[FLASHBACK] romantic night w/ Isaac

« Allez, viens. Je t’invite à dîner ». Thomas était en proie à une lutte sans pareille pour tenter de détacher l’attention d’Isaac de son écran d’ordinateur. Oh, ils avaient du travail – et combien. Mais ils étaient tous les deux épuisés, affamés, et manger les barres énergétiques disponibles dans le gros distributeur de la bibliothèque de l’école le rendait fou. Il voulait s’asseoir, prendre le temps de commander un vrai plat ; avec du vin et tout le reste. Pas juste grignoter dans un couloir entre deux dessins. Il était fatigué, en plus, et il aurait aimé profiter d’une nuit de repos. Les partiels seraient toujours là, à attendre d’être révisés, le lendemain matin. Il soupira et offrit à sa moitié une moue de protestation, penchant un peu la tête sur le côté. « Allez, Isaac… On sait tous que tu vas l’avoir cet examen ». Il attrapa sa main pour la presser dans la sienne et retint à peine un sourire malicieux, de ceux qu’il avait l’habitude de faire quand il demandait quelque chose. Une vibration dans sa poche l’interrompit dans son monologue passionné pour la victoire du dîner, et il extirpa son téléphone portable pour afficher un message envoyé par Giulia. « Je reviens, » murmura-t-il en se redressant pour gagner les pièces où l’on pouvait téléphoner, dans cette bibliothèque. « Quand je reviens, ton sac est prêt et on va dîner ».

Le coup de fil à Giulia ne dura que quelques minutes, le temps qu’il s’assure que tout allait bien. Thomas fut ravi cependant de constater que ces quelques minutes avaient suffi à ce qu’Isaac se décide à obtempérer, et ils se retrouvèrent bientôt sur le chemin d’un petit pub non loin de l’appartement qu’ils habitaient – peu officiellement – tous les deux et dans lequel ils étaient connus pour être des habitués. Thomas s’installa en face d’Isaac en attrapant la carte pour commander une bouteille de vin. Il s’empara ensuite de la main de son petit-ami en dissimulant assez mal un sourire pleinement satisfait. Il voyait la vie de manière très positive en temps normal, mais depuis qu’il était avec Isaac, c’était encore plus positif. Il ne pouvait pas s’en empêcher, parlait de lui à tout le monde, spécialement à Dexter qui parfois montrait des signes d’agacement notables – surtout parce qu’il en avait marre de ne plus voir Thomas -  mais c’était de toute façon plus fort que lui. « Mes parents m’ont invité à dîner samedi soir. Tu veux venir avec moi ? »

Ces examens de fin d’année allaient le tuer. Littéralement. Inévitablement. Il ne supporte plus l’angoisse, l’attente, les révisions à n’en plus finir, les nuits trop courtes et les jours trop longs. Il ne supporte plus le silence de la bibliothèque. Ses yeux fatiguent de scruter son ordinateur portable, de relire les mêmes phrases encore et encore ; ses yeux piquent de voir toutes ces couleurs fluorescentes partout sur ses livres et cahiers de notes. Isaac n’en peut tout simplement plus. Mais c’est la dernière droite et il ne peut pas flancher. Pendant un quart de seconde, à peine, il lève les yeux pour admirer le jeune brun assis en face de lui. Et il pince les lèvres pour s’empêcher de sourire niaisement avant de retourner à ses livres, ses notes. Son ordinateur. Toute cette situation serait finalement encore plus intolérable s’il n’était pas là. Thomas. Son amour depuis ce qui lui semble être une éternité. Tout est plus simple quand il est là. Tout est plus beau aussi. Et Isaac doit se faire violence pour ne pas se laisser piéger par son cœur qui bat trop fort et quitter le monde horrible de ses révisions. Alors il se concentre à nouveau, sourcils froncés. « Mh mh, répond-il à la voix lointaine de son camarade et petit-ami sans réellement avoir fait attention à ce qu’il lui disait. » Ce n’est que lorsque la main chaude de Thomas se pose sur la sienne qu’il tourne le regard vers lui. C’est comme un courant électrique qui lui traverse le corps et il a pour seul réflexe de serrer ses doigts autour des siens. « On a du travail… essaye-t-il vainement de protester mais il voit bien au coup d’œil déterminé que le brun n’en démordra pas. » Alors quand il s’éloigne pour téléphoner, Isaac se résout à éteindre son ordinateur et ranger ses livres dans son sac de cours. Thomas a raison, après tout. Ils pouvaient biens s’accorder un vrai dîner pour cette fois. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas simplement pris le temps de manger un véritable repas, l’un avec l’autre ? Très longtemps. Peut-être des semaines – une éternité en somme. Et Isaac comprend alors qu’il a besoin de retrouver Thomas. De retrouver leur cocon d’intimité, leur relation comme il l’aime. Passionnée et tendre, douce et brûlante à la fois.

