «
Moi aussi tu sais. Je préfèrerais ne pas partir, j’essaie de voir les bons côté, de me persuader que le trampoline vaut le coup mais au fond, je veux pas d’un trampoline, je veux juste rester ici pour toujours. En plus il fait super froid là-bas. » J’essuie une larme qui s’apprêtait à couler de mon œil droit. «
Tu sais mon papa est britannique, on va voir mon grand-père tous les ans en décembre. Donc on se verra à ce moment-là ! Et puis tu reviendras à Auckland. On sera jamais vraiment vraiment séparés hein ?» Il hoche la tête. «
Ouais ! Est-ce qu’on peut se promettre un truc ? » Il hésite un instant. «
Promets-moi que tu changeras pas. Que je te retrouverai telle que t’es maintenant ! » Je serre la main qu’il me tend. «
Promis. »
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#2 «
Comment on lui dit James? » «
Martha arrête de tout dramatiser, elle entre au lycée l’an prochain elle a plus trois ans elle comprendra ! » «
Bah c’est toi qui lui dit alors ! » Après un moment passé à la porte, j’entre dans le salon. Mes parents sont assis l’un en face de l’autre, avec des verres dans les mains. Whisky pour mon père. Rhum pour ma mère. A quatre heures de l’après-midi. Ce n’est pas le genre de la maison. Ne pas être au boulot alors que le soleil brille encore, déjà, ce n’a jamais été dans les habitudes parentales. «
Me dire quoi ? » «
Oh Janet, tu es déjà rentrée ? » Je lève les yeux au ciel. Non, non maman je ne suis pas là. Elle est débile de temps en temps. «
Ouais, la prof de dessin était pas là. » More like je n’avais pas envie de voir ma prof de dessin et je ne pensais pas que vous seriez à la maison. Mais ça, elle n’a pas besoin de le savoir. «
Jane, chérie, il faut qu’on parle sérieusement ! » Je soupire. «
Si c’est pour m’annoncer votre divorce je suis pas stupide. Ça fait huit mois, si ce n’est plus, que papa a une autre nana maman hein. Et deux ans que vous vous voyez jamais et que vous passez l’heure par semaine où vous êtes dans la même pièce à vous engueuler. On peut pas dire que soit une immense surprise non plus. » Ils se regardent, l’air gêné. Ils se pensaient certainement plus malins et plus discrets que ça. Mes parents sont des professionnels quand il s’agit d’oublier que je ne suis plus à l’école maternelle et que je comprends les choses. «
Si c’est tout, j’ai des choses à faire ! » Je me dirige vers la porte du salon. «
Il y a quand même quelque chose que tu dois savoir Janet… » Maman jette un œil à papa et prend une grande respiration. «
Ton papa va partir habiter à Londres. On va rester toutes les deux ici, entre filles. Il a un nouveau poste, il sera beaucoup en déplacement… Tu iras chez lui pendant les vacances ! » Je m’arrête net et retourne vers mes parents. Londres. La ville où habite Connor. Je n’ai personne ici. Aucun vrai ami au collège, juste des suivantes. Pas de famille puisque maman est fille unique et papa anglais. Alors que mon meilleur ami est en Angleterre. Je n’ai pas vu Con’ depuis des années mais je sais parfaitement que nous nous entendrons toujours aussi bien. «
Hors de question, je vais à Londres. » Un sourire satisfait apparait sur la tête de mon père pendant que ma mère resserre sa poigne autour de son verre. «
Oh, ça sert à rien d’avoir l’air si triste ou si content, je préférerais rester avec maman sur le principe mais je n’ai pas de vrais amis, Londres c’est une chance de tout recommencer. Et surtout de revoir Connor. Je louperai pas cette chance. » «
On a le temps d’en parler Janet, je ne suis pas sure que ce soit une bonne idée. » Je sors de la pièce sans répondre et crie, depuis l’escalier : «
J’ENVOIE UN MAIL A CONNOR TOUT DE SUITE !!!!!!!!!!!!!!! »
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#3 «
Janet, ce serait pas mal qu’on rentre au lycée quand même… On a philo nous ! » Je hausse les sourcils et lance à une des filles qui m’entourent, et dont je ne connais pas le prénom, mon regard le plus froid. Certes, je n’ai pas philosophie, puisque je n’ai pas pris cette option stupide. Et de toutes les façons je vais en cours. Mais il est absolument hors de question que je sois seule le moindre instant. C’est un honneur d’être vue avec moi, ces nanas feraient mieux de le comprendre. «
Oui, oui, on sait que tu tiens plus que tout à aller en cours… C’est ça de pas avoir d’amis, il faut des bonnes notes ! » Je hausse les épaules. «
Personnellement, j’ai les deux, mais je suppose que ça n’arrive pas à tout le monde ». Elle rougit et recule d’un pas. Je regarde ma montre. «
