CWA - pay my respects to grace and virtue, send my condoleances to good

▲ Contrairement au cliché bien lourdingue que mes potes bourrés me servent à toutes les sauces, chez les Altman, on n'est pas coiffeurs de père en fils, mais artistes. Mes parents, respectivement metteur en scène et costumière, se sont rencontrés en coulisses de l'une des productions new-yorkaises du paternel. Sara, ma sœur ainée, a tenu le rôle principal d'une série à succès pendant cinq ans, et trace maintenant sa route au cinéma, plutôt bien, je dois l'admettre. J'avais donc plutôt intérêt à intégrer le monde du théâtre si je ne voulais pas devenir la brebis galeuse de la famille, celui qu'on évoque à voix basse, honteusement, parce qu'il élève des chèvres au Pérou, tout nu. Après, ne vous méprenez pas, j'ai toujours brûlé d'une passion dévorante pour les arts de la scène. Quelle meilleure façon de prendre son pied que d'être payé pour vivre des vies aux antipodes, vibrer d'émotions inconnues ou familières? J'ai débuté au théâtre, comme il se doit, à l'âge de dix neuf ans. Au fil des années, je fus le fils veule et violent du Retour, l'ami fourbe d'Othello, l'amant perplexe d'Un Mois à la Campagne. En parallèle, je cédai sans opposer trop de résistance aux sirènes du petit et grand écran. Voguant de productions BBC en films indépendants, je devins Willoughby, le lâche séducteur de Raison et Sentiments, un pianiste amoureux, le meilleur pote du héros, le jeune homme fortement perturbé, antagoniste d'un thriller psychologique. Je me sentais immortel, et je vivais la vida loca. Doucement, mais sûrement, les critiques chantonnaient mes louanges, et je n'attendais plus que LE rôle, celui qui me propulserait définitivement sur le devant de la scène.

▲ Trois mois. Trois putain de mois à broyer du noir, alité dans cette chambre sur-éclairée, avec pour toute compagnie les signes avant-coureurs d'une grave dépression et ma soeur qui tentait de me convaincre que ce n'était pas si grave, et me refilait des doses de vodka en douce, pour me faire oublier la douleur physique et morale. Quelle connerie, mais quelle connerie. Je n'étais même pas resté une semaine sur le tournage. Ce film devait être le point culminant de ma carrière naissante. Tout pour plaire: un scénario impeccable, un personnage à la fois intense émotionnellement et physiquement, une production suffisamment importante pour attirer les foules, sans toutefois souffrir de l'aspect 'blockbuster' qui m'aurait attiré le mépris automatique des critiques. Jamais je ne m'étais autant battu pour un rôle - j'avais déchiré les auditions, harcelé les producteurs, suivi une préparation extrême. "Clay Altman, la révélation". J'en avais perdu le sommeil. C'était arrivé si vite, l'accident, si bêtement. Une cascade à moto, ce virage que j'avais pris trop brusquement, l'envolée, la douleur qui m'avait transpercée la colonne vertébrale, puis l'inconscience, l'hôpital. Clap de fin. Oh, ils ne me l'avaient pas faite à l'envers, les producteurs. "Incident regrettable [...] indemnités [...] mais vous savez, obligations [...] autre acteur [...] dommage hein." A ma sortie de l'hôpital, je me laissai facilement happer par la machine infernale de l'auto-apitoiement destructeur. Des nuits entières à boire jusqu'au coma, en gobant des anti-douleurs qui auraient assommé un cheval. C'est une sale période de ma vie sur laquelle je n'aime pas trop revenir, pour être honnête. Au bout d'un moment, Sara m'a repris en main et m'a sauvé des eaux troubles où je croyais avoir définitivement coulé. Tant bien que mal, j'ai repris les auditions, mais sans succès - la passion qui m'animait avant l'accident m'avait déserté. Alors sur un coup de tête, comme le font souvent les jeunes orgueilleux, j'ai renoncé. Plus jamais de scène, plus rien. J'ai commencé à donner des cours d'improvisations dans des centres plus ou moins minables. Et puis, toujours grâce à Sara qui a toujours su utiliser ses contacts, j'ai pu intégrer la flambant neuve et prestigieuse London School of Arts, en tant qu'intervenant en théatre. Avec cette nouvelle génération de doux rêveurs avides de gloire, je suis intraitable, tyrannique, mesquin. Mais si je ne parviens pas à les dégoûter du métier, voire de la vie en général, c'est qu'eux, au moins, iront loin.

