Look where you're going -- Libre

Comme tout bon emploi du temps lycéen, celui de Violet était parsemé de trous et donc d'heures  à occuper. Bien qu'allant de temps en temps en salle d'études comme tous les autres - enfin, ceux qui n'en profitaient pas pour fuir l'enceinte du lycée -, Violet préférait généralement se rendre en salle de musique ou de la bibliothèque. C'était sur cette dernière que s'était porté son choix aujourd'hui. Choix qu'elle ne regrettait pas, étant rapidement tombée sur un passionnant livre de neurochimie. Après avoir feuilleté quelques pages, elle se hâta de l'emprunter puis alla s'installer tranquillement pour lire. Et comme à son habitude, une fois plongée dans le lecture, Violet avait complètement perdu la notion du temps. Aussi sursauta-t-elle en entendant la sonnerie, persuadée qu'elle avait encore une bonne demi-heure devant elle.

Dépitée de devoir si vite retourner en classe, elle ramassa son sac, sans toutefois lâcher son tout nouveau livre. Après tout, elle avait encore quelques minutes avant que le cours ne commence réellement: autant en profiter pour terminer son chapitre. C'est donc le nez dans son bouquin qu'elle prit le chemin de sa salle de classe. On aurait pu croire qu'après tant d'années à traîner ses bouquins partout, la jeune fille aurait appris à marcher en lisant ou compris qu'elle était incapable de se déplacer et de lire en même temps sans percuter un obstacle, mais il n'en était rien. Peut-être apprendrait-elle cette leçon aujourd'hui, puis qu’après seulement quelques pas, elle percuta quelqu'un de plein front, renversant ses affaires sur le sol et faisant finalement tomber le livre qu'elle avait eu tant de mal à lâcher.

« Je suis vraiment désolée. J'aurais dû regarder où j'allais » s'excusa-t-elle, sincèrement désolée et un peu confuse, tout en tentant de rassembler les feuilles éparpillées par terre. Elle se sentait vraiment idiote et gênée, elle était tellement captivée par ce passage qu'elle n'avait absolument pas prêté attention à son environnement. Ce n'était pourtant pas la seule fautive: elle ne marchait pas si vite que ça, et il faut être deux pour entrer en collision.

Leonard se demandait vraiment ce qu'il faisait ici. Lorsque son patron lui avait demandé d'aller faire de la prévention auprès de lycéens, il l'avait regardé de travers, pas très enthousiaste à l'idée de faire un discours face à des ados qui n'avaient rien à foutre de ce qu'il pouvait leur dire. Pourtant, il avait bien fallu qu'il accepte, il n'était pas très enclin à se mettre à dos ses supérieurs alors qu'il commençait à faire des problèmes en s'occupant des affaires du casino. C'est donc en trainant les pieds que ce cher policier arriva devant le lycée Holland Park. Il prit une profonde inspiration et partagea un regard avec le chien qu'il avait pris avec lui. L'animal le regarda de ses yeux plein d'intelligence et remua la queue, comme s'il signifiait qu'il était prêt à en découdre.  Sting était un berger allemand de deux ans, qui était spécialisé dans la recherche de drogues dures, et il servirait d'illustration à son discours. Et puis, il lui servirait aussi de "capteur de regards". Car, quoi de mieux qu'un animal pour attirer le regard d'enfants, fussent-ils des ados en crise. Il lui avait mis une muselière, obligatoire pour un chien policier entraîné à la défense et à l'attaque. Son objectif aujourd'hui était certes de faire de la prévention pour la lutte anti-drogue, mais aussi et surtout de faire comprendre aux jeunes l'importance du chien dans les interventions policières. Après tout, la plupart du temps, les gens pensaient que les canidés n'étaient là que pour faire joli ou pour faire peur, alors qu'ils étaient bien plus que ça. Ils étaient des compagnons fidèles et des coéquipiers affutés.