« Rien de grave ? s’informe-t-il quand son petit-ami revient et qu’il est prêt à partir. » Retrouvant leurs habitudes, ils se dirigent tout naturellement vers leur restaurant – celui qui a abrité tant de rendez-vous, tant de conversations et de rires. C’était un peu le restaurant de leur amour, celui qui avait vu s’épanouir leur couple au fil des mois. Et il voit au sourire trop grand, trop brillant que Thomas avait lui aussi besoin de tout ça. « Tu ne préférerais pas pouvoir profiter de ta famille tout seul pour une fois ? argue Isaac avec un petit rire cependant qu’il serre un peu plus la main dans la sienne. » Il adore la famille Simmons, ils sont un peu comme une seconde famille pour lui et il n’en revient toujours pas d’avoir autant de chance. C’est parfois presque trop. Trop beau, trop merveilleux. Tout ce bonheur, rien que pour lui. Tout ce bonheur, à lui en faire exploser la poitrine. « Dexter va sûrement bouder, non ? » Ce n’était jamais rien que des chicaneries d’enfants entre Isaac et le frère jumeau de Thomas. Mais il pouvait très bien comprendre que Dexter ait besoin de Thomas pour lui seul de temps à autre. Issac, lui, l’avait presque tous les jours à ses côtés – ça n’est clairement pas équitable. Mais il doit avouer que c’est jamais pareil sans Thomas. Il est toujours moins heureux, moins épanoui. Thomas le complète d’une façon extraordinaire et qu’il n’aurait jamais cru possible même dans ses rêves les plus fous. Isaac n’est entier qu’avec son petit-ami à ses côtés. Les autres peuvent dire qu’ils sont jeunes, qu’ils ne savent pas de quoi demain est fait et pourtant Isaac est sûr que Thomas et lui, c’est fait pour durer. Longtemps. Toute la vie peut-être. « Ça m’a manqué de ne plus prendre le temps de me poser avec toi, il soupire avec un léger sourire un peu triste. J’ai l’impression de ne pas t’avoir vu depuis des semaines alors qu’on vit ensemble. Tu peux me dire en quoi c’est juste ? Je déteste ces examens. » Il a une petite mine boudeuse sur le visage, comme un enfant à qui on a enlevé son jouet préféré. Mais la douleur est bien là, le vide est bien ancré dans son estomac. Parce que Thomas est son pilier, son roc. Et sans lui, Isaac se noie.

Thomas n’était pas peu fier d’avoir réussi à convaincre Isaac. Ils étaient installés tous les deux à leur table habituelle, comme entourés de ces ondes positives qui les avaient toujours portés. Thomas ne se rappelait pas avoir un jour souffert de sa relation avec Isaac, si parfaite à ses propres yeux. Ils s’étaient aimés tout de suite et sans trop de difficultés, ils avaient aidé les couples autour d’eux, avaient traversé les annonces familiales et tout le reste. Tout c’était effectivement toujours bien passé et sans encombre, qui plus est. Ressentir une telle dose de bonheur ne devait pas être humainement possible. Isaac ne sembla cependant pas convaincu de l’utilité de sa venue à ce petit dîner de dimanche, ce qui poussa Thomas à se parer d’une moue sceptique. Il continua cependant de caresser tendrement la main de sa moitié, et soupira un peu. Le serveur apporta la bouteille, l’empêchant d’enchainer, et pris leurs commandes. Quand le calme fut revenu à la table, Thomas se redressa un peu pour servir le vin. « T’as sans doute raison. Dex ralera », il répondit non sans un sourire presque tendre pour son frère. Si immature parfois, Dexter avait un bon fond. Il appréciait Isaac, Thomas en était sûr – il avait juste l’égo trop important pour bien vouloir le montrer. « Il t’apprécie, tu sais », déclara-t-il en levant sa main jusqu’à ma bouche pour l’embrasser. « Toute ma famille t’apprécie, mais Dex est un peu un enfant sur certaines choses, et il vit assez mal le fait que je n’habite plus avec lui ou qu’on ne se voit pas tous les jours ». Il soupira un peu et avala une gorgée de vin, non sans avoir trinqué auparavant.

« Arrête de penser à ces examens, ce soir, on oublie tout ». Nouveau soupir léger, Thomas prit une longue inspiration avant de reprendre, faisant son possible pour sortir son petit-ami de ses pensées angoissées et peu productives. « Alors, dis-moi, qu’est-ce qu’on va faire après ces foutus examens ? On s’en va en vacances ? » Thomas offrit un sourire plein d’espoir. Il avait envie de visiter un autre pays, de profiter de ces instants entre la fin des examens et l’annonce des résultats définitifs pour planer un peu. Seuls tous les deux, sur une île. Un paradis de soleil et de chaleur, avec rien d’autre à faire que bronzer. Dormir. Lui montrer très largement à quel point il était amoureux de lui… Thomas secoua la tête pour ne pas laisser ses pensées dériver vers des activités bien plus agréables que la révision des examens d’archi, et toussa un peu. « Au soleil ? » ajouta-t-il sans se départir de son sourire. Des vacances en amoureux, voilà ce dont ils avaient bien besoin pour se reposer, se retrouver. Se vider la tête, aussi. « Tu me manques ».

