FDP ❅ dancing through life

Fitz a quatre ans, un costume impeccable et un coeur qui bat bien trop vite pour qu'il reste calme. C'est un gamin discret, le petit assis à côté de la fenêtre qu'on entend jamais. Ses doigts tapent en rythme contre le bois du bureau et sous la table, ses pieds se lèvent, se soulèvent et appuient mais il ne perturbe pas la classe. On ne l'entend pas, on le regarde pas beaucoup non plus. On le laisse tranquille, maintenant qu'on s'est habitué à sa couleur de peau. He's the quiet black kid and no one cares ─ no one says it out loud, more like, parce qu'évidemment, sa peau dérange la mère d'Olivia, sa couleur choque le père du petit Anthony. Il n'a rien à faire là, aimeraient prétendre certains, et même s'il ne comprend pas tout ça, Fitz a appris à ne pas attirer l'attention. Il n'aime pas qu'on le regarde de toute manière.

Mais ici, sur ce parquet, alors qu'il serre très fort la main de Carrie, tout le monde le regarde, tout le monde l'écoute. On attend le claquement de ses chaussures sur les lattes avec attention, on observe chacun de ses mouvements. Il frissonne, il a chaud, il a froid. Il aimerait partir, rentrer à la maison et se plonger dans le grand livre coloré que lui a offert Maman pour son anniversaire. « Ça va aller » murmure Carrie, sa partenaire depuis le début de l'année, du ton condescendant de la copine plus âgée. Tout ça pour quelques semaines, franchement. Elle aurait tout aussi bien pu lui dire d'arrêter de faire le bébé et Fitz ne veut pas qu'elle le traite de bébé. Il est un grand garçon et tant pis si tout Londres le regarde danser. Ce n'est pas vrai mais dans sa tête d'enfants, le public a des airs de mégalopole.


Fitz a quatorze ans et des questions plein la tête. Des questions sans réponse, inspirées par ce film qu'il a vu à la télévision la semaine passée, par cet article qu'il a lu dans l'une des revues de sa mère l'autre jour, par cette chanson qui passe encore et encore à la radio. Par des mots, pas les siens, jamais les siens. Par des images, par des gens. Les questions reviennent, toujours plus fortes, toujours plus perturbantes, comme si elles puisaient leur importance dans l'énergie qu'il dépense à les ignorer. Et sa mère semble avoir compris que quelque chose le tracasse, bien sûr qu'elle a compris. Elle est intuitive et plus Fitz grandit, plus ça devient gênant. « Something wrong, love? » demande-t-elle un soir, par-dessus son livre. Fitz sursaute, arraché à une réflexion aux débuts lointains et obscurs. Il se redresse, les sourcils froncés, mais il ne la regarde pas tout de suite, ignorant encore quels mots choisir pour lui expliquer. Elle saurait certainement les trouver, elle. Il se souvient encore du jour où elle lui a expliqué le sens du mot adoption et pourquoi ça expliquait la clarté à côté de la sienne. « I don't know. I think, well, I'm not even sure I'm thinking it but maybe there's something wrong. Yes, yes, there might be something wrong. With me » précise-t-il d'une voix étranglée, avec un violent frisson. Sa mère lève les yeux, intriguée, clairement inquiète et son regard a des effets libérateurs qu'il n'aurait jamais soupçonné. Les mots glissent, mués par une volonté qui semble étrangère à Fitz, et sa mère approche, soucieuse de le réconforter. S'il a, à un moment ou à un autre, songé qu'elle pourrait réagir négativement, toute crainte est balayée par ses grands yeux verts qui le couvrent de sollicitude et d'amour. Au fur et à mesure qu'elle avance, ses sourcils s'abaissent et retrouvent leur calme, fins et droits. « So what if you like boys? Or girls? Or both? Or any other gender? What if you don't know right now? It's ok love, it's more than ok. I know it matters a lot to you at this very moment but truth is, Fitz, it doesn't matter that much. Not to me, not to people who love you. And you don't have to talk about it if you don't want to and you don't have to figure it out right now. You really don't have to » souffle-t-elle tout bas, en caressant doucement ses joues encore rondes. Il aimerait acquiescer mais elle l'a piégé et bientôt, il a l'impression d'étouffer, serré entre ses bras, noyé par les vagues d'amour qui transpirent dans ses chuchotements rassurants.