En marchant dans le lycée et en observant les gamins qui vaquaient à leurs occupations, il se rappela cette époque où son Emily était à leur place. Elle était encore à ses côtés à ce moment-là. Son trésor, sa princesse, son tout. Le vide qu'il avait ressenti à son départ lui revint en pleine face, et il dut s'arrêter quelques secondes pour reprendre son souffle. Son regard se perdit dans la masse des élèves, comme s'il y cherchait le visage familier de sa fille. Il ne se rendit même pas compte que la plupart des regards étaient tournés vers lui. Après tout, un mec en uniforme de policier accompagné d'un chien avec son manteau policier, ça ne passe pas inaperçu. Secouant la tête pour reprendre ses esprits, il soupira et reprit son chemin. Plongé dans ses pensées, et trop occupé à ruminer le passé, il ne put éviter une élève qui arrivait en sens inverse. Même si le choc le toucha moins que la jeune fille, il en fut surpris et faillit lâcher la laisse du chien, qui sous le coup de la surprise avait fait un bond sur le côté. Avisant la jeune fille qui semblait dépitée, il afficha une mine bienveillante et se baissa pour l'aider à ramasser ses affaires. « Je suis vraiment désolée. J'aurais dû regarder où j'allais » Un sourire sincère s'afficha sur son visage et il répondit doucement:"Il n'y a pas de mal. Je n'étais pas tellement attentif non plus..." Se relevant avant de lui donner ses affaires, il observa un moment la jeune fille. Elle lui rappelait sa fille. Fragile et forte à la fois. Il n'était pas tellement doué pour les conversations, mais il lui semblait plus facile de parler avec elle. "J'espère que vous ne vous êtes pas fait mal, Miss...?" Il se sentait maladroit dans ses paroles, et il espérait ne pas paraître trop brusque. Il s'aperçut qu'il n'aurait peut-être pas du demander son nom. Après tout, ça faisait un peu trop flic de demander systématiquement l'identité des autres. Déformation professionnelle.

« Il n'y a pas de mal. Je n'étais pas tellement attentif non plus... » Je fus surprise par la voix posée et clairement d'un homme adulte. Relevant les yeux, je me retrouvais nez à nez avec un inconnu, lui aussi baissé pour ramasser mes affaires éparpillées. Je fronçais légèrement les sourcils, il était rare de voir de nouvelles têtes dans le lycée, surtout lorsqu'il s'agissait d'adultes, que ce soit dans le corps enseignant ou dans les surveillants et autre, il n'y avait pas énormément de changement. Je me relevais en même temps que lui et vis sa veste de police. Et son chien. Un énorme berger allemand qui revenait vers son maître, probablement intrigué lui aussi par cette étrange situation. Au moins, cette petite idée de contexte expliquait pourquoi je n'étais pas familière avec le visage de l'inconnu, mais je me demandais (et m'inquiétais un peu je l'admets) ce que venait faire un policier au sein de l'établissement, surtout accompagné de ce colosse. Il était plutôt rare de croiser la police dans des conditions heureuses et paisibles. Au contraire, les policiers passaient leur temps à la poursuite des troubles et crimes. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer dans le lycée pour en attirer un ? Surtout vu le type d'élèves qui fréquentait Holland Park School, il n'y avait jamais vraiment eu de problèmes.