▲ "Bonjour, et bienvenue à la London School of Arts." La quinzaine d'élèves que j'allais avoir le plaisir de pousser à bout cette année sursautèrent au claquement sec de la porte de l'auditorium. "Je m'appelle Clay Altman, mais vous pouvez m'appeler M. Altman. Aucune parenté avec le réalisateur, donc ne perdez pas votre temps à essayer de coucher avec moi. De toute façon, il est mort." Tout en débitant mon speech d'introduction, j'avais descendu les allées de fauteuils rouges d'un pas alerte et m'étais campé face aux aspirants acteurs. "Bien. Puisqu'on se connait mieux, permettez moi d'être tout à fait franc. Je suppose que si vous êtes ici aujourd'hui, à la LSOA, c'est que vous êtes potentiellement plus doués que la bande de brêles que j'ai eu le déplaisir de diriger les années précédentes. Bravo. Mais fourrez vous ça dans le crâne: vous vous rêvez en Othello ou Bérénice, bien sûr, mais en sortant d'ici, les trois quarts d'entre vous se retrouveront très certainement à animer des bar-mitzvahs pour payer le loyer. Bien? Bien. Alors montrez moi ce dont vous êtes capables." Échange de regards perplexes ou amusés. Les pauvres. Nous allions commencer par un simplissime exercice d'improvisation, histoire de faire le tri entre les causes perdues et ceux qui vaudraient peut être la peine que je me fatigue. Après un rapide examen des troupes, j'esquissai un geste du menton vers une petite blonde aux cheveux bouclés. 'Toi. Ton nom?" "Kendra, M. Altman." Je grimaçai. "Ah ouais, quand même. Bon... en scène, Kendra, éblouis moi." Je pris place au premier rang tandis qu'elle montait sur les planches, et laissant un silence s'instaurer, je rivai mes yeux dans les siens jusqu'à ce qu'elle détourne le regard, gênée. Voilà qui commençait bien, si elle se laissait déstabiliser aussi facilement, je ne donnais pas cher de sa peau. "Impro n°1, tu es une fougère, go.". Elle gloussa, imitée par quelques idiots dans mon dos. Le sourire aux lèvres mais l'oeil glacial, je me penchai légèrement en avant, tel un prédateur. "J'ai dit quelque chose de drôle, Kendra?" Les rires s'évanouirent instantanément. Chez Kendra, panique à bord. Toute balbutiante, elle tripotait nerveusement ses cheveux."Euh, non, enfin, je... c'est juste que la fougère..." "Quoi, la fougère?" la coupai-je, implacable, mais sans hausser le ton. "Kenneth Brannagh t'a dirigée dans Hamlet, Kendra? Au temps pour moi, si j'avais su que nous comptions dans nos rang une illustre membre de la RSC, je n'aurais jamais eu l'audace de lui imposer un exercice aussi ridicule." Je me levai et fis un pas vers la scène. "Tu veux vraiment être actrice, Kendra? Parce que s'il s'avère que saisir la complexité émotionelle d'une plante verte est hors de ta portée, tu m'excuseras, mais j'ai du mal à t'imaginer en Lady Macbeth." Non sans ajouter que c'était valable pour tout le monde, je me rassis, attendant toujours d'être ébloui. La pauvre gosse s’efforça donc d'être une fougère crédible, et elle mettait du coeur à l'ouvrage, malgré le désarroi qui suintait de toutes ses pores. Je la laissai faire pendant deux longues minutes, puis j'éclatai de rire et l'interrompis d'un claquement de doigts. "Allez, arrête, arrête, je t'en prie, respecte toi un minimum." Je me retournai vers le reste de la classe, désormais convaincus qu'ils avaient affaire à un fou furieux. "Vous voyez, là on a eu de l'émotion, là on a eu du théâtre ! Chaque fois que vous aurez à joie le désespoir ou l'incompréhension la plus totale, je veux que vous vous remémoriez Kendra et son imitation botanique. Allez, on passe à l'impro n°2."