C’est bon de retrouver Thomas, juste un instant. Juste un court instant. Pouvoir profiter de sa présence, de sa chaleur. De son sourire. Tout son être. Il lui manquait, tellement. Tout ça lui manquait. Et Isaac n’en avait pas eu conscience jusqu’à ce qu’ils se retrouvent assis à leur table habituelle, se préparant à commander le repas. Et alors qu’il se plonge dans le regard du brun, Isaac sent que tout reprend sa place. L’univers tourne rond à nouveau. Il sourit avec amusement devant la mine presque renfrognée de son petit-ami, si bien qu’il fait à peine attention au serveur qui apporte la bouteille de vin et prend leur commande. « Et je l’apprécie aussi, il acquiesce avec douceur, pressant la main de Thomas dans la sienne. Mais je comprends aussi qu’il ait besoin d’avoir son frère pour lui tout seul. » Et Isaac n’avait jamais voulu être comme une nuisance dans la vie des deux frères, il n’avait jamais voulu les blesser. La sensation des lèvres chaudes sur le dos de sa main le fait frissonner, lui rappelle ces caresses partagées dans l’intimité de leur chambre à coucher. Son corps lui-même lui signifie son manque de Thomas, ce soir. « Alors passe le week-end en famille, profite d’eux, il ajoute sans rancœur aucune. Et ensuite, reviens-moi. » Ce qu’il ne donnerait pas pour pouvoir l’embrasser là, maintenant. Juste sentir ses lèvres à nouveau contre les siennes le temps d’un instant et retrouver le goût fruité de sa bouche sur sa langue. Mais Isaac ne bouge pas, reste assis à seulement fixer les deux pupilles trop brillantes. Ils ne font pas de démonstration en public, ils ont toujours été discrets. Ils préservent leur intimité, leur vie privée derrière des sourires et des regards qu’eux seuls comprennent. Bien sûr, leur entourage proche savait. Ils avaient même accueilli la nouvelle avec tant de facilité que c’en était presque déroutant. Tant de bonheur, dans de chance dans une seule vie – Isaac avait parfois beaucoup de mal à croire à sa bonne étoile. Et pourtant, il se lève chaque matin avec cet être merveilleux à ses côtés. Et pourtant, son quotidien n’est qu’une véritable perfection dont il ne saurait se lasser. Chaque soir, il s’endort avec le vœu que ce bonheur puisse continuer. Encore et encore ; encore et toujours. Parce qu’il n’est pas sûr de pouvoir s’en lasser.

La réalité les rattrape pourtant toujours d’une façon ou d’une autre et ils ont peu de chance de s’évader ces derniers temps. La tête plongée dans leurs bouquins, ils n’ont pas de temps à eux. Plus vraiment. Et Isaac a hâte que tout ça se termine, que tout ça se finisse avant qu’il n’explose tel une cocote-minute. Aux mots de Thomas, il se laisse emporter par le rêve de vacances au soleil où ils pourront tout oublier. « Partie en vacances serait parfait, soupire-t-il avec appréciation tout en dégustant une longue gorgée de vin. Profiter du soleil, de la mer, boire des cocktails et manger des fruits de mer. » Un paradis sur Terre, leur bulle rien qu’à eux enfin retrouvée. « Faire l’amour toute la journée, ajoute Isaac avec un brin de malice et un regard lourd de sens. Partir loin d’ici, loin de la grisaille de Londres et des examens finaux. Ce serait vraiment le rêve, oui. » Une parenthèse en dehors du temps et de l’espace. Un simple moment qui n’appartiendrait qu’à eux. Thomas et lui. Et s’il pouvait s’enfuir avec lui dans l’instant, Isaac le ferait. Fuir toute cette pression, oublier cette réalité. Fermer les yeux et se laisser porter. C’est tout ce dont il aurait besoin – être ailleurs qu’ici, avec lui. « Tu me manques aussi, il rétorque avec douceur, caressant la main du brun de son pouce. Et si on laissait tomber les révisions pour ce soir ? Après manger, on rentre et on se prend du temps pour nous. Rien que nous. » Couper les téléphones, laisser les livres fermés et les ordinateurs éteints, abaisser les volets et disparaître jusqu’à demain. Se couper du monde et de la réalité. Juste pour pouvoir se ressourcer, reprendre des forces. Juste pour se rappeler de ce que ça fait de s’abandonner. Il s’écarte un instant quand le serveur vient déposer leur plat devant eux. L’odeur des lasagnes végétariennes et du saumon grillé lui chatouillant doucement les narines lui rappelle à quel point ça aussi, ça lui avait manqué. La nourriture, un vrai repas. De quoi se remplir le ventre d’une façon tout à fait décente. Isaac est tellement mauvais en période d’examen – si Thomas n’était pas là, il ne penserait même pas à manger.

Je ne parviens pas à détacher mon regard d’Isaac. Il est beau, et je parviens encore difficilement à croire que tout ce bonheur qui inonde mes journées passées à ses côtés est réel. Je l’aime tellement, que j’ai du mal à respirer. Le bonheur nous entoure et nous enveloppe comme cette couverture chaude dont je ne veux jamais, surtout jamais sortir. Ma main caresse la sienne distraitement pour ne pas attirer les regards sur nous, parce que je n’aime pas ça. Je préfère être discret, ne pas exposer bonheur et différence à la tête des gens, après tout peut être que certains sont tristes, peut être que d’autres seraient incommodés. Nos familles nous ont toujours donné un très mauvais exemple, j’en suis bien conscient. En nous acceptant si facilement, en faisant preuve de tolérance et d’ouverture d’esprit. Sa mienne comme la mienne. Il faut dire qu’avec un frère bisexuel en plus, nous étions en majorité, inutile de dire qu’ils n’avaient pas trop le choix. Mais tout de même, je suis reconnaissant à tous les membres de ma famille qui m’ont soutenu jusqu’à présent dans un chemin pas toujours facile mais toujours heureux. Quand il me donne son approbation pour les vacances, je lui offre un sourire réjoui et presse sa main. Je vois exactement ce dont il veut parler. Je ris un peu d’ailleurs quand il parle de faire l’amour toute la journée – voilà qui réveille ma foi des instincts et envies un peu trop laissés pour compte ces dernières semaines. Nous nous sommes plongés dans les révisions et, comme d’habitude, il a eu un peu de mal à en sortir ne serait-ce que pour se nourrir. Assez logiquement, tous les autres besoins ont eux aussi été relégués au second plan depuis le début de ces examens. Je pousse un soupir légèrement frustré mais continue à lui sourire, bon enfant. « A nos vacances alors », je murmure en levant mon verre pour trinquer.