Cela dit, mon cours de maths commence dans une demi-heure, on peut rentrer si vous voulez, il fait froid, je vais avoir les joues rouges, c’est pas joli. » Le temps que nous arrivions en vue du lycée, les conversations ont repris. Comme d’habitude, je fais semblant de m’y intéresser même si elles m’ennuient au plus haut point. Les conversations s’arrêtent cependant lorsque nous nous retrouvons face à Aileen Nixon. Je ne peux pas supporter cette fille qui se pense mieux que tous et pense pouvoir faire ce qu’elle veut du lycée. Alors que, soyons clairs, c’est mon royaume. «
Nixon, avant que tu te ridiculises, je t’offre une chance de te taire. » Elle me dévisage pendant quelques secondes avant de se retourner et de partir. Je plisse les yeux. Rien ne m’énerve autant que les gens qui m’ignorent, surtout quand c’est fait par Aileen avec autant de provocation. Je reviens à mes suivantes avec un grand sourire, complètement feint. «
Pas si bête la guêpe, elle a préféré garder sa dignité plutôt que s’attaquer à nous ». Je parle assez fort pour qu’Aileen m’entende, espérant l’agacer. «
C'est toi qui parle de dignité alors que tu te montres jamais sans tes pintades, donc le QI ne dépasse pas celui d'un banc d'huîtres ? Laisse-moi rire. C'est pas en évitant de m'attaquer à vous que je garde ma dignité, c'est en m'arrangeant pour que personne me voit vous faire la conversation. » Je hausse les sourcils. «
Les ‘pintades’ comme tu les appelles sont mes amies, je serai ravie de t’expliquer le concept un jour, je crois que tu n’es pas très familière avec le mot. » Elle me tourne le dos. «
Sur ce, je te laisse, je n’aimerais pas qu’on me voit avec toi… Enjoy la fin de ta clope et ton cancer ! » Je tourne les talons et entraîne les autres. «
Allez les filles, assez de temps perdu avec les trainées du coin ! »
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#4 «
Connor, ATTENDS ! » Je cours derrière mon ancien ami. Après le divorce de mes parents, nous nous sommes retrouvés dans le même lycée. Mais j’ai changé. Je suppose qu’il n’a pas apprécié la différence. C’est vrai que je ne suis plus une petite fille sage du fond de la classe. Je suis la queen bee du lycée. L’alter ego de Blair Waldorf à Londres. Ces dernières années, mes relations avec mon ami d’enfance étaient correctes. Nous ne nous parlions pas vraiment au lycée mais nous passions pas mal de temps ensemble hors de l’école. Mais cette année, les choses ont changées. Nous sommes en terminale, je suis donc la réelle leader des gens branchés du lycée. Je ne peux plus être vue avec quelqu’un considéré comme un nerd par 99% de la population lycéenne. «
CONNOOOOOR ! » Il se retourne finalement et me jette un regard noir. «
Arrête Janet. Tu peux pas passer la moitié de ton temps à me mépriser et à être désagréable avec moi et l’autre moitié à me courir après. Tu dois choisir. On avait fait un pacte quand on avait onze ans, tu t’en souviens ? C’était pour ça. Parce que je savais que tu supporterais pas d’être toute seule et que tu deviendrais une bitch pour pour pouvoir trainer avec les gens « populaires ». Mais qu’est-ce que ça t’a apporté ? Dis-moi ? Rien. Tes amis ne sont pas des amis à une ou deux exceptions près. Tu prétends sortir avec un mec pour te rendre importante. Mais arrête. Juste, arrête. Reste avec eux ou arrête les faux-semblants. Tu peux pas tout avoir. » Il fait demi-tour. Je prends une grande inspiration. «
J’ai pas changé. » Il s’arrête. «
Bien sur. » «
J’ai pas changé. Je suis toujours fan de Petit homme à la mèche coupée tenant en sa main un micro. D’ailleurs j’aime One Direction aussi maintenant. Quand je rentre chez moi je mets à jour mon tumblr. J’ai 30 000 followers sur twitter. Je suis une geek. C’est vrai que je ne sors pas avec ce mec pour de vrai, d’ailleurs il est gay. Et c’est vrai que je n’ai pas de vrais amis. Mais j’ai une situation sociale. J’ai des soirées. Je m’amuse. Je vis. Et je vais pas m’excuser pour ça. » Je hausse les épaules. «
Je peux très bien avoir les deux, c’est toi qui refuse. Je ne considère pas avoir rompu notre pacte dans la mesure où je suis exactement la même quand on est tous les deux. Toi, par contre, tu le romps en refusant de rester mon ami. » Je tourne les talons et me dirige vers ma maison. Les larmes ruissèlent sur mon visage. Je ne me suis pas sentie aussi mal depuis la première fois où Connor m’a laissée, pour l’Angleterre.