▲ Dans l'obscurité du bar souterrain où elle m'avait entrainé avec un air de conspiratrice, je dévisageai avec amusement Sara, ma drôle de sœur, qui vidait à présent sa troisième coupe de champagne en pestant contre un réalisateur qui lui avait préféré une débutante pour son troisième long métrage. Sara est très belle. Grande, blonde, des yeux d'un bleu cristallin, des traits fins, une peau d'albâtre... La femme à la fois froide, élégante et diablement sexuelle qu'Alfred Hitchcock n'a jamais osé fantasmer. Mais il suffit qu'elle ouvre la bouche pour que le fantôme de Grace Kelly s'évapore, et c'est Marcel le Routier qui prend sa place dans une tempête de jurons. "Le bâtard de fils de chien. Me faire ça, à moi !" Sara déglutit rageusement sa dernière goutte de Dom Pérignon et, d'un claquement de doigt péremptoire, en commanda une autre coupe tandis que je picorai ses olives. En présence de ma soeur, j'avais l'interdiction formelle de boire ne serait-ce qu'une goutte d'alcool. Officiellement, j'étais sobre. Elle était loin d'être naive et se doutait bien de comment j'occupais mes nuits en solitaire, mais elle s'accrochait obstinément à cette version édulcorée d'une réalité bien plus noire. Si je me cantonnais au jus d'abricots lorsque nous nous voyions, j'étais libre de me bousiller la santé puisque ça me chantait, voilà le deal que nous avions implicitement établi. "Enfoiré de petite bite," reprit Sara avec hargne. "Je ne suis pas assez fraîche, soit disant ! Trop vieille, à trente six ans ! Tiens, j'espère que cette pouf va couler ce film à deux balles, et que les critiques vont le... Non mais Clay, j'ai pas l'impression que tu te rendes compte que..." "Oh, arrête Sara, je suis dévasté. Je sens déjà que je ne vais pas en dormir de la nuit." J'évitai en riant la volée d'olives qu'elle envoya dans ma direction, faussement exaspérée. "Toi alors, qu'est ce que tu peux être con. Parlons de toi, alors... Comment ça se passe, à la LSOA?" Je haussai les épaules, ne sachant trop quoi lui répondre. Ca allait certainement mieux qu'au centre communautaire de l'East End où je bossais l'année dernière, et c'était grâce à elle. Si elle n'avait pas parlé de moi au directeur, qui faisait partie de son carnet d'adresse, je croupirais encore probablement au fond de mon trou à rat. Mais les étudiants m'emmerdaient. Ils ne m'exaltaient pas. Parfois, je percevais en eux l'étincelle du vrai talent, mais elle était si hasardeuse, si brève, que je m'en étranglais de frustration. Je lui parlai de ce type qui pensait qu'on ne pouvait exprimer la colère qu'en hurlant, et des deux filles qui m'avaient vu dans une rediff de la BBC et gloussaient maintenant du début à la fin de mes cours. "Clay, tu vas au groupe de parole que je t'ai conseillé?" Ma soeur, experte en passage du coq à l'âne. "Quand j'y pense." marmonnai-je en détournant le regard, embarrassé. Je la laissai néanmoins serrer ma main entre les siennes, avant de l'enjoindre à aborder le sujet de la soirée: l'idée géniale dont elle ne pouvait pas me parler au téléphone. Excitée comme une puce sous amphètes, elle se lança alors dans une loghorrée hystérique et à peine compréhensible, une lueur de folie au fond des yeux. Je retins trois mots essentiels: "scandale", "fric", "fric." Quand elle se tut enfin, j'allumai une cigarette, pensif. "Laisse moi récapituler. Tu détiens des infos et des photos compromettantes pour une poignée de figures du showbiz londonnien. Le genre de scoop qui fait les choux gras du Sun et du Mirror. Et vu que c'est trop risqué pour toi de le faire en personne, tu veux que je les balance aux rédacteurs moyennement salaire. C'est grosso modo ce que tu viens de me dire, les jurons et les cris de souris en moins, hmm?" Sara acquiesca avec enthousiasme. Je garderais tout l'argent, bien sûr, elle, ce qui l'intéressait, c'était d'entamer sa revanche contre une industrie qui prévoyait de l'envoyer en maison de retraite. L'idée me plut. Argent facile, mesquinerie gratuite, hypocrisie, que demander de mieux? "Alors? Tu marches?" Sara trépignait littéralement. Profitant d'un moment d'inattention - elle venait de réaliser que le serveur était plutôt beau mâle - je lui dérobai sa coupe et en but une gorgée, ce qui me valut une nouvelle salve d'olives-missiles. "Sûr. Faudra être prudent, surtout si on décide de le faire régulièrement, mais j'en suis." Je lui adressai mon plus beau sourire. "Tout pour faire ma plaisir à ma vieille soeur." "Ta gueule."