Et puis soudain, voilà qu’il me propose de passer une soirée en dehors de tout, de la vie stressante des examens. Son pouce caresse ma main, cet infime contact suffisant à faire battre mon cœur plus rapidement, et je prends une inspiration pour dissimuler l’effet que me fait cette proposition. Voilà longtemps qu’il ne m’en a pas fait une aussi alléchante, ma foi. Je trépigne presque d’impatience. Je vais répondre quand le serveur interrompt notre conversation en déposant nos plats, des lasagnes et du saumon pour lui – qui mange si équilibré parfois qu’il me fait tourner la tête – des spaghettis quatre fromages pour moi. Rien de très typiquement anglais pour ma part, disons que je commence mon amour pour la bouffe un peu trop grasse par mon amour pour la course à pieds dans Hyde Park. « Tu parles un langage qui me plait, Isaac Mendelson », je lâche en goutant une première fourchette de pates. Je lui offre un sourire radieux, et avance légèrement mon assiette pour qu’il se laisse tenter s’il en a envie. « Tu veux goûter ? » je demande avec tendresse. « Ca fait trop longtemps que notre baignoire n’a pas servi », je murmure ensuite à voix plus basse, pour éviter que nos voisins de table nous entendent. « On pourrait peut-être y remédier », je suggère pour éclairer ma pensée dans l’hypothèse où il n’aurait pas saisi tout seul – ce dont je doute, honnêtement. Je lui offre un sourire radieux, la perspective de cette soirée sans bouquins et sans stress me rend plus qu’euphorique, comme un enfant ou presque.

Il a toutes ces images en tête, tout ce bonheur aux lèvres. Isaac retrouve enfin la sensation d’être vivant, d’être heureux. Il ne peut s’en prendre qu’à lui-même – il a délaissé son petit-ami au profit de ces révisions qui occupent la majeure partie de ses journées. Mais Thomas, le parfait Thomas, ne lui en veut pas. Il ne le lui reproche même pas. Il comprend. Il l’aide. Ils révisent ensemble, s’encouragent mutuellement. Ils sont comme les deux moitiés d’une même entité – dans le travail comme dans la vie privée. Il se demande encore parfois comment ça peut si bien marcher, eux deux. Et alors il croise le regard de Thomas, si brillant, si chaleureux, et il se dit que la réponse à cette question n’a finalement aucune importance. Parce que c’est lui, parce que c’est eux. Parce qu’ils s’aiment et que c’est tout ce qui compte à ses yeux. C’est sans doute aussi parce qu’il l’aime si fort qu’Isaac décide de tout envoyer en l’air le temps d’une soirée. Pas de révision, pas de travail – juste eux deux pour une fois depuis une éternité. Et le sourire canaille que lui renvoie le brun fait naître un incendie au creux de ses reins, tordant son ventre d’une agréable manière. « Je savais que tu aimerais, il souffle à voix basse avant de picorer dans l’assiette de Thomas. » Il prend une bouchée, la déguste avec un sourire appréciateur avant d’entamer son propre plat, affamé. Pour la première fois depuis très longtemps, il se sent détendu. Comme si le poids qui lui alourdissait chaque jour les épaules avait enfin disparu. S’était envolé. Et c’est peut-être tout ce dont il avait besoin pour ne pas sombrer face à la pression quotidienne ; c’est peut-être tout ce qu’il lui faut pour ne pas se laisser noyer – retrouver son amour, retrouver Thomas juste le temps d’une soirée. Il a été bête de croire qu’il pouvait faire sans lui, sans sa présence. Sans ce genre de moments complètement magiques. Il a été bête de croire qu’il pourrait tenir la distance dans cet état-là. Bien sûr que non, il ne peut pas. Il n’y arriverait pas parce que Thomas a pris une telle place dans sa vie, dans son univers qu’il a l’impression de ne pas réellement exister sans lui. On lui a souvent répété qu’il s’emballait trop, qu’il était encore jeune et qu’il ne savait pas de quoi demain serait fait. Et ils ont peut-être raison – ils ont peut-être raison tous ces gens qui ne cessent de lui dire que ça ne pourrait pas marcher. Mais il ne le fait pas exprès, il ne le contrôle pas. Thomas est son grand amour, le seul. L’unique. Celui qu’on ne rencontre qu’une seule fois dans toute sa vie. Et il n’a pas l’intention de le laisser partir sans se donner toutes les chances de le garder près de lui.

Isaac sent son cœur rater un battement quand il y a le murmure chaud de sa voix quivient lui chatouiller les oreilles. Sans prendre garde, il se mord la lèvre inférieure et darde sur son petit-ami un regard bien trop gourmand. Bien trop envieux. Ils ont vraiment beaucoup de temps, de choses à rattraper. « C’est pas bien de m’allumer, Simmons, rétorque-t-il d’un air faussement désapprobateur. » Mais sa voix est trop rauque, trop basse pour qu’il soit pris au sérieux. Parce que déjà il imagine leur baignoire, l’eau qui brûle presque, leurs deux corps enlacés. Le cœur dans la gorge, il sent une rougeur désagréable enflammer ses joues. Depuis combien de temps n’a-t-il pas senti les mains de Thomas sur sa peau ? Depuis combien de jours ne s’est-il pas abandonné au plaisir avec lui ? Longtemps, trop longtemps. « Mais je dois admettre que tu n’as pas tort. Elle doit se sentir seule, la pauvre, il reprend tout en essayant de se donner meilleure contenance en mangeant le contenu de son assiette. Je propose que nous lui rendions une longue visite une fois sortis d’ici. » Même sur ce plan-là, son petit-ami et lui s’accordaient parfaitement. Comme s’ils étaient véritablement destinés l’un à l’autre, comme s’ils s’étaient trouvés pour se compléter. Il se surprend souvent à avoir ce genre de pensée un peu mièvre, un peu niaise mais il ne s’en veut même pas. Parce qu’il est heureux, parce que Thomas le rend heureux. Et qu’il n’y a rien qui ne pourrait gâcher ça. Bien sûr, ils ont leur désaccords, leurs disputes mais ça n’est rien comparé à tous ces instants parfaits qu’ils ont vécus ensemble. « Je suggère même que nous sautions le dessert pour partir plus vite, lance-t-il avec un petit sourire en coin. » Parce que son corps le réclame, son être le réclame. Son âme aussi. Il veut pouvoir profiter de lui pleinement, sans avoir à se restreindre. Se retenir. Sans avoir tout ce monde autour pour les regarder de travers, les juger. À l’abri dans leur petite bulle de perfection, ils pourront tout oublier du reste du monde et réapprendre à s’aimer comme au premier jour.

