CDD | Don't leave me again

Quand j'étais gamin, je me disais que plus tard je posséderais une grande maison rien qu'à moi, comme celle dans laquelle ma famille et moi vivions depuis des générations. Quand j'étais gamin, j'était fichtrement naïf, quand même. J'avais pas encore capté que mes parents étaient aussi avares que Picsou. Mais ils m'ont bien eu, quand même. Enfant unique, ils me cédaient tout ce que je voulais. En échange de quoi, je travaillais bien à l'école. Ce n'était pas très difficile en soi, mais j'avais souvent la tête dans la lune. J'aimais bien l'école, là-bas tout le monde voulait devenir ami avec moi, même si je réalise maintenant que c'était uniquement pour toutes les sucreries que j'achetais et que je partageais. J'étais vraiment très naïf, oui.
Mais à mes dix ans, un évènement assez inattendu arriva au sein de notre famille. Cet évènement fut nommé Everild. Une petite soeur. Je ne m'y étais pas attendu, et je me demande désormais comment j'avais fait pour ne pas remarquer l'énorme ventre de ma mère. Je ne la regardais pas souvent, c'est vrai, mais à ce point là... J'étais naïf, naïf et stupide. Je serais prêt à parier que c'était parce que je croyais simplement qu'elle avait grossi. Je ne m'en souviens plus. Tout ce dont je me souviens, c'est que je n'étais pas content du tout. Moi qui avait tout pu avoir jusqu'à ce jour, j'allais devoir partager avec une fille ? Sérieusement ? Ah mais dans ma tête de gosse de dix ans, c'était la pire des trahisons. Un enfant normal aurait craqué devant les grands yeux bleus du bébé, mais il faut croire que je n'étais pas un enfant normal. Non, j'étais un enfant pourri gâté.
À partir de ce moment, je devins insupportable, et mes parents durent prendre une décision que je trouve aujourd'hui encore très excessive. Il m'envoyèrent chez ma tante, à Londres. Cette vielle femme m'avait toujours terrorisé, avec ses yeux presque translucides. Elle était sévère, en plus. J'ai regretté de m'être comporté de la sorte, et me suis même excusé. Mais mes parents ne voulaient rien savoir. Je devais rester là-bas jusqu'à ce qu'ils ne l'aie décidé. Je n'étais pas heureux, du tout. Ma consommation de nourriture baissa considérablement, j'avais perdu tous mes amis, et bon sang, je n'avais plus d'argent de poche pour faire quoique ce soit.
Résultat, aujourd'hui, j'y suis encore. Seule différence, ma tante est morte d'un cancer, le jour où je décidai de ne pas aller plus loin dans mes études et d'aller décrocher ce job de barista que j'avais vu au café du coin. Je fus triste, il faut l'admettre. Triste.. Je fis même une foutue dépression. Après toutes ces années passées avec elle, j'avais appris à l'apprécier malgré son attitude stricte, ses remarques parfois désagréables, et ses fameux yeux. Parce qu'à côté de ça, malgré son manque d'argent évident à côté de mes parents qui ne nous envoyaient pas le moindre sous ni la moindre nouvelle, elle me laissait sortir au cinéma quand je le voulais, aller chez des amis si je le désirais, et je savais bien qu'au fond, elle n'était pas méchante, juste un peu seule. Maintenant, c'est moi qui suis seul. Sans mes parents, sans rien ni personne. Dans cet appartement sombre et peu meublé. Je m'y suis accommodé. Merci les médicaments. Mon job, je l'ai toujours. Il faut bien que je paie le loyer. Mes parents me demandent de temps en temps si je veux passer à la maison. Ils peuvent toujours crever, j'ai pas la moindre envie de les revoir. Ni de voir comment Everild a grandi, d'ailleurs. Ils ne savent pas s'empêcher de parler d'elle, dans leurs lettres. Imbéciles.
Ma vie est banale, c'est vrai, terriblement banale. J'aime lire quand j'ai le temps, aller au cinéma, sortir en ville, passer mes weekends sur mon pc à jouer à de divers MMORPG. Mon travail, je l'aime plutôt bien. J'ai un certain contact avec les autres, ça fait toujours du bien, surtout quand on déteste être délaissé, comme moi. Je vais régulièrement poser des fleurs sur la tombe de ma tante. Oui, c'est bateau. Mais j'espère un jour pouvoir partir, peut-être en Amérique. Je ne sais pas ce que j'y ferais, en manquant d'ambition à ce point. Qui sait ce que la vie me réserve.