→ Ton heure de gloire est enfin arrivée, un producteur de cinéma vient de te remarquer dans la rue et te propose de devenir la star de son nouveau film. Que lui dis-tu ? Je lui dis qu'il a vingt quatre trains de retard à peu près - quoiqu'à ce stade, c'est même plus du retard, ça devient du foutage de gueule cosmique. Que mon heure de gloire c'était il y a quatre ans, avant que je ne m'éclate le dos sur le tournage du film qui devait lancer ma carrière, tout ça parce que j'étais jeune et con et que je tenais absolument à faire mes cascades moi-même. Que par orgueil, j'ai tourné le dos au cinéma, de façon tout aussi stupide. Que maintenant, je trouve un certain plaisir masochiste à détester ma vie dans ses moindres aspects. Alors que s'il veut faire le malin et trifouiller la plaie avec un clou rouillé, il peut aller se faire voir chez les Grecs.

→ Une pauvre fille en pleurs chante All by myself avec son cornet de glace à la vanille en plein de milieu de la rue retournant tous les regards sur son passage, y compris le tien. Ta réaction ? Hmm, délicat, ça. Tout dépend de si je suis dans un bon jour ou non. A priori, je me contenterais de lever les yeux au ciel et de tracer ma route sans plus lui prêter attention. Mais s'il s'avère que je sois d'humeur jouasse, je la prendrais par les épaules, gentiment, et je lui dirais qu'elle est belle, si belle, qu'elle est forte, et qu'un jour, elle trouvera cet homme qui l'aimera d'un amour sans limites, non pas en dépit de ses défauts, mais pour ses défauts. Le regard exalté, les mains fébriles, je lui expliquerais que si seulement elle acceptait de s'aimer et de s'ouvrir à la vie, le bonheur inconditionnel serait là, à portée de main. Et puis je lui flanquerais une grande claque dans le dos, partirais d'un grand éclat de rire et m'en irais gaiement, en reprenant sa chanson à tue-tête. Oui, c'est cruel. Mais surtout, c'est drôle.

→ Ta cousine t'avoue sous l'emprise de l'alcool son attirance pour toi, et tente de t'embrasser. Premières impressions à chaud ? Réactions à froid ? Woh, ok, du calme. On parle de quel type de cousine, déjà? Parce que moi j'en ai qu'une, Elsa, et je pèse mes mots quand j'affirme que je ne la baiserais pas dans le noir, si elle était la dernière femme au monde et si j'avais descendu la réserve nationale russe d'alcool à brûler. Mais bon, mettons que j'aie une cousine relativement attirante et si possible pas trop proche sur l'arbre généalogique. On est jeunes, on est beaux, la nuit nous appartient, le champagne sublime les individus. Et je devrais m'opposer à son désir pressant de me plaquer contre un mur pour m'embrasser avidement, sous prétexte foireux que nous sommes vaguement parents? Je ne suis pas ce genre d'homme, Monsieur. Réaction à froid? Le lendemain matin, en me rhabillant, j'appelle ma mère pour vérifier que je ne suis pas allé trop loin sur le chemin de l'amour consanguin, au cas où, hein.