Nous sommes si bien, là, tous les deux, que j’ai du mal à réaliser que nous avons enfin quitté les murs de cette bibliothèque pour nous réfugier dans un endroit neutre et profiter d’une soirée totalement différente de celles que nous avons pris l’habitude de vivre depuis quelques semaines maintenant. Ces examens m’épuisent, mais je peux dire sans trop m’avancer que l’état d’Isaac est pire encore que le mien. Je ne sais pas comment il ferait si je n’étais pas là ; il oublie simplement de vivre quand il révise. Acharné, il pourrait passer des heures à relire ses cours, améliorer ses notes, faire des fiches, sans penser à aller se reposer ou même à manger un morceau. Moi, je tiens beaucoup moins bien sur la longueur, sans doute plus distrait, plus facilement fatigué. J’ai besoin de bouger de temps à autre, de préparer un sandwich, de regarder mon téléphone ou de me mettre discrètement à la fenêtre pour fumer une demi-cigarette, mauvaise habitude empruntée à mon frère Dexter et qui caractérise les périodes d’examen et de stress pour moi. Du coup, je mets à profit ma déconcentration pour m’occuper de lui. Parfois, même quand je dépose un sandwich à côté de lui, il est tellement concentré qu’il ne s’en rend pas compte. Je souris avec tendresse et embrasse alors son épaule pour attirer son attention. Mais les marques des semaines qui passent et de ces révisions commencent à se faire sentir, nous sommes tous les deux fatigués et malgré le fait que nous habitions le même appartement, il me manque. Il manque à mon cœur, et il manque à mon corps, aussi. Alors je me délecte de la soirée que nous allons passer ensemble, et surtout, je me délecte du petit jeu qui s’installe sans attendre et qui est révélateur du besoin profond que nous avons de nous retrouver au-delà d’une salle de révision ou de notes sur les dessins d’architecture.

Je ris un peu quand il propose de sauter le dessert ; voilà quelque chose que je ne vais pas me gêner pour faire. Je suis plutôt salé, de toute façon. Mais son empressement soudain me faire rire, je ne peux pas faire autrement que le provoquer un petit peu. « Qu’est-ce que vous êtes pressé, Monsieur Mendelson, soudain… » Je ricane un peu en avalant une bouchée de mon plat – moi-même soudainement assez pressé je dois dire. J’effleure sa main sans autre forme d’insistance, pour garder notre discrétion habituelle et caractéristique de nos sorties en public. Je n’aime pas attirer l’attention, Isaac non plus et nous nous sommes toujours entendus sur ce point. Dans l’espace sécuritaire de notre appartement, là par contre… Je n’ai aucune difficulté à lui exprimer ma tendresse et mes sentiments. « Mais je suis d’accord. Faisons une infidélité au dessert pour retrouver la bonne vieille baignoire ». Je récupère ma fourchette après avoir bu une gorgée de vin, et le fixe avec tendresse. Je suis tellement heureux, comment les choses pourraient-elles être mieux, plus parfaites ? Bientôt, les études seront derrière nous, et il sera l’heure des projets. Et des projets, pour Isaac & moi, j’en ai plus d’un. Mais patience est mère de sureté. Je prends une inspiration sans le quitter des yeux. « Tu as l’air fatigué », je murmure, sans me départir d’un sourire tendre. « Il est temps que je m’occupe sérieusement de ton cas. Je compte sur le fait que tu dormes vraiment très bien cette nuit », je souligne et lui assène un clin d’œil amusé. J’ai envie de lui dire que je l’aime, et ça ne serait évidemment pas la première fois. Parfois, j’ai l’impression de le dire trop souvent ; d’être excessif. Parfois, j’ai l’impression que le dire ne suffit pas à exprimer ce que je ressens, là, tout au fond de mon cœur. Je garde le silence sur cet instant délicieux cependant et me concentre sagement sur mon assiette pour terminer le plus rapidement possible sans avoir l’air d’être un obsédé en manque.