Je ne pus y réfléchir plus. La voix du jeune homme - enfin jeune était un bien grand mot, il devait avoir à peu près l'âge de mon père je dirais mais je n'avais jamais été très douée pour donner un âge aux autres donc qui sait - me fit revenir à la réalité et je réalisai que je m'étais complètement perdue dans mes pensées pendant un instant lorsqu'il me demanda si j'allais bien qui j'étais, enfin c'est ce qui me semblait : « J'espère que vous ne vous êtes pas fait mal, Miss...? » « Violet. Violet Howard. » répondis-je en lui tendant la main, sans vraiment réfléchir et miraculeusement, sans faire tomber les affaires que j'avais récupérer et que je tenais de la main gauche. « Et vous ? » je me surpris à demander d'une voix quelque peu hésitante, n'ayant toujours pas éclairci la question de sa présence ici qui étendait un étrange voile d'inquiétude en moi. Mes quelques rencontres avec la police n'avaient pas été les moments les plus joyeux de ma vie, il faut dire. Pourtant, en même temps, je me sentais étrangement à l'aise avec cet inconnu, peut-être était-ce le fait qu'il ait à peu près l'âge de mon père ou le côté sécuritaire de son métier, je ne sais pas, j'étais rarement à l'aise avec les inconnus. Si ça avait été un 'camarade' de lycée, j'aurai probablement déjà fui. Et là, je restais, discutais. Peut-être était-ce simplement sa calme douceur alors que je venais de le bousculer. Presque aucun élève du lycée aurait naturellement fait preuve d'une telle gentillesse.

Le policier n'était décidemment pas très attentif aujourd'hui. Il savait pertinnement que rien de bon ne se passait lorsqu'il se laissait submerger par ses émotions. Et certains lieux avaient tendance à faire remonter à la surface des souvenirs qui se voulaient douloureux. Si l'homme souffrait de ses souvenirs, il n'en laissait rien paraître, et gardait une certaine contenance, essentielle pour rester crédible et ne pas laisser tomber son uniforme. Les forces de police se devaient d'être solide pour protéger la population et leur donner ce sentiment de sécurité qu'ils chérissaient tant. Alors quand il se retrouva face à cette frêle jeune fille avec qui il venait d'entrer en collision, il trouva le courage de se montrer sécurisant, presque doux. Il n'en avait pas l'habitude, mais la situation et surtout la personne le demandait. Entendant quelques rires mesquins venus d'autres élèves un peu plus loin, il leur lança un regard menaçant qui leur fit ravaler bien vite leurs moqueries. S'il y avait bien une chose dont il avait horreur, c'était les injustices et les hypocrisies. Et il savait combien les adolescents pouvaient être cruels entre eux. « Violet. Violet Howard. » Sa voix n'était pas très assurée et on sentait que le choc avait tout de même été violent. Et pour cela, il culpabilisait. C'étaient aux adultes de faire attention, et il n'avait pas été à la hauteur cette fois-ci. Comme avec Emily... Réalisant soudainement qu'elle lui tendait la main, il tendit à son tour la sienne pour la serrer doucement, ayant trop peur de lui faire mal en étant trop brusque. « Et vous ? » La façon de parler de Violet le fit doucement sourire. On avait l'impression qu'elle s'adressait à un égal, presque trop sérieuse pour une fille de son âge. Elle était décidemment spéciale sa nouvelle protégée. "Inspecteur Leonard Nicholson, chef de la brigade canine de Londres pour être précis." Il désigna ensuite le berger allemand qui s'était assis à ses côtés, il rajouta: "Et lui, c'est Sting. Ne t'inquiètes pas, il est très gentil... Du moins avec les personnes qui n'ont rien à ne se reprocher. Et je suis certain que vous êtes dans ce cas-là, n'est-ce pas Miss Howard?" Le voilà qui arrivait même à se détendre assez pour oser plaisanter. Ce n'était pas du tout son genre... Décidé à ne pas rester planté là à se regarder en chiens de faïence, il désigna un bâtiment de l'autre côté. "Est-ce que vous auriez un peu de temps avant vos prochains cours? Je ne sais pas où se trouve la salle où je dois faire ma présentation, et j'ai toujours beaucoup de mal à installer ce fichu rétroprojecteur avec l'ordinateur... J'aurais bien besoin d'une assistante. Si cela vous convient bien sûr!" Donner de l'importance à une personne, on lui avait dit que c'était essentiel pour avoir de bons rapports humains. Allez savoir, cela marcherait peut-être...