→ Ton idée du parfait samedi soir : une soirée arrosée au Carling à Oxford, une nuit de folie au Fez Club de Cambridge, une sortie au théâtre de Londres ou une soirée geek avec plat commandé et partie de jeux vidéos avec tes meilleurs potes ? Mon parfait samedi soir, c'est un mix de toutes ces options. Commencer la soirée chez moi avec des sushis et du gin tonic a volonté, avant d'aller voir La Leçon de Ionesco dans un petit théâtre de l'East Side. Critiquer la mise en scène, entamer un dialogue de sourds - mais néanmoins passionné - autour d'une tournée de pintes, et si l'envie nous en prend, finir en boite jusqu'au lever du jour. Enfin, ça dépend. Quand je suis dans une période "casse toi, j'aime pas les gens", le samedi soir idyllique, c'est tête à tête avec ma copine Poliakov.

→ T'es au confessionnal, tu peux avouer ta pire faute, ou encore un secret particulièrement pesant que tu n'aimerais pas voir révélé. Que dis-tu au père Patrick pour te soulager la conscience ? Pourquoi j'irai voir le Père Patrick? Le Rabbi Shmuel, plutôt ! Enfin, détails, détails. J'aurai sûrement pas mal de trucs à lui dire au Père Patrick (si vous y tenez). Comme le fait que j'espère secrètement que tous mes étudiants seront un jour victime d'un accident débile qui expédiera leur carrière aux oubliettes. Ou peut être ce gros coup de pute que j'ai fait à une fille. Les nanas, je ne me prends pas la tête avec. On s'amuse, on ne s'engage pas, on se quitte sans remords ni amertume. Mais Joy, c'était différent. Je suis tombé amoureux d'elle, et ça m'a tout bonnement terrorisé. J'ai tout fait pour qu'elle me quitte, en vain. J'ai été odieux, froid, ivre, même cruel. Il a fallu que je lui brise définitivement le cœur en orchestrant une aventure extra-conjugale sous ses yeux. On va dire que je n'en suis pas très fier. Mais le pire du pire, ce serait qu'on découvre la combine que nous avons mise en place, ma soeur et moi. Elle me fait dévoile les scandales glauquos dont regorge le milieu du cinéma, et je les transmets à mon tour à un tabloid bien connu, le tout pour une somme rondelette. Nous sommes insoupçonnables, pensons-nous. Mais si ce pacte avec le diable éclatait au grand jour, nous risquerions l'un et l'autre de dire bye bye à nos carrières respectives.

→ Le père Patrick était en fait un vrai sociopathe fan de Pretty Little Liars, et t'envoie un sms anonyme où il vous demande de choisir entre un secret révélé qui pourrait anéantir ta réputation ou briser ta famille, et de voler la bague de fiançailles Cartier d'un de vos amis. Après mûre réflexion, qu'est-ce que tu choisis ? Ben voyons ! Je l'avais senti à des kilomètres qu'elle reniflait le malhonnête, cette histoire ! Heureusement que je ne lui ai pas avoué que la bouteille d'eau que je trimballe à chaque cours contient du gin pur ! Déjà, le Père Patrick, je lui dirais qu'il est pas franchement malin, parce qu'avec ma soeur qui a joué pendant cinq ans dans une série policière, je suis assez calé en matière de dissimulation de cadavres. Mais si je suis vraiment dans l'impasse, j'opterai pour le vol de bague Cartier. Si c'est un vrai ami, il comprendra. Sinon, tant pis pour sa gueule, les amis y'en a plein les magasins.

→ C'est la fille de mes rêves, tu en es persuadé et pourtant, celle-ci est en couple avec quelqu'un d'autre. Tu te la joues résigné, stratégique, ou éploré? On veut les détails ! La fille de mes rêves, la fille de mes rêves, tu t'emballes, là. J'ai une gueule à chanter l'amour et les rêves bleus sur une carpette volante? Ouais bon, pardon. Quand je veux une fille, je la veux. Et quand je veux une fille, je l'obtiens, qu'elle soit mariée, en couple, endeuillée, lesbienne ou même stupide. Je ne la laisse en paix, je reviens à la charge, je la titille, je la joue stratégique comme vous dites, jusqu'à ce qu'elle rende les armes et n'aie plus d'autre choix que de m'embrasser pour me faire taire.

→ Dans dix ans, je me vois bien ouvrir un resto spécialité moules frites avec Camille Jules Martin, marié, six gosses et à l'origine d'une toute nouvelle sauce roquefort-épinards et toi, des projets pour l'avenir ? Dans dix ans, si je suis toujours de ce monde, je me vois bien à la Royal Shakespeare Compagny, avec la foule en délire qui scande mon nom, une brune incandescente en coulisse, et mes galères actuelles faisant figure de bonne rigolade. Ou alors, serial killer. Ouais, ça me botterait bien, ça. Serial killer.

→ Et enfin, honnêtement, entre truth ou dare, qu'est-ce que tu préfères ? (oui ça rime !) Dare, sans l'ombre d'un doute. Si la vérité m'intéressait, je ne serais pas devenu acteur.

→ En pleine soirée baby-sitting, l'adorable petite fille aux cheveux blonds que vous gardez s'installe sur vos genoux et vous demande, d'un air suppliant : « Moi plus tard, je veux être la Reine d'Angleterre. Papa m'a dit que pour pouvoir le faire, il fallait aller à l'université. Mais il a dit aussi qu'il fallait choisir entre Oxford et Cambridge, parce que ce sont elles les meilleures d'Angleterre. A ton avis, il vaut mieux apprendre à devenir Reine à Oxford, ou à Cambridge ? » Ben dis donc, tu t'en poses des questions bizarres, toi... Apprends déjà à écrire avant de choisir ta fac, gamine ! Tu devrais revoir ton sens tes priorités... Enfin, si tu insistes. A mon humble avis, si tu veux être la Reine, tu ferais mieux de t'orienter vers Cambridge. Cambridge, c'est la quintessence du prestige britannique, le summum de l'excellence universitaire. Tu y deviendras une vraie lady, mais je ne te cache pas qu'il va falloir te donner du mal...

→ Après avoir écouté votre argumentaire, elle s'interrompt une seconde et fronce étrangement le nez. « Mais, au fait, qu'est-ce que c'est, le Judging Cambridge Club ? » Oh la, la, je sens qu'elle va être loooongue cette soirée. Comment dire... tu vois les fils de p... hum, les vilains garçons qui rapportent à la maîtresse qu'un tel ou un tel a copié, ou a volé un stylo? Eh bien, le JJC, c'est pareil, mais pour les grands. Une poignée de types qui se croient mieux que le reste de l'humanité, à tort ou à raison, et qui reportent sur leur site le moindre écart, et pas seulement scolaire! Ils dénoncent tout comportement considéré comme inapproprié, c'est tout juste s'ils ne te scannent pas le cerveau pour vérifier que tu n'as pas de pensées impures. Tu vois, Cambridge, ce n'est pas de la rigolade. Et le pire, c'est que tout le monde admire le JJC: c'est l'élite, la crème de la crème...

→ « Aaaah, d'accord. Je comprends mieux. Et les TroubleMakers, alors ? C'est la même chose ?» Rah. Non. T'es chiante, comme gamine, tu le sais ça? Les TroubleMakers, déjà, on les trouve à Oxford. Les TroubleMakers, eux, sont des anonymes qui doivent mener une vie tellement merdique qu'ils s'amusent à pourrir celle des autres, sur Internet et au quotidien. Au départ, rien de bien méchant, des petites blagues de lycéens, pas de quoi pondre une pendule. Maintenant, par contre, ils ont dépassé les limites du bon goût et s'amusent à colporter des rumeurs qui peuvent bousiller une vie, ils brisent des couples, bref, une bande de petits cons quoi. Rah, merde. Pardon, pardon. De malpolis.

→ « C'est bien compliqué tout ça. Mais alors, si je choisis Cambridge et que finalement je préfère Oxford, j'ai le droit de changer en cours de route ? » Hahaha, t'es marrante en fait. Laisse moi te dire, cocotte, vu le fric que tes parents vont claquer pour que tu ailles à Cambridge, tu as plutôt intérêt à y rester. Mais après tout, qu'est ce que j'en sais moi, quand t'auras l'âge, les cours seront probablement en ligne.

→ « Hm... Bon. Ca m'avance pas beaucoup. Mais en même temps, j'ai le temps. »