Il veut se détendre, profiter. Profiter de cet instant volé, hors du temps, qu’il partage avec celui qu’il aime. Il veut profiter de ses yeux étincelants, de son si beau sourire. Comme pour se rassasier après une période trop longue de manque, après une éternité d’absence. Il veut profiter de Thomas, tout simplement. De ce dîner en tête à tête, de ces mots doux échangés entre deux regards complices. Tout est si parfait. Parfaitement parfait. Il ne manque plus que leurs baisers, les caresses sur sa peau et alors il pourra tout oublier. Tout oublier des examens, de la pression. De l’anxiété. Tout oublier de ces jours qu’il a passés à réviser sans s’accorder le droit de vivre son histoire d’amour avec le brun. Sans se laisser le temps de s’abandonner dans une étreinte au coin du canapé. « C’est parce que tu m’as trop manqué, il souffle avec sérieux tout en observant les lèvres qui sourient joliment. On a plein de temps à rattraper. » Parce que ce n’est plus possible de vivre sans avoir la sensation que Thomas est toujours là, sans se rappeler qu’il fait partie de sa vie. Isaac sourit, satisfait d’avoir réussi à persuader son petit-ami de laisser tomber le dessert. Ça n’a pas même été difficile, c’était presque joué d’avance. Parce qu’ils avaient tous les deux besoin de se retrouver pour de bon après ces heures perdues à travailler. Isaac a conscience qu’il a un peu abandonné Thomas pour se plonger dans ses livres et cahiers – comme à chaque session d’examens. Et il s’en voulait un peu. Beaucoup. Maintenant qu’il n’avait plus le travail pour l’aveugler, il se rendait compte combien il avait été un mauvais petit-ami. Et Thomas ne lui en voulait même pas. Pas une seconde. Pouvait-il être plus formidable ? Plus parfait ? Il continue de manger son plat, son regard accroché à celui du brun. Il se croirait presque dans un de ces vieux films à l’eau de rose sauf que c’est encore mieux puisque tout ce qu’il vit présentement est vrai. Absolument vrai.

« J’ai quelques heures de sommeil en retard, c’est vrai, il admet avec un petit rire doux. Comme tous les ans à la même période. » Il y était habitué, son corps aussi même s’il sentait l’épuisement lui peser sur les épaules de temps à autre. Les périodes d’examen sont toujours un très mauvais moment à passer pour lui. Il dort mal, se nourrit mal ; il ne vit que par et pour les révisions. Et quand tout sera terminé, quand tous les résultats seront tombés, Isaac se demandera comment il a fait pour tenir une année de plus, comment il fait pour ne pas craquer. Alors il posera ses grands yeux sur la silhouette de Thomas et sa réponse lui sautera aux yeux, évidente. Lui, son amour. Tout simplement. « Mais j’ai d’autres projets pour nous ce soir, il souffle dans un sourire plein de promesses. On s’occupera de mon sommeil ensuite. » Parce qu’il voulait d’abord retrouver Thomas, parce qu’il voulait retrouver son odeur, le goût de sa peau, la brûlure de son regard. Il voulait retrouver leur intimité rien qu’à eux. Picorant à nouveau dans son assiette au trois-quart entamée, il reste un instant silencieux. Il veut prévoir quelque chose de spécial pour célébrer la fin de leurs examens. Il y aurait bien sûr leurs vacances rien que tous les deux comme ils en avaient parlé, mais il voulait aussi se faire pardonner de toutes ces journées horribles durant lesquelles il n’a été qu’un robot, qu’un automate. « Je sais que tu ne me le reproches pas et tu ne le feras jamais parce que tu es l’homme le plus parfait de cette terre, il reprend, les sourcils froncés comme s’il cherchait ses mots. Mais je suis désolé d’être comme ça. Accaparé par les révisions. Je sais que tu comprends et que tu ne m’en voudras pas, pas même une seconde, mais je sais aussi que tu le vis mal. Que c’est difficile. » Isaac tend doucement sa main vers celle de son petit-ami, caressant la peau tiède du bout de ses doigts. Il n’est pas pour les effusions en public, il est de nature discrète mais il sent le besoin presque urgent de lui rappeler que les sentiments sont toujours là. Brûlants. « Mais je t’aime, il finit par murmurer. Et j’espère que tu ne vas pas en douter. Jamais. »

Isaac a l’air fatigué, c’est vrai, et au début de notre relation, quand je ne le connaissais pas encore suffisamment, ces traces de fatigue m’inquiétaient. Je le voyais dépérir pendant nos périodes de révision, tentant de lutter contre cette force invisible qui le poussait à travailler jour et nuit comme un acharné. Et puis finalement, j’ai compris. Il est fatigué, épuisé, mais tout ce que je peux obtenir de lui ce sont quelques heures ou quelques soirées de temps en temps pour qu’il se repose et me laisse prendre un peu soin de lui. Le reste du temps, je dois me contenter de glisser ses sandwichs dans des endroits accessibles pour qu’il pense à se nourrir en ouvrant son sac, un petit mot dans un de ses livres pour qu’il pense à moi. Et ça me va. J’ai appris à composer avec toutes ces petites choses qui font notre quotidien de temps à autre, qui font cet homme que j’aime du fond du cœur et que je ne changerai pour rien au monde. Bien sûr, il me manque pendant ces longues périodes et comme je suis plus dispersé, je parviens mal à me noyer autant que lui dans les révisions pour oublier la protestation sourde du creux de mon ventre et de mon cœur. Mais je sais que nous nous retrouverons rapidement une fois les examens terminés. Sans mentionner que deux mois de vacances ou presque nous attendent, et que même s’il va falloir commencer à chercher du travail, à parler avenir et tout le reste, nous aurons un peu de temps pour nous avant tout ça, du temps pour nous retrouver, nous redécouvrir, vivre tranquillement cet amour dévorant et passionnel qui nous unit depuis que nous nous connaissons et que, jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais remis en question. Jamais. « Toi aussi, tu m’as manqué », je murmure en regardant nos deux mains qui jouent ensemble, discrètes, sur la nappe blanche immaculée. Il a presque terminé et je l’imite avec empressement, non pas que ce dîner ne soit pas bon – c’est même délicieux, tout au contraire – mais le retrouver, en cet instant, la promesse de ce moment et la perspective de la baignoire suffisent à me presser de manger et de terminer pour le ramener chez nous.

« Va pour tes projets et ton sommeil plus tard, mais sache qu’une fois ces examens terminés, je compte bien t’assigner à résidence jusqu’à ce que ces cernes en dessous de tes yeux disparaissent ». Je souris avec tendresse ; non pas que je le trouve moins attirant comme ça, non. Il est beau, c’est l’homme de ma vie, celui auprès duquel j’ai envie de me réveiller tous les matins. Je m’inquiète juste pour sa santé – rien de plus normal, si ? Je lui offre un sourire et inspire doucement quand il se lance dans cette déclaration – qui a dit que j’étais doué pour les écouter ? Je suis émotif, et quand il se lance dans ce genre de discours – même si ça n’arrive pas si souvent, nous sommes habituellement assez démonstratifs pour ne pas se faire de belles déclarations toutes les trois secondes – je parviens difficilement à réfréner mes envies de tendresse. Je préfèrerais rompre la distance entre nous pour le prendre contre moi, embrasser ces lèvres qui me parlent et me sourient. Il a raison, sur toute la ligne. Je ne lui en veux pas, loin de là. Je le connais, je l’aime exactement comme il est, de A à Z. « Je ne doute pas de toi, ni de ton amour, Isaac », je murmure tout bas, en prenant doucement sa main qui joue toujours avec la mienne. « Je t’aime, moi aussi, exactement comme tu es, même quand il faut que je sorte l’artillerie lourde pour te faire manger un morceau ». Je ris un peu, moqueur mais tendre, et achève mon assiette, sans doute poussé par un empressement que je ne maitrise pas le moins du monde et que j’assume complètement. « On forme un sacré duo, tous les deux ». Je ris un presse sa main, abandonnant ma fourchette dans mon assiette vide. « Et puis, ces périodes nous donnent l’occasion de nous retrouver de manière encore plus intense, pas vrai ? Je prendrais mon mal en patience ». Je le fixe, lui souris. Je l’aime tellement, mon cœur accélère sa course dans ma cage thoracique et je pourrais exploser de rire dans l’instant. Un jour, lui et moi, on se mariera. Comme ces couples iconiques représentants de l’amour. J’en suis sûr.

Thomas ne lui en veut pas, évidemment. Isaac n’en est pas étonné. Comment le pourrait-il ? Il a le meilleur petit-ami au monde. Malgré tout, la culpabilité reste là, au fond de sa gorge. Parce que son amour ne mérite pas ça. Même s’il l’accepte, même s’il le connaît. Même s’il l’aime tel qu’il est. Et Isaac ne l’aime que plus encore pour tout ça. Pour tout ce qu’il lui donne sans jamais attendre autre chose en retour. Sans jamais réclamer. « Je sais bien mais je voulais te le dire, il souffle. Je devais te le dire. Je ne veux pas que tu l’oublies. » Au début de leur relation, il voyait bien que son train de vie inquiétait Thomas, qu’il n’aimait pas le voir se plonger complètement dans ses révisions jusqu’à en oublier de manger et de dormir. Mais il avait fini par s’y habituer, par se rassurer en voyant que Isaac contrôlait ces périodes – avec plus ou moins de succès. Et le brun était toujours là au cas où ça dérapait, au cas où Isaac aille trop loin. Thomas était (et est toujours) son garde-fou. Il a beaucoup de chance de l’avoir dans sa vie, dans son quotidien. Il ne pourrait demander meilleur compagnon, il ne pourrait rêver plus belle histoire. « Je suis sûr que tu aimes bien, finalement, me préparer mes petits sandwichs pour me forcer à manger, il rétorque avec un sourire en coin, le regard amusé. » C’étaient autant de petites habitudes qui lui tenaient à cœur. Qui étaient importantes à son équilibre, surtout en ces périodes d’examens. Isaac avale sa dernière bouchée avec un soupir de plaisir et remarque que son petit-ami a déjà fini. Il a de plus en plus de mal à refréner toutes ses envies de douceur, de tendresse. De passion. Le manque devient presque intolérable et il se demande encore comment il a fait pour vivre avec ce creux dans son estomac sans s’en rendre compte. « C’est juste que je m’en veux de te délaisser comme ça, il s’excuse avec une petite moue enfantine. » Parce que Thomas est parfait. Parce que Thomas est sûrement l’homme de sa vie. Et il ne veut pas le perdre. Il ne peut pas le perdre. Il n’imagine plus un monde dans lequel il n’est pas, une vie dans laquelle il n’existe pas. Son quotidien ne ressemble à rien sans Thomas pour l’ensoleiller. Le rendre plus beau. Et quand enfin ces examens seront finis, quand ils auront quitté les bancs de l’école pour rentrer dans la vie active, une nouvelle vie commencera pour eux. Ils feront tous ces projets, parleront encore plus d’avenir. Et un jour, peut-être, il le demandera mariage ; un jour, peut-être, ils construiront leur famille.

« Il paraît que tu m’invites ? » Isaac sourit, laisse Thomas aller régler l’addition et récupère ses affaires pour se préparer à partir. Sur le chemin du retour, il reste un peu silencieux. Il se demande ce que sera sa vie dans quelques années, quand il sera un véritable adulte, qu’ils auront tous les deux un travail et qu’ils seront en âge de se marier, d’avoir des enfants. Il s’imagine facilement arriver à soixante-dix et avoir eu une belle famille, avec Thomas. Ils auront bien vécu et ils pourront simplement profiter de la fin de leur existence ensemble, en paix. Avec ce sentiment d’avoir été chanceux, d’avoir eu une vie digne d’un roman français. Est-ce qu’ils vivront à la campagne ? Dans une petite maison qu’ils auront dessinée, faite construire. Ils superviseront les travaux avec cet œil expert, entraîné après toutes ces années d’études. Ils auront sûrement un petit jardin, pas immense – juste de quoi cultiver des légumes, des fruits peut-être. Ils auront un chien, un vieux chien comme eux. Est-ce qu’Isaac se montre trop exigeant en demandant à ce qu’ils s’en aillent ensemble pour leur dernier voyage ? Probablement. Mais il doit avouer que ce serait une perfection de plus dans toute cette vie parfaite qu’il s’est si souvent imaginé. Parce que Thomas est sans aucun doute la seule personne qui puisse rendre son existence telle qu’il la souhaite. Telle qu’il la rêve. Enfermés dans la chaleur de leur petit appartement d’étudiants, protégés du monde extérieur qu’ils oublient un instant, Isaac prend juste le temps de déposer son sac de cours avant de venir se coller à son petit-ami, attrapant sa bouche avec l’avidité de l’urgence. Du besoin et du manque. « Enfin, il soupire à travers le baiser tandis que ses mains partent sous le haut découvrir la peau trop chaude, trop douce. » Une peau qu’il connaît par cœur et pourtant redécouvre avec plaisir à chaque fois comme s’il ne l’avait jamais touchée avant. « J’ai voulu t’embrasser pendant tout le repas. » Entre autres choses bien moins avouables et qui lui avaient traversé l’esprit tant de fois que c’était presque comme si tout était déjà arrivé.

Il me délaisse peut-être, mais j’aime sa façon de se rattraper. Soudain, nous semblons tous les deux en proie à l’urgence, l’urgence de quitter les lieux de ce restaurant que nous aimons pourtant tant. Je pourrais passer des heures ici, à le regarder manger, mais pas ce soir. Ce soir, j’ai besoin de profiter du temps qu’il m’offre. J’ai besoin de le sentir contre moi, de m’imprégner de son parfum, de l’entendre soupire. J’ai besoin de me raviver la mémoire sur ces moments que nous vivons, et maintenant que la proposition a passé ses lèvres de passer une soirée tous les deux, tous seuls, je ne peux m’empêcher d’être empressé, de vouloir l’emmener, déjà, loin d’ici. Le retrouver dans l’intimité protectrice de notre appartement. Le déshabiller, sentir sa peau contre la mienne, redessiner les courbes de son corps. Peu importe ce que nous serons amenés à faire, je veux juste le retrouver, l’aimer. Rester tout contre lui. Lui faire l’amour, aussi. Je sors mon portefeuille de la poche intérieure de ma veste pour en extirper ma carte bleue et payer le diner au serveur qui revenait pourtant pour nous proposer un dessert. Il est d’ailleurs un peu bougon, je crois. Mais tant pis, rien ne m’importe plus que de retrouver Isaac dans notre cercle, notre intimité. Ensemble, tranquilles. Je soupire me redresse, l’aide à enfiler sa veste et me dirige calmement vers la sortie, parvenant cela dit difficilement à me concentrer sur la distance qui subsiste entre nous. Seul le silence anime le chemin du retour jusqu’à notre appartement, un silence qui n’est brisé que lorsque notre intimité perdue est enfin retrouvée. Il s’éloigne de moi un instant pour poser son sac à dos, et la minute d’après, ses lèvres embrassent les miennes, ses mains explorent ma peau. Je ne parviens pas à retenir un soupir et mes mains emprisonnent son bassin pour le garder contre moi tandis que je réponds à son baiser avec tout le manque que je ressens en ce moment.

« Et moi donc », je murmure, en nichant mes lèvres contre sa nuque un instant. L’empressement est réel, j’ai envie de le sentir contre moi, plus proche encore qu’il ne l’est actuellement. J’embrasse son épaule et glisse mes mains le long de son dos, jusqu’à l’arrière de son jean, puis retourner capturer ses lèvres, l’absence totale de pudeur contrastant évidemment avec notre attitude dans le restaurant, quelques minutes plus tôt. Je le garde contre moi encore un peu, puis me résous à m’écarter doucement, sans lâche sa main que j’ai récupéré son mon t-shirt. Je mêle nos doigts et lui offre un sourire mi-espiègle, mi-tendre en l’entrainant avec moi dans la salle de bain. J’allume l’eau pour qu’elle s’écoule dans la baignoire – trop luxueuse pour des étudiants que nous sommes – et verse un peu de savon pour y faire de la mousse. Quand je me redresse, je me mets à sa hauteur et entreprends de déboutonner les boutons de sa chemise pour découvrir son torse, et tandis que je descends, mes lèvres embrassent sa peau peu à peu dénudée. Je finis d’ouvrir et écarte les pans de sa chemise pour la faire glisser le long de ses bras, jusqu’à ce qu’elle tombe sur le sol de notre salle de bain. Je me redresse et pose mes lèvres sur les siennes, mes mains rejoignant la boucle de sa ceinture dans un geste délibérément lent et appliqué. Une fois la ceinture mise à mal, je m’attaque à son pantalon dont je défais les boutons pour le faire glisser et le libéré du tissu, dernière barrière entre nous. « Je t’aime tellement Isaac », je murmure en embrassant ses lèvres de nouveau, l’attirant, presque complètement nu, contre moi, embrassant ses lèvres, sa nuque, son épaule à tour de rôle, caressant son corps comme pour m’en rappeler chaque